Quand je suis sorti de l’hôpital, j’en savais énormément. Le problème, c’est que les patients n’avaient rien que je connaisse.
Dr Martin Bass (traduction libre)
Cette citation est tirée de la 33e Allocution William Arnold Conolly, prononcée par Max Kamien à Melbourne, en Australie, en 20041. Dr Kamien était un ami du regretté Dr Bass, qui avait décrit en ces mots sa première aventure en médecine générale. C’est un sentiment que tous les médecins de famille connaissent bien, même parfois après de nombreuses années de pratique.
Depuis les 2 dernières décennies, tous les pays en développement sont aux prises avec un déclin de l’effectif médical en soins primaires2–4. Au Canada, la proportion d’étudiants qui choisissent la médecine familiale est passée de 44 % au début des années 1990 à un faible 25 % en 20035. Depuis, ce taux a grimpé à 31 % (en 2008 et 2009), mais n’a pas atteint l’objectif de 45 % que s’était fixé le Collège des médecins de famille du Canada6. Par conséquent, de nombreux Canadiens n’ont toujours pas leur propre médecin de famille. Plusieurs facteurs ont contribué au déclin de l’intérêt des étudiants en médecine pour une carrière en médecine familiale, notamment les plus faibles prestige et rémunération des médecins de famille, l’effet de la dette accumulée pendant la formation médicale et l’influence du «curriculum caché» durant les études de médecine7–9.
Au cours des dernières années, Le Médecin de famille canadien a publié des articles de recherche de grande qualité et inspirants se penchant sur ces tendances. Dans ce numéro, nous présentons l’étude de Vanasse et ses collègues (page e216), qui utilisent les données du Sondage national de médecins de 2007 pour examiner les facteurs qui influencent la décision de choisir ou non la médecine familiale comme profession10. Leur étude a porté sur des étudiants durant les étapes préclinique et clinique de leur formation et ils ont découvert que moins du tiers d’un groupe ou de l’autre envisageaient de poursuivre en médecine familiale. Évidemment, les étudiants qui voulaient faire une résidence plus courte étaient 9 fois plus prédisposés à souhaiter aller en médecine familiale. Parmi les autres facteurs qui influençaient favorablement la préférence à l’endroit d’une carrière en médecine familiale, il y avait aussi la volonté de s’impliquer en santé publique et la possibilité d’avoir des heures de travail flexibles. Réciproquement, les étudiants intéressés par les spécialités les mieux rémunérées ou par une carrière en recherche étaient moins enclins à préférer la médecine familiale.
Dans le numéro de janvier 2011 du Médecin de famille canadien, Woloschuk et ses collaborateurs avaient tenté de démystifier le «curriculum caché» (qui dénigre la médecine familiale)11. Ils ont examiné le rendement scolaire et ont trouvé que ceux qui choisissaient la médecine familiale réussissaient aussi bien que ceux qui optaient pour d’autres spécialités. Ces résultats contredisent l’un des thèmes du curriculum caché à l’effet que les étudiants qui choisissent la médecine familiale sont moins accomplis sur le plan scolaire.
L’approche dans la formation offerte par nos facultés de médecine demeure principalement axée sur les maladies, et l’enseignement au cours des années précliniques et cliniques est encore assuré en majorité par des spécialistes autres que des médecins de famille. Outre les effets pernicieux du curriculum caché, il se pourrait que les étudiants en médecine, qui font l’expérience de la médecine familiale dans les dernières étapes de leur formation, trouvent que les patients n’ont rien de ce qu’ils ont appris et choisissent ainsi une pratique centrée sur les maladies avec lesquelles ils sont plus familiers.
La médecine familiale se distingue de la médecine spécialisée dans son approche et elle exige le summum de ce que nous avons à offrir. Comme McWhinney l’a dit avec tant de sagesse, la médecine familiale est fondamentalement différente: c’est la seule discipline qui se définisse en termes de relations, en particulier la relation médecin-patient; les médecins de famille ont tendance à voir le patient en tant qu’individu et non comme des abstractions généralisées; la médecine familiale se fonde sur une métaphore organismique plutôt que mécanistique de la biologie; et la médecine familiale est le seul domaine majeur qui transcende la division dualiste entre l’esprit et le corps12.
L’idée d’attirer les meilleurs et les plus brillants et de les mettre au défi d’envisager la médecine familiale, non seulement en raison de ses défis humanistes, mais à cause de ses défis intellectuels uniques, est attrayante13. Mais, il faut plus encore. Il est essentiel que les médecins de famille jouent un bien plus grand rôle dans l’élaboration du cursus et dans l’enseignement durant les années précliniques et cliniques. Ce n’est qu’alors que nous pourrons démontrer aux étudiants l’attrait immense et l’importance considérable du fait d’être différents. Ce n’est qu’alors que nous pourrons les préparer de manière appropriée.
Footnotes
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This article is also in English on page 643.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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