Les données actuelles démontrent que près de 40% des Canadiennes et 45% des Canadiens seront atteints d’un cancer au cours de leur vie1. En plus des maux physiques reliés à l’atteinte de l’organe ou du système affecté, le cancer est source de souffrance2,3. Au cours de la maladie ou de son traitement, la personne affectée peut souffrir de fatigue, de troubles du sommeil ou de douleurs. Des symptômes dépressifs ou anxieux peuvent aussi apparaître, affectant le malade au niveau psychologique et social.
Les recherches et les avancées récentes dans le domaine de l’oncologie sont responsables de l’amélioration de la durée de survie4. Il incombe à l’équipe soignante, et au médecin de famille notamment, de s’assurer que cette amélioration de l’espérance de vie s’accompagne d’un meilleur soulagement des symptômes susceptibles d’apparaître en lien avec la maladie ou son traitement. À cet effet, depuis la dernière décennie, le domaine des thérapies complémentaires et alternatives fait l’objet d’un engouement en constante progression. Le but premier de ces approches est une amélioration de la qualité de vie en s’attaquant aux symptômes incommodants pour le patient5. Parmi celles-ci, on retrouve la massothérapie, l’acupuncture, l’aromathérapie et le yoga thérapeutique. Ce dernier se décrit comme une technique intégrant la pratique et la philosophie du yoga pour améliorer la santé et le bien-être des individus, en leur permettant de prendre une part active à leur traitement6–8.
L’objectif de cette revue de littérature est de déterminer si le yoga thérapeutique a des effets sur la symptomatologie d’une population affectée par le cancer. Si tel est le cas, il s’agira de savoir si l’amélioration des symptômes se répercute favorablement sur la qualité de vie des individus.
SOURCES DES DONNÉES
Le but de notre recherche est de retracer dans la littérature les articles évaluant l’effet du yoga sur la qualité de vie de patients atteints de cancer. En utilisant yoga comme mot-clé dans la base de données MEDLINE (1950–2010), le nombre de résultats s’est élevé à 1465. En le combinant au mot-clé cancer, 83 articles ont été identifiés. Afin de cibler davantage la recherche, le motclé quality of life a été ajouté à la séquence, laissant 34 articles. Puisque la recherche s’est limitée à la population adulte, ainsi qu’aux seuls articles publiés en français ou en anglais, 32 publications ont été retenues.
SÉLECTION DES ÉTUDES
Parmi les articles identifiés, nous avons choisi d’exclure les études dont l’intervention portait sur des approches qui intégraient, en plus du yoga, des techniques de réduction du stress par la pleine conscience. Les études randomisées contrôlées sont traitées en priorité par rapport aux éditoriaux, aux cas cliniques ou aux articles généraux portant sur l’ensemble des thérapies psychocorporelles. Ensuite, nous avons limité l’analyse formelle aux sujets dont le cancer était récemment diagnostiqué (en cours de traitement ou non), plutôt qu’en rémission. Les résultats des études produites en Amérique du Nord, plus applicables à la population canadienne, ont été privilégiés dans la synthèse. Notons que la méthodologie basée sur la méta-analyse n’a pas été retenue ici en raison de la grande variabilité des interventions proposées, soit en termes de style, de contenu ou de durée.
SYNTHÈSE
Des données préliminaires laissent entendre que le yoga compte parmi les thérapies complémentaires et alternatives les plus populaires9 et les plus susceptibles d’améliorer la qualité de vie10. Voyons d’abord si ces informations ont été confirmées par les études cliniques randomisées produites en Amérique du Nord (Tableau 111–14).
Une première étude réalisée par Chandwani et coll.11 a évalué l’effet du yoga sur la qualité de vie d’un groupe de femmes qui débutait un traitement de radiothérapie suite à un diagnostic de cancer du sein, en comparaison à un groupe similaire placé sur une liste d’attente. Les résultats ont démontré dans le groupe-yoga une amélioration du score de fonctionnement physique et de perception de l’état de santé une semaine après la fin des traitements. Toutefois, le niveau de pensées intrusives s’accentuait 1 mois plus tard. Trois mois après la fin des traitements, les patientes qui s’étaient adonnées au yoga percevaient une impression plus grande de bénéfices. Les auteurs ont ensuite établi une corrélation entre ces 2 dernières trouvailles, laissant croire que des pensées intrusives plus marquées aient pu être impliquées dans le processus d’assimilation et d’adaptation à l’expérience souffrante qu’est la maladie. Le yoga n’a pas eu d’impact sur les autres paramètres mesurés.
