Ils font 36 % plus d'erreurs médicales sérieuses […]. Ils font près de 6 fois plus d'erreurs de diagnostic sérieuses […]. Ils sont 2,3 fois plus à risque d'être impliqués dans un accident automobile après une garde de 24 heures.1 » Entre vous et moi, les preuves appuyant l'adoption d'une nouvelle procédure médicale ou un nouveau médicament sont souvent beaucoup moins tangibles!
Le 1 juillet 2012, tous les programmes de résidence au Québec ont adopté un système de garde de 16 heures en établissement. Tel que présenté dans un article intitulé « Le Québec sonne le glas sur les gardes de 24 h en établissement »2, ce changement fut le résultat d'un travail minutieux, voire laborieux à certaines occasions. Il a suscité de nombreux débats et discussions pendant plus de 5 ans. De nombreuses questions ont été soulevées. Les résidents vont-ils atteindre leurs objectifs d'apprentissage? Cela nous conduira-t-il à une fragmentation des soins? Est-ce que ces derniers seront prêts à travailler comme patrons si leurs horaires ont été différents durant la formation? Devrions-nous augmenter la durée de la formation?
Le 7 juin 2011, un arbitre québécois a conclu que les gardes de 24 heures en établissement contrevenaient à la Charte canadienne des droits et libertés (article 7) et à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (article 1). Les résidents ne pouvaient plus être obligés, par leur entente collective, à travailler 24 heures d'affilée. L'évidence probante soutenait les méfaits d'une telle mesure pour leur santé et celle de leurs patients. Le 20 août 2012, l'Association médicale canadienne a appuyé à son tour l'Association canadienne des médecins résidents en faveur des gardes de 16 heures3.
Le résultat: une renégociation de l'entente collective de la Fédération des médecins résidents du Québec et une réorganisation des horaires de travail, limitant les gardes en établissement à 16 heures, pour un maximum de 6 gardes par mois. Le nombre d'heures travaillées par semaine est généralement le même. d'autres paramètres ont été intégrés à l'entente collective: des gardes de nuit en établissement d'un maximum de 12 heures, un nombre limité de nuits consécutives, une nouvelle définition de la fin de semaine, etc.
Les transferts de soins
Un tel changement a fait ressurgir plusieurs failles dans notre système. Par exemple, le transfert des soins d'un médecin à l'autre (handovers) est plus difficile dans certaines spécialités et doit être revu. l'utilisation de certains modèles de garde résulte en une plus grande rotation de médecins résidents. Les transferts de soins sont donc plus nombreux et pourraient affecter la continuité des soins. Il faut donc revoir nos façons de faire à cet égard. De plus, il est estimé qu'un résident, peu importe sa spécialité, fait en moyenne 72 heures par semaine. Pour accomplir ce même nombre d'heures en limitant la durée des gardes, les résidents doivent être à l'hôpital moins longtemps mais plus souvent. La qualité de vie peut en souffrir et certains craignent l'apparition d'une fatigue chronique.
Est-ce que ce sont des raisons suffisantes pour demeurer dans un système obsolète? Les résidents reçoivent peu de formation sur les transferts de soins et les méthodes utilisées sont souvent très archaïques. À quand une informatisation de ce processus? C'est certainement se leurrer que de penser que ces mêmes erreurs n'avaient pas lieu dans un contexte de garde de 24 heures en établissement. Certains modèles de garde optimisent les soins aux patients: une équipe de jour constante, sans souffrir des fameux lendemains de garde et une équipe de nuit qui apprend à connaître les patients. Certains modèles évitent totalement l'utilisation de résidents hors rotation. La durée des programmes, quant à elle, est déjà en voie d'être révisée en fonction des cursus par compétences alors que la fatigue chronique et la qualité de vie sont devenues des éléments très importants à considérer. Devons-nous envisager une approche à l'européenne où le nombre d'heures par semaine est limité?
Une formation adéquate
Ultimement, les résidents sont de futurs patrons et leur formation doit les préparer pour la pratique qui les attend. Il n'existe aucune évidence que les gardes de 24 heures en établissement durant la formation sont nécessaires pour pouvoir fonctionner comme patron. Et le point est là justement: l'évidence existe pour démontrer que le travail de 24 heures consécutives est néfaste. Ce point est fait. L'évidence pour les autres éléments reste à faire. Maintenant, nous devons optimiser les gardes de 16 heures en établissement pour qu'elles préparent de façon optimale les résidents pour leur future pratique: en travaillant sur le transfert de soins et en trouvant les modèles qui conviennent le mieux aux différents milieux, tout en songeant à la qualité de vie et à la fatigue des résidents. Il faut réévaluer le contenu des programmes pour déterminer si ces derniers répondent aux nouvelles pratiques, aux nouveaux modèles de prise en charge et aux nouvelles méthodes d'enseignement, indépendamment des durées de formation.
Toute transition est exigeante et choque les habitudes de tous et chacun. Il est impossible d'ignorer les données qui existent actuellement. Nous sommes sensibles aux failles de notre système et nous sommes en mesure d'être proactifs quant aux solutions possibles et nécessaires. Chaque milieu a un travail à faire pour réfléchir à ses besoins et s'adapter à cette nouvelle réalité, à la fois au niveau de l'organisation du travail et au niveau des nouvelles méthodes d'enseignement. La meilleure façon d'y arriver? Travailler ensemble à étudier les différentes approches, afin de générer l'évidence nécessaire pour réfléchir sur une pratique saine au 21e siècle.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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Les résidents sont 2,3 fois plus à risque d'être impliqués dans un accident automobile après une garde de 24 heures.
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Le 1 juillet 2012, tous les programmes de résidence au Québec ont adopté un système de garde de 16 heures en établissement, mettant fin aux gardes de 24 heures et à leurs méfaits pour la santé des résidents et celle de leurs patients.
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Ce changement a fait ressurgir plusieurs failles dans notre système. Nous devons nous pencher sur le transfert des soins d'un médecin à l'autre (handovers), sur le modèle qui convient le mieux à chaque milieu et sur la question de la qualité de vie et de la fatigue chez les résidents.
Footnotes
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Intérêts concurrents Aucun déclaré
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This article is also in English on page 132.
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