L’incidence à la hausse de l’obésité est qualifiée de problème de santé publique le plus urgent au 21e siècle1. Si de nombreuses institutions sociales doivent participer au règlement de ce fléau, les médecins de famille peuvent exercer un rôle important dans l’identification et la prise en charge de l’obésité2. Selon les recherches, les conseils d’un médecin peuvent influencer considérablement les démarches prises par leurs patients pour perdre du poids1,3. De plus, les médecins sont une voie d’accès à d’autres ressources communautaires, comme les diététistes et les conseillers en activité physique, qui peuvent aider les enfants, les adultes et les familles dans leurs efforts pour s’attaquer à ce défi grandissant en santé publique.
Le présent article examine les obligations juridiques des médecins envers leurs patients et examine ces devoirs dans le contexte de la prise en charge des patients obèses. La loi a contribué beaucoup à façonner les relations médecin-patient au Canada. Il vaut donc la peine d’explorer l’intersection entre les devoirs légaux fondamentaux et les données scientifiques émergentes concernant l’état de préparation des médecins de famille et leurs attitudes face au traitement des patients obèses. La loi compte au nombre de plusieurs forces sociales pertinentes à la prise en charge de ce phénomène complexe de santé publique. La crainte de faire l’objet d’une poursuite n’est pas le facteur de motivation le plus constructif du changement social. Néanmoins, puisque l’obésité est devenue un sérieux dilemme de santé publique, il semble de plus en plus important que les médecins de famille abordent les questions de contrôle du poids dans leur pratique quotidienne, en vertu de leurs obligations juridiques envers leurs patients.
Norme de soins
En vertu de la loi, les médecins ont l’obligation d’offrir à leurs patients des soins répondant à des normes de qualité raisonnables. Dans la cause de ter Neuzen c. Korn, la Cour suprême du Canada a confirmé cette règle en déclarant que les médecins ont le devoir de mener leur pratique conformément à la conduite d’un médecin prudent et diligent dans les mêmes circonstances4. Évidemment, les patients obèses ou ayant un excès de poids ont le droit à cette même norme de soins; par contre, il y a lieu de croire que cette population de patients ne reçoit pas, dans certaines circonstances, des soins et des conseils optimaux.
D’aucuns ont spéculé que les attitudes anti-obésité de certains professionnels de la santé pourraient potentiellement affecter leur jugement clinique et décourager les personnes obèses de demander des soins5. Certaines données étayent cette spéculation. Une étude, réalisée par Schwartz et ses collègues6, a fait valoir que des professionnels de la santé, même bien renseignés sur les causes complexes de l’obésité, associaient l’obésité aux stéréotypes de paresseux, stupides et inutiles. De plus, la plupart des médecins (83%) étaient moins enclins à faire un examen physique chez les patients obèses réticents et 17% admettaient leur propre réticence à faire un examen pelvien6.
L’opinion voulant que certains médecins ne composent peut-être pas convenablement avec l’obésité est aussi corroborée par des études qui font valoir que de nombreux médecins croient ne pas avoir les connaissances et la formation nécessaires pour la traiter1,7. Une étude a révélé qu’un médecin sur quatre croit ne pas être compétent du tout ou l’être seulement un peu pour traiter ce problème, tandis que 20% ne se sentent pas à l’aise ou se sentent seulement un peu à l’aise de recommander un traitement à un patient obèse8. Une étude israélienne concluait que la plupart des médecins (72%) se considéraient mal préparés pour prendre en charge des patients obèses. Quelque 60% disaient avoir des connaissances insuffisantes sur ce sujet7. Certaines données scientifiques portent à croire que les médecins ne font pas un travail adéquat dans l’identification et l’évaluation des patients obèses9. Par exemple, une étude comportant l’examen de dossiers, effectuée par O’Brien et ses collègues, révélait que les dispensateurs de soins avaient omis d’identifier l’obésité dans la moitié des examens de santé de patients obèses10.
Dans l’ensemble, les données disponibles indiquent que de nombreux médecins n’ont pas les habiletés ni les connaissances voulues pour prendre en charge les problèmes d’obésité. Cette situation pourrait contribuer à des soins sous-optimaux, tant dans la façon dont l’obésité est prise en charge que dans la façon dont les patients sont traités en général.
Obligations fiduciaires
Au Canada, les médecins (et peut-être d’autres professionnels de la santé) entretiennent une relation fiduciaire avec leurs patients. La Cour suprême du Canada a maintenu que la relation médecin-patient était de nature fiduciaire et que certains devoirs découlent effectivement de la relation spéciale de confiance entre le médecin et le patient11.
Quel rapport les obligations fiduciaires ont-elles dans ce contexte? Elles portent sur la nécessité pour les professionnels de la santé de placer au premier rang la santé des patients obèses et d’assurer qu’un parti-pris ou un stéréotypage par inadvertance ne compromet pas les soins. Si, comme l’ont démontré certaines études de recherche, de nombreux médecins évitent de traiter l’obésité12, le droit fiduciaire oblige les médecins à ne pas oublier que le bien-être des patients ne devrait pas être altéré par le fait qu’ils sont mal à l’aise avec l’obésité.