Danhauer et coll.12 a effectué une étude sur l’effet du yoga chez une population de femmes atteintes de cancer du sein. On y a observé une amélioration non significative de la qualité de vie dans le groupe-yoga, laquelle amélioration est devenue significative (P ≤ ,0009), lorsqu’on s’en tenait à la composante spirituelle du bien-être. Les scores évaluant l’état mental (P = ,004), les symptômes dépressifs (P = ,026) et les affects positifs (P = ,01) favorisaient le groupe-yoga de manière significative. En outre, on remarque que les femmes plus fragiles psychologiquement ont été plus susceptibles de bénéficier des effets du yoga, de même que les patientes plus assidues dans leurs pratiques.
L’objectif principal de l’étude de Moadel et coll.13 était de déterminer si le yoga avait des effets sur la qualité de vie. Bien qu’aucune différence significative n’ait été mise en évidence au niveau de la qualité de vie globale, il semble que la portion de la grille évaluant le bien-être et le niveau de fonctionnement social se soit améliorée dans le groupe-yoga. De plus, une analyse secondaire portant seulement sur les patientes ayant terminé leur traitement, évoquait la possibilité d’une amélioration de la qualité de vie globale chez le groupe-yoga comparativement à une détérioration de la qualité de vie chez le groupe-contrôle.
L’étude de Cohen et coll.14 a cherché à évaluer l’effet du yoga sur les symptômes de fatigue et les perturbations du sommeil de patients atteints de lymphome. L’évaluation de l’état de détresse et des symptômes anxieux et dépressifs faisaient partie des objectifs secondaires. L’étude n’est pas parvenue pas à mettre en lumière de différence statistiquement significative entre les 2 groupes au niveau de la fatigue. Cependant, plusieurs éléments de la grille d’évaluation de la qualité du sommeil s’étaient améliorés en cours d’étude dans le groupe-yoga. Pour les auteurs, cette trouvaille a été jugée intéressante à long terme puisqu’il est reconnu qu’un meilleur sommeil affecte positivement l’état de santé global, la tolérance à la douleur, la qualité de vie et les symptômes dépressifs15,16.
D’autres études ont été réalisées en Inde17,18 et en Turquie19 (Tableau 217–19). Bien qu’il faille être prudent quant à la transposition des résultats à la population canadienne, le yoga ne faisant pas partie des mœurs locales, elles ont tout de même apporté des éléments nouveaux quant à sa capacité à soulager certains symptômes physiques (nausées et vomissements17, fatigue, insomnie et anorexie18).
Quelques études, limitées au plan méthodologique en raison de l’absence de groupe-contrôle, ont démontré l’amélioration significative de plusieurs éléments impliqués dans la mesure de la qualité de vie de personnes ayant reçu un diagnostic de cancer du sein (P < ,01) ou de l’ovaire au cours des 2 dernières années (P < ,05)20 ou ayant souffert d’un cancer au cours des 6 derniers mois (P ≤ ,001)21 (Tableau 320,21). Des commentaires favorables ont également été recueillis au terme de l’intervention témoignant du niveau d’appréciation.
DISCUSSION
Différentes populations de patients ont fait l’objet d’études dont les résultats ont été très satisfaisants: patients hypertendus22, patients asthmatiques23, patients affligés de lombalgie24,25 ou de dépression26. Toutefois, le nombre restreint de sujets dans les recherches effectuées auprès de populations oncologiques a pu affecter la puissance statistique, et par là, expliquer l’absence de résultats significatifs dans l’évaluation de plusieurs paramètres.
De plus, dans la plupart des études en oncologie, l’absence d’intervention proposée au groupe-contrôle laisse perplexe quant à l’interprétation des bénéfices11–14. Il se peut que l’effet trouvé n’ait été que le reflet de la participation à une activité de socialisation ou à une activité physique qui pourrait être de quelque nature que ce soit. Il serait donc important de proposer une intervention au groupe-contrôle dans les études à venir, afin de faire ressortir les bienfaits spécifiques au yoga par rapport aux effets d’une activité de socialisation non spécifique, comme l’ont fait les 2 études indiennes17,18.
Par ailleurs, les études présentées ici se sont déroulées presque exclusivement chez des femmes atteintes de cancer du sein11–13,17,18. Il pourrait alors être difficile d’étendre ces résultats à des clientèles masculines ou à des clientèles des 2 sexes souffrant d’autres types de cancer. Il serait donc opportun de concevoir des études incluant une variété de pathologies cancéreuses. Ensuite, puisque le yoga constitue une approche thérapeutique nécessitant un investissement de temps de la part des sujets, il se peut que la nature même de l’intervention se soit répercutée sur l’adhésion. En effet, pour différentes raisons, dans les études citées, la fréquence d’assistance aux cours était parfois faible, ce qui limitait l’observation de résultats significatifs14. Les auteurs ont tenté de contourner ce problème en effectuant des analyses statistiques sur le sous-groupe de patients ayant eu un meilleur taux de participation. En identifiant une clientèle moins encline à la pratique du yoga, Desai et coll.27 a pour sa part émis des pistes de solutions susceptibles d’en favoriser l’accessibilité à une plus grande variété de sujets.
