Les médecines alternatives et complémentaires (MAC) englobent, par définition, toutes les approches qui ne sont pas reconnues par la médecine conventionnelle1. L’homéopathie, l’acupuncture, la chiropratique et la massothérapie en sont des exemples. En 2006, 74 % des Canadiens mentionnaient avoir déjà eu recours à une MAC au moins une fois dans leur vie. Près de 65 % des Québécois déclaraient avoir utilisé au moins une MAC dans le passé2.
Le code de déontologie du Collège des médecins du Québec (CMQ) a établi les règles à adopter face aux traitements non reconnus dont font partie les MAC3. Selon ce code, « le médecin doit, à l’égard d’un patient qui veut recourir à des traitements insuffisamment éprouvés, l’informer du manque de preuves scientifiques relativement à de tels traitements, des risques ou inconvénients qui pourraient en découler, ainsi que des avantages que lui procureraient des soins usuels, le cas échéant »3. Le médecin a donc la responