Quel est le problème?
Une résidente vient voir son précepteur pour discuter d’un cas. Elle est anxieuse, frustrée et a désespérément besoin d’aide. Elle vient de passer une demiheure avec un patient et elle a l’impression de n’avoir aucune idée du diagnostic à poser ni de ce qu’elle pourrait offrir. Le patient est aussi frustré et de plus en plus exigeant. À mesure que progresse la discussion, il est apparent que la résidente a commencé à se cramponner à un seul diagnostic, ce qui élimine trop vite d’autres possibilités, veut prescrire des analyses qui sont probablement inutiles et commence à parler du patient d’un ton condescendant, aliénant et ponctué de blâme. Il semble probable que cette rencontre se soldera par beaucoup de détresse de part et d’autre.
En tant qu’enseignants, nous sommes trop souvent témoins de ce scénario ou de l’une de ses variantes. C’est difficile pour le résident, mais aussi pour la plupart d’entre nous, puisque nous n’avons jamais développé un profil de compétences ou un langage pour faire face de manière constructive à ce genre de situation. Notre formation insiste surtout sur l’accroissement de notre base de connaissances, le perfectionnement de nos habiletés à accéder aux données probantes et le raffinement de notre raisonnement clinique, tous au service de la fausse hypothèse voulant que chaque problème clinique ait une solution. Cette situation n’est pas unique aux soins primaires, mais ces derniers sont un environnement particulièrement propice à la faible probabilité de maladie et aux présentations indifférenciées. Il est fort probable aussi que le médecin de famille demeure un élément stable et à long terme du cheminement clinique du patient, contrairement au spécialiste qui peut hausser les épaules et le renvoyer à son médecin de famille. L’incertitude clinique et l’intolérance des médecins à son égard ont été associées à une hausse du nombre d’analyses prescrites et de l’utilisation générale des ressources en santé1,2, en dépit des données scientifiques disant que les patients ne veulent pas nécessairement d’interventions somatiques3. L’anxiété créée par l’incertitude a aussi été associée à une satisfaction professionnelle moindre4.
L’expérience des étudiants quant à l’incertitude
Les étudiants en médecine sont dans une phase d’expansion rapide de leur base de connaissances. Ils développent de bonnes habiletés en raisonnement clinique et comprennent comment «être avec» les patients. Cependant, une chose dont on ne discute pas beaucoup, c’est le rôle de la compétence perçue. En tant qu’étudiants, nous avons tendance à éviter les situations qui révèlent notre incertitude ou, quand c’est impossible de le faire, nous la déguisons ou la repositionnons comme étant le problème d’autrui5. L’étudiant déploie beaucoup d’efforts pour maintenir la «toge de la compétence», une technique de survie qui s’inscrirait bien dans la hiérarchie des besoins de Maslow, car elle se transpose aisément dans la jungle de la formation médicale. Comme l’expliquait Fox en 1957, notre incertitude pourrait être le résultat de nos limites, des ambigüités dans la base du savoir médical ou de notre maîtrise incomplète de cette base de connaissances6. Une grande partie de notre anxiété en début de carrière vient du fait que nous ne savons pas faire la distinction.
Le jeu de la certitude et de l’incertitude dans la rencontre clinique
Du moment où nous prenons connaissance du problème du patient (p. ex. la note de l’infirmière dans le dossier dit «mal de tête») jusqu’à ce que nous jugions la rencontre terminée, nous traversons une trajectoire émotionnelle décrite comme une courbe de tension clinique7. Notre tension et notre anxiété augmentent durant la rencontre clinique, et ce n’est pas seulement en réaction à la révélation de données qui sont difficiles à interpréter ou à résumer. D’autres circonstances, comme les émotions du patient, les pressions liées au temps, la fatigue du médecin ou une surcharge cognitive, aggravent la situation. En bout de ligne, nous espérons qu’une solution nous permette de terminer la rencontre avec moins de tension. Dans le meilleur des scénarios, cette solution peut être un diagnostic posé en toute confiance, un plan thérapeutique ou une reformulation de la situation qui maintient l’engagement avec le patient et soulage l’anxiété. Autrement dit, la conclusion d’une rencontre vient de l’atteinte d’un degré de certitude que le médecin et le patient peuvent tous deux préserver en toute confiance.
Dans les pires scénarios, nous forçons une solution en imposant ou en acceptant un test ou une prescription inutile, en blâmant le patient de notre incapacité d’expliquer ce qui se passe ou en prenant un raccourci dans le raisonnement clinique pour en arriver à un diagnostic erroné. Ces réactions, parfois appelées conclusions prématurées, coûtent cher. Elles sont la cause principale des erreurs médicales8. Elles peuvent faire en sorte que le patient se sente aliéné ou incompris. Nos propres anxiétés, quoique brièvement soulagées, peuvent revenir nous hanter en soirée ou un autre jour, quand nous verrons le nom du patient sur notre liste. La conclusion prématurée est une tentative, vouée à l’échec, d’imposer à une situation un plus grand degré de certitude qu’elle ne le mérite.
Aider les étudiants à obtenir de meilleurs résultats
Quelques simples stratégies peuvent améliorer l’issue de ces rencontres pour nos patients et nos étudiants. (Nous croyons qu’elles rehaussent aussi la satisfaction du clinicien enseignant.) Nous avons cerné ces stratégies dans les ouvrages spécialisés et à partir de notre propre expérience en tant qu’enseignants. La recherche sur l’efficacité de l’enseignement de telles approches est limitée si l’on se fie au meilleur de nos connaissances.
Se préoccuper des émotions
Si nous commençons par encourager nos étudiants à être conscients des réactions émotionnelles et à mieux comprendre ce qui déclenche ces réactions, nous établissons une base pour mieux résoudre les problèmes. En normalisant et en sollicitant une réponse (p. ex. «Que ressentez-vous?» «Ce sentiment est normal.» «Qu’est-ce qui vous fait sentir ainsi?»), nous commençons à mettre en lumière la panoplie de facteurs qui suscitent cette sensation désagréable. Nous pouvons enseigner aux résidents à s’examiner eux-mêmes quand ils se rendent compte que la température monte dans les moments de tension clinique. Avant tout, ce faisant, nous commençons à changer le focus du problème: au lieu de blâmer les patients de mal expliquer la chronologie des symptômes, d’être des somatisateurs, des quémandeurs de drogues ou des fainéants, on se concentre sur la base de connaissances des étudiants, le raisonnement clinique, les relations avec les patients et d’autres pressions de la journée qui compliquent ces rencontres.
Ralentir le raisonnement clinique
Dans les cas où les diagnostics ou les plans thérapeutiques ne sont pas évidents, les étudiants pourraient procéder trop rapidement. Ils pourraient rechercher une tendance qui ressemble à ce qu’ils reconnaissent aisément. Étant le clinicien expérimenté, vous seriez capable de voir des tendances qu’ils ne voient pas ou pourriez savoir qu’il vaut mieux abandonner la reconnaissance des tendances pour en revenir au difficile travail de la mise à l’épreuve étape par étape des hypothèses. Autrement dit, le cas bénéficierait qu’on y accorde plus de temps, à revoir en profondeur les données, à ressortir de nouvelles idées pour adopter une nouvelle piste de raisonnement9. Nous devons mettre en évidence pour nos étudiants les satisfactions intellectuelles et relationnelles procurées par la recherche de ce qui est particulier et unique dans la personne en face de nous, au lieu de chercher à la classer dans une catégorie reconnaissable.
Explorer la certitude au sein de l’incertitude
Nous pouvons être incertains de notre incertitude. Nous ne connaissons peut-être pas le diagnostic exact ou nous ne pouvons pas expliquer complètement ce qui se passe, mais il y a quand même des parties du problème au sujet desquelles nous sommes certains. Nous pouvons être sûrs que le patient est en sécurité et que son problème physique ou mental ne le met pas en danger. Nous pouvons être certains à propos de certains aspects de la pathophysiologie (p. ex. «Vous avez clairement des spasmes musculaires et une certaine inflammation articulaire, mais je ne suis pas absolument sûr de la cause.»). Nous pouvons aussi avoir la certitude de ce que le problème n’est pas. Nous devons enseigner à nos étudiants à ne pas se sentir démolis par ce qu’ils ne savent pas, mais à plutôt être capables d’identifier et de décrire ce qu’ils savent effectivement et dont ils ont la certitude.
Rejoindre le patient
Une fois que les étudiants ont pris le temps de suivre les étapes qui précèdent, ils sont bien placés pour passer à une relation avec le patient plutôt que de contrôler ou la rencontre. Cette mesure repose sur la notion familière des soins centrés sur le patient, où nous cherchons à comprendre les attentes, les sentiments et les idées des patients. Les soins centrés sur le patient, l’empathie et le style du partenariat ont fait l’objet de nombreuses recherches, et il est démontré qu’ils ont un effet positif sur la satisfaction et les résultats en matière de santé10. Nous pouvons rappeler aux étudiants d’avouer leur propre incertitude au patient, de valider les symptômes du patients et sa réaction émotionnelle ainsi que la leur, de réfléchir tout haut avec le patient à propos du processus analytique jusqu’à présent et pour l’avenir, et de s’engager à «rester» avec le patient pendant qu’on explore des possibilités ou des stratégies pour améliorer la situation. Ce processus de «rejoindre» le patient comporte une reformulation du problème, de concert avec le patient, de manière à ce que la stratégie cherche moins à en arriver à un diagnostic ou à un traitement définitif et davantage à trouver une explication partielle ou un plan d’action provisoire et de prendre l’engagement d’accompagner le patient durant tout ce temps.
En venir à une entente (pour aujourd’hui)
Il est rarement possible d’accomplir tout cela durant une seule rencontre. Heureusement, en médecine familiale, nous avons de nombreuses possibilités de revoir la situation avec les étudiants et les patients. Quelle que soit la rencontre, nous pouvons présenter aux étudiants certaines parties de cette approche et les encourager à se préoccuper de la prise en charge des symptômes et du fonctionnement. Cela permet d’atténuer dans une certaine mesure la tension clinique, d’éviter des erreurs, d’aliéner le patient et de procéder à des investigations ou à des traitements inutiles.
Notes
CONSEILS POUR L’ENSEIGNEMENT
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L’incertitude clinique est courante en pratique familiale et il est important que les étudiants développent la capacité de la reconnaître et de la gérer.
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À défaut de reconnaître l’incertitude clinique et d’y faire face, les étudiants peuvent finir par ressentir de l’insatisfaction, ce qui peut entraîner des conséquences nuisibles pour les patients et pour eux-mêmes.
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Les enseignants peuvent utiliser de simples stratégies pour aider les étudiants à reconnaître l’incertitude clinique et à savoir y faire face, notamment en se préoccupant des émotions, en mettant un frein au raisonnement clinique, en explorant la certitude au sein de l’incertitude, en rejoignant le patient et en en arrivant à une entente (au moins pour aujourd’hui).
TEACHING TIPS
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Clinical uncertainty is common in the family practice setting, and learning to recognize and manage it is an important skill for learners to develop.
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Failure of learners to recognize and deal with clinical uncertainty can lead to unsatisfactory and even harmful outcomes for both patients and learners.
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Teachers can apply simple strategies to help learners recognize and effectively deal with clinical uncertainty, including tending to emotions, slowing down clinical reasoning, exploring certainty within uncertainty, joining with the patient, and achieving resolution (at least for today).
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada. La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en insistant sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Allyn Walsh, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement à walsha{at}mcmaster.ca.
Footnotes
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This article is also in English on page 120.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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