Abstract
OBJECTIVE
To estimate the prevalence of chronic musculoskeletal conditions in primary care. Among patients with these conditions, to estimate the mean number of comorbidities and the prevalence of chronic diseases that could deteriorate with use of nonsteroidal anti-inflammatory drugs (NSAIDs).
DESIGN
Secondary analysis of data collected for a study on the prevalence of multimorbidity.
SETTING
Twenty-one family medicine practices in the region of Saguenay, Que.
PARTICIPANTS
Two-tier sample consisting of family physicians (first tier) and their patients (second tier) recruited during consecutive consultation periods.
MAIN OUTCOME MEASURES
Percentage of patients with chronic musculoskeletal conditions. Within this sub-sample, average number of comorbidities and percentage of patients with chronic diseases, such as hypertension, cardiovascular disease, renal disease, and stomach ulcers or reflux, that could deteriorate with use of NSAIDs.
RESULTS
Among the 980 patients in the database, 58% had chronic musculoskeletal conditions. Average age of patients was 56 years. Among patients with these conditions,the number of comorbidities ranged from 0 to 11; the average number was 4. About 49% of patients had hypertension; 31% had cardiovascular disease; 31% had urinary problems or renal disease; and 17% had stomach ulcers or reflux. About 70% of patients with chronic musculoskeletal conditions had at least 1 of the 4 comorbidities mentioned.
CONCLUSION
More than half the patients who consult in primary care have chronic musculoskeletal conditions. The average number of comorbidities these patients have is high; many present with comorbidities that can deteriorate with use of NSAIDs. Family physicians must, therefore, exercise caution when using NSAIDs for patients with musculoskeletal conditions.
Les conditions musculo-squelettiques chroniques sont fréquentes en première ligne1–3. Une étude canadienne a estimé à 15,5 millions le nombre de visites pour des problèmes musculo-squelettiques sur une période d’un an (1998–99)1. Environ 24% des canadiens avaient consulté au moins 1 fois pour ce type de problèmes et 88% avaient vu un médecin de première ligne. La douleur qui en découle entraîne un grand nombre de prescriptions d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) qui sont parmi les médicaments les plus prescrits. Pendant l’année 1999–2000, 111 400 000 prescriptions ont été faites aux Etats-Unis4. La prévalence de l’usage hebdomadaire d’AINS parmi les personnes de 65 ans et plus a été évaluée à 70%5.
L’usage d’AINS augmente le risque d’événements gastro-intestinaux6,7. Lors de la prise d’AINS, 35% des patients développent de la dyspepsie requérant un traitement8. Les AINS traditionnels et les inhibiteurs sélectifs de la cyclooxygénase-2 doivent également être utilisés avec prudence chez les patients atteints de maladie cardio-vasculaire ou cardio-rénale incluant l’hypertension en raison du risque de détérioration de ces conditions chroniques9.
Alors qu’il existe une controverse concernant l’impact des comorbidités sur le risque d’un événement gastrointestinal lié aux AINS, la présence d’une condition comorbide significative accroît le risque de mortalité chez les patients qui développent des complications gastro-intestinales10,11. Or, selon plusieurs études, une forte proportion de patients qui consultent en première ligne présentent plusieurs problèmes de santé chroniques simultanément12–14. Dans une étude italienne, des comorbidités étaient présentes chez 80% des patients hospitalisés atteints d’arthrite rhumatoïde15. Les problèmes cardiovasculaires (34,6%) incluant l’hypertension (14,5%) et l’angine (3,5%) ainsi que les maladies gastro-intestinales (24,5%) étaient les comorbidités les plus fréquentes. Nous n’avons recensé aucune étude portant sur les comorbidités associées aux conditions musculo-squelettiques chroniques parmi les patients qui consultent en première ligne. La prévalence des conditions musculo-squelettiques chroniques et des comorbidités qui y sont associées se doit d’être évaluée parmi les patients qui consultent en première ligne afin de mieux objectiver l’ampleur de cette problématique et de sensibiliser les médecins de famille à son importance.