Il a été également difficile de statuer sur les effets à long terme de l’intervention, étant donné la durée brève de la plupart des programmes proposés et l’absence de suivi dans les mois suivant l’arrêt. Aussi, les auteurs ont évoqué la possibilité que la sensibilité des outils de mesure utilisés n’ait pas été suffisante pour percevoir une différence subtile dans une population ne souffrant pas à priori de pathologies psychiatriques13,14. Des recherches additionnelles visant à identifier les échelles de mesure les plus appropriées dans des clientèles non psychiatriques seraient donc nécessaires pour des études subséquentes. Il est aussi possible que la méthodologie basée sur des approches quantitatives ne soit pas adaptée à ce type d’intervention et à ce type de clientèle, dont la réalité est complexe et en mouvance. Cette réflexion ouvre la porte vers la recherche qualitative. En effet, plusieurs publications ont fait état de commentaires positifs de la part de participants recueillis au terme des différents programmes d’intervention. Ces propos ont suggéré des taux de satisfaction élevés et une amélioration de la qualité de vie, témoignant d’une certaine efficacité20,21,28–30.
En terminant, aucune complication n’a été rapportée dans les publications recensées, ce qui représente un aspect non négligeable au plan éthique pour les recherches futures. Des auteurs ont cependant émis des mises en garde concernant la possibilité qu’une conscience de soi accrue ait des conséquences sur le niveau d’anxiété, voire même sur le niveau de la douleur31. Bien que tout nous porte à croire que ces effets soient transitoires, il n’est pas exclu que ces éléments aient pu interférer avec la réponse globale somme toute positive, en amenant des résultats négatifs aux échelles de mesure proposées.
Limitations
Bien entendu, il est possible que certains articles aient échappé à la stratégie de recherche utilisée. Toutefois, même avec l’utilisation de mots-clés très généraux, il n’a pas été nécessaire de restreindre davantage le champ de recherche. Puisque le nombre d’articles répertoriés était petit, il a été possible d’avoir un aperçu global de la littérature actuelle. Toutefois, un biais de publication peut avoir existé dans le sens que les études ayant donné des résultats décevants n’ont peut-être pas fait l’objet de publication.
Conclusion
Cette revue de littérature démontre qu’il existe dans la communauté scientifique un intérêt grandissant pour les thérapies complémentaires visant l’amélioration de la qualité de vie. Malgré les limites méthodologiques des études présentées, les résultats ont laissé présager l’amélioration d’une diversité de symptômes dont souffre la clientèle oncologique grâce au yoga thérapeutique. Il a aussi semblé que la qualité de vie, dans sa globalité ou dans certaines de ses composantes spécifiques, s’améliorait. L’absence d’effets secondaires et l’excellent rapport coût-bénéfices étaient des aspects non négligeables et systématiquement mentionnés dans les études. Le yoga pourrait représenter un outil sécuritaire à la disposition du médecin de famille qui, dans une considération globale du patient, cherche des alternatives aux traitements pharmacologiques standards, parfois limités dans le soulagement de symptômes occasionnés par le cancer.
Notes
POINTS DE REPÈRE
Le domaine des thérapies complémentaires et alternatives fait l’objet d’un engouement en constante progression. Parmi celles-ci, on retrouve la massothérapie, l’acupuncture, l’aromathérapie, le yoga thérapeutique. Des données préliminaires laissent entendre que le yoga compte parmi les thérapies complémentaires et alternatives les plus populaires, et les plus susceptibles d’améliorer la qualité de vie. L’objectif de cette revue de littérature est de déterminer si le yoga thérapeutique a des effets sur la symptomatologie d’une population affectée par le cancer. Les résultats laissent présager l’amélioration d’une diversité de symptômes dont souffre la clientèle oncologique grâce au yoga thérapeutique. Il a aussi semblé que la qualité de vie, dans sa globalité ou dans certaines de ses composantes spécifiques, s’améliorait. Le yoga pourrait représenter un outil sécuritaire à la disposition du médecin de famille qui, dans une considération globale du patient, cherche des alternatives aux traitements pharmacologiques standards, parfois limités dans le soulagement de symptômes occasionnés par le cancer.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the September 2012 issue on page e475.
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Collaborateurs
Les 2 auteurs ont contribué à la revue de littérature et à la préparation de l’article.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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