De plus, parce que le droit fiduciaire exige que les médecins évitent les conflits qui détournent leur attention du bien-être de leur patient, les considérations financières personnelles ne justifient pas des soins sous-optimaux. Plusieurs auteurs font remarquer que le remboursement marginal pour la prise en charge des problèmes de poids12 constitue un obstacle à des soins appropriés1,2. L’explication des conséquences de l’obésité pour la santé et les soins entourant le contrôle du poids prennent du temps, surtout s’il y a des problèmes d’ambivalence à changer de comportement, des complications de santé mentale et un fort degré de récidive. Le médecin de famille occupé aura peu de motivation financière à prendre le temps de s’attaquer aux problèmes d’obésité de manière complète. Par ailleurs, le droit fiduciaire stipule que de tels conflits doivent être résolus en faveur du patient. La rémunération insuffisante, même si elle n’est pas idéale, n’est pas un argument de défense pour avoir omis de remplir ses obligations fiduciaires envers le patient. Au lieu de pénaliser les patients, les associations médicales devraient chercher à négocier avec les gouvernements provinciaux pour obtenir une meilleure rémunération pour les consultations concernant le contrôle du poids.
Consentement éclairé
Pour obtenir un consentement éclairé au traitement, les médecins canadiens ont l’obligation de fournir aux patients tous les renseignements importants qu’une personne raisonnable dans la situation du patient souhaiterait connaître13. Dans l’affaire Ciarlariello c. Schacter, la Cour suprême du Canada a déclaré que «ce concept de l’autonomie individuelle forme un élément de base de la common law et est le fondement de l’obligation de divulgation envers le patient14». Dans le contexte de l’obésité, cet ensemble de droit exige du médecin d’être franc avec les patients, tout en étant respectueux, lorsqu’il discute d’obésité et de contrôle du poids. Il faut dire aux patients les risques et les répercussions de l’obésité, en particulier lorsqu’il s’agit d’une intervention médicale à venir (p. ex. elle affecte la réussite du traitement ou elle influence le temps nécessaire pour se rétablir d’une chirurgie)15. Les médecins ne devraient pas laisser leur malaise face à l’obésité nuire à une divulgation appropriée.
Le respect des tribunaux pour l’autonomie a largement eu préséance sur l’abstention de donner de l’information pour le bien-être du patient, une pratique connue sous le nom de «privilège thérapeutique»11. Autrement dit, un médecin peut très rarement utiliser son inquiétude quant à la façon dont le patient réagira à l’information comme excuse à la non-divulgation. Cela ne veut pas dire que les médecins devraient discuter de l’obésité de manière cavalière - bien au contraire. Par contre, exception faite d’une réaction psychologique grave, les lois sur le consentement exigent des médecins de trouver une façon de fournir l’information et les conseils nécessaires. Étant donné que certains patients, surtout les parents d’enfants obèses16, peuvent s’opposer à la catégorisation d’obèse ou de surplus de poids, une discussion franche posera parfois tout un défi.
Négligence contributive
La discussion avec les patients des ramifications de l’obésité et de ses répercussions possibles sur les résultats en matière de santé peut aussi servir de stratégie importante de gestion du risque. Une divulgation soigneusement consignée au dossier aidera les médecins à se défendre d’accusations de négligence lorsque l’obésité du patient ou du plaignant pourrait être un facteur pertinent. Par exemple, dans plusieurs causes de poursuite pour faute professionnelle, un tribunal a décidé que l’omission du patient se suivre les conseils médicaux avait contribué au préjudice du patient. Par conséquent, le tribunal a déclaré le patient coupable de négligence contributive et ainsi réduit les dommages-intérêts imposés au médecin intimé17,18. Ainsi, si un patient ne suit pas les conseils concernant le contrôle de son poids et que cette inaction contribue à un résultat indésirable à la suite d’un traitement médical, ce fait pourrait être important dans l’évaluation des dommages-intérêts dans une poursuite contre un médecin pour faute professionnelle.
Conclusion
À mesure que l’obésité devient un problème de santé publique de plus en plus prévalent19, il semble inévitable que sa pertinence dans les lois portant sur la faute professionnelle augmente. La connaissance des problèmes possibles peut à la fois réduire les inquiétudes à propos des poursuites et améliorer les soins reçus par les patients obèses. L’identification des questions juridiques devrait aussi contribuer à motiver des changements institutionnels qui faciliteront pour les médecins de famille la prise en charge des problèmes de poids dans leurs populations de patients. Dans de nombreuses études, on a cerné comme problème le manque de ressources appropriées et de formation. Il faudrait prendre les mesures voulues pour veiller à ce que les médecins de famille aient les habiletés, les outils et les ressources nécessaires pour respecter leurs obligations juridiques et optimiser leur rôle crucial dans la prise en charge de ce problème complexe de santé publique.
Acknowledgments
Remerciements
Je remercie Nola Ries, Barb von Tigerstrom, Kim Raine et Geoff Ball de leurs commentaires judicieux et les Instituts de recherche en santé du Canada pour leur soutien financier.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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Références
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ter Neuzen v. Korn (1995), 127 D.L.R. (4e) 577 (S.C.C.).
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McInerney v. MacDonald (1992), 93 D.L.R. (4th) 415 (S.C.C.).
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Reibl v. Hughes (1980), 114 D.L.R. (3rd) 1 (S.C.C.).
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Ciarlariello c. Schacter (1993), 2 S.C.R. 119.
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Paradis (Litigation Guardian of) c. Labow (1996), 1 O.T.C. 212.
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Dent v. Lammens (2004), O.J. No. 3495 (S.C.J.).
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Ibrahim v. Hum (2004), A.J. No. 641.
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