Les objectifs de la présente étude étaient d’estimer la prévalence des conditions musculo-squelettiques chroniques en première ligne et, parmi les patients atteints de ces conditions, d’estimer le nombre moyen de comorbidités et la prévalence des maladies chroniques pouvant se détériorer avec la prise d’AINS (maladies cardio-vasculaires, hypertension, insuffisance rénale et problèmes digestifs hauts).
MÉTHODE
Devis et contexte
La présente étude consistait en une analyse secondaire de données collectées dans le cadre d’une étude sur la prévalence de la multimorbidité chez les adultes suivis en médecine de famille dans la région du Saguenay, Qué, de décembre 2002 à juillet 200312. Cette région compte une population de 150 000 personnes approximativement, vivant dans une ville principale et plusieurs petites villes satellites. L’âge, le niveau d’éducation, le revenu médian par ménage et le statut socio-économique des résidents sont comparables à ceux des autres canadiens à l’exception du taux de chômage (8,5% comparativement à 6,2%)16,17.
La région du Saguenay dénombre environ 130 médecins de famille, parmi lesquels 80% ont une pratique de médecine générale et travaillent en cabinet privé ou en institution. La proportion de médecins de famille par rapport aux patients (8,7 pour 10 000) est comparable à celle des régions où vivent 47% des canadiens18.
Modalités d’échantillonnage et sélection des participants
Nous avons utilisé un plan d’échantillonnage à 2 niveaux. Le premier niveau correspondait à la population des médecins de famille contactés, le second aux patients des médecins recrutés. La méthodologie et les stratégies d’échantillonnage sont décrits en détail dans une autre publication12. En résumé, 119 médecins de famille considérés admissibles ont été contactés, 86 ont donné réponse et 27 ont accepté de participer. L’échantillon final comprenait 21 médecins (16 en pratique privée et 5 en institution), 6 s’étant désistés avant le début de la collecte des données. Pour être admissibles, les médecins devaient avoir une pratique générale de première ligne en cabinet privé ou en institution incluant des adultes de tous âges avec des dossiers médicaux facilement accessibles. Le tableau 1 résume les caractéristiques des médecins participants et non participants. Les patients adultes (18 ans et plus) étaient sollicités pendant des périodes consécutives de consultation. Étaient exclus les patients incapables de consentir ou de lire le formulaire de consentement et les femmes enceintes. Le comité d’éthique du Centre de santé et de services sociaux de Chicoutimi, Qué, avait approuvé cette étude.
Collecte de données
Une infirmière de recherche révisait le dossier médical des participants afin d’extraire une liste des conditions chroniques diagnostiquées par le médecin de famille en se servant de la définition de l’Organisation mondiale de la santé soit «des problèmes de santé requérant une prise en charge sur une période d’années ou de décennies»19. Les conditions musculo-squelettiques chroniques comprenaient l’arthrite, le rhumatisme, l’arthrose, la lombalgie ou la cervicalgie chronique, l’ostéoporose, la fibromyalgie, la capsulite ou tout autre problème chronique significatif des os, des articulations, des muscles ou des tendons. Le tableau 2 détaille les comorbidités extraites du dossier médical. Le processus d’extraction de données avait déjà été validé dans d’autres études12,20.
Analyses statistiques
Toutes les analyses statistiques ont été faites avec SPSS version 13.0. Le niveau de signification a été fixé à 0,05. Les caractéristiques des médecins participants et non participants ont été comparées en utilisant le test exact de Fisher ou le test t de Student. Le coefficient de corrélation intra-classe calculé étant très bas (0,03) au niveau des médecins, l’analyse de prévalence a donc été faite au niveau des patients seulement. Les intervalles de confiance à 95% ont été calculés.
RÉSULTATS
Le recrutement et la collecte de données se sont échelonnés de décembre 2002 à juillet 2003. Parmi les patients des médecins participants, 1 085 ont été approchés et 980 (90,3%) ont accepté de participer. Le profil des patients ayant refusé de participer à l’étude ne pouvait être déterminé. Le nombre de patients par médecin variait de 17 à 111 avec une moyenne de 46,7. La moyenne d’âge des patients était de 58,2 ans pour les hommes et de 54,9 ans pour les femmes12.
La prévalence des conditions musculo-squelettiques chroniques s’élevait à 58% pour l’ensemble de l’échantillon (78% chez les femmes de 65 ans et plus). La figure 1 indique la prévalence selon l’âge et le sexe.
Parmi les patients atteints de conditions musculo-squelettiques, le nombre de toutes les comorbidités confondues variait de 0 à 11 pour une moyenne de 4. Le nombre moyen de comorbidités était de 3 chez les hommes et les femmes de 18 à 64 ans et de 6 et 5 respectivement chez les hommes et les femmes de 65 ans et plus.
Dans cet échantillon de patients atteints de conditions musculo-squelettiques chroniques, 49% présentaient de l’hypertension, 31% des maladies cardiaques, 31% des troubles urinaires ou maladies du rein et 17% des ulcères d’estomac ou du reflux (tableau 3). La figure 2 présente ces prévalences en fonction de l’âge et du sexe. Plus de 90% des patients de 65 ans et plus présentaient au moins une de ces 4 comorbidités et 89% des hommes ainsi que 56% des femmes en avaient 2 ou plus.
DISCUSSION
Cette étude rapporte les premières données canadiennes de prévalence et de comorbidité des conditions musculo-squelettiques chroniques en première ligne à partir d’une revue exhaustive de dossiers. Plus de la moitié des patients qui consultent en première ligne présentent des conditions musculo-squelettiques chroniques. Ce chiffre s’élève à plus de 75% chez les femmes de 65 ans et plus. Parmi les patients atteints de conditions musculo-squelettiques, le nombre moyen de toutes les comorbidités est élevé. Plusieurs présentent une ou des maladies chroniques qui peuvent se détériorer avec l’usage d’AINS, particulièrement dans le groupe plus âgé.
La prévalence des problèmes musculo-squelettiques est supérieure à celle relevée dans d’autres études utilisant le motif de la consultation21,22 comme source de données. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cet écart. Une revue de dossiers permet de dresser un tableau très exhaustif de la réalité. De plus, nous avons interprété le terme «conditions musculo-squelettiques» pour inclure tous les diagnostics pertinents incluant des douleurs chroniques (cervicalgie ou lombalgie chronique) car ces problèmes entraînent souvent la prescription d’AINS. Ensuite, un échantillonnage lors de visites consécutives peut sélectionner davantage de patients qui consultent fréquemment donc plus susceptibles d’avoirdifférents problèmes de santé23.
Finalement, la pénurie de médecins spécialistes particulièrement en rhumatologie et en orthopédie peut expliquer une partie de cette prévalence élevée de conditions musculo-squelettiques en première ligne. Cette problématique est probablement commune à d’autres régions semiurbaines ou rurales canadiennes dans un contexte de pénurie des effectifs médicaux18.
Ces résultats interpellent le médecin de famille dans sa prise en charge des patients atteints de conditions musculo-squelettiques. Il doit avoir la formation requise pour assurer une prise en charge adéquate de cette clientèle. Une étude américaine en milieu rural démontrait un écart entre le degré de confort du médecin et la prévalence de ces maladies21. La présence de plusieurs comorbidités peut complexifier l’évaluation, le traitement et les répercussions des problèmes musculo-squelettiques en augmentant la détresse psychologique24 et en interférant davantage sur le niveau fonctionnel, la douleur et la qualité de vie25.
La proportion élevée de patients atteints de problèmes musculo-squelettiques et d’au moins une comorbidité pouvant se détériorer avec l’usage d’AINS vient appuyer les recommandations pour le traitement de la douleur musculo-squelettique modérée à sévère. Ces recommandations privilégient l’usage d’acétaminophène comme traitement de base de la douleur. Lorsqu’une analgésie supplémentaire est requise, l’ajout d’opioïdes faibles est suggérée en raison de leurs profils gastro-intestinal et cardiovasculaire plus favorables que celui des AINS9. Le médecin de famille doit garder en tête que la présence d’une condition comorbide significative accroît le risque de mortalité chez les patients qui développent des complications gastro-intestinales10,11. Ces précautions deviennent d’autant plus importantes pour les patients plus âgés.D’autres études sont requisespour préciser le degré de confort des médecins et leurs besoins de formation dans la prise en charge des patients atteints de problèmes musculo-squelettiques, en particulier ceux qui présentent des comorbidités. Il serait également pertinent d’évaluer le degré de diffusion et d’application des recommandations concernant la prise en charge de la douleur musculo-squelettique en présence de comorbidités.
Limitations
Les données obtenues représentent des estimés des prévalences réelles. Un échantillon aléatoire des patients de chaque médecin aurait été requis pour mesurer la prévalence plus précisément chez la population qui consulte. Un échantillonnage lors de visites consécutives risque de sélectionner davantage de patients qui consultent fréquemment23. L’inclusion de médecins volontaires a également pu introduire un biais de sélection. D’autres facteurs pourraient réduire la généralisabilité de cette étude tels le nombre limité de médecins participants et le ratio femmehomme excédant celui de la population générale.
Étant donné qu’il s’agissait d’une analyse secondaire de banque de données, la prévalence de chacune des conditions musculo-squelettiques chroniques ne pouvait être précisée. De plus, la définition de certaines comorbidités était limitée. Par exemple, les problèmes rénaux incluaient également des troubles urinaires qui n’ont pas ou peu d’impact lors de l’usage d’AINS. La mesure de la comorbidité était limitée à un nombre de problèmes de santé chroniques et ne tenait pas compte de la sévérité de ces conditions. Les données disponibles ne permettaient pas de se prononcer de façon fiable sur la prise d’AINS ou d’opioïdes dans cette population. Cependant, en dépit de ces quelques limitations, cette étude donne tout de même un bon aperçu de la prévalence des conditions musculo-squelettiques et de leur comorbidité en première ligne.
Conclusion
Plus de la moitié des patients qui consultent en première ligne présentent des conditions musculo-squelettiques chroniques. Le nombre moyen de comorbidités parmi ces patients est élevé et plusieurs présentent des maladies chroniques qui peuvent se détériorer avec l’usage d’AINS. Le médecin de famille doit donc demeurer vigilant avec l’utilisation d’AINS dans cette clientèle.
Notes
EDITOR’S KEY POINTS
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This research estimates the prevalence of chronic musculoskeletal conditions and associated comorbidities among patients consulting in primary care.
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More than 90% of elderly patients (=65 years) had 1 of the following comorbidities: hypertension, cardiovascular disease, urinary problems or renal disease, and stomach ulcer or reflux.
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The high number of people with musculoskeletal conditions and at least 1 comorbidity that could deteriorate with use of NSAIDs should lead physicians to consider acetaminophen or opioids for managing pain.
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
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Cette recherche estime la prévalence des conditions musculo-squelettiques chroniques et des comorbidités associées chez les patients qui consultent en première ligne.
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Plus de 90% des patients ayant 65 ans et plus présentent l’une ou l’autre des comorbidités suivantes: hypertension, maladie cardiovasculaire, maladie urinaire ou rénale, ulcère d’estomac ou reflux.
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La proportion élevée de patients atteints de problèmes musculo-squelettiques et d’au moins une comorbiditépouvant sedétériorer avec l’usage d’AINS vient appuyer l’usage de l’acétaminophène ou l’ajout d’opioïdes pour le soulagement de la douleur.
Footnotes
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Collaborateurs
Drs Hudon, Fortin et Soubhi ont collaboré à la conception et au design de cette étude, à la collecte, l’analyse et l’interprétation des données, ainsi qu’à la préparation de cet article aux fins de publication.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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*Full text is available in French at www.cfp.ca.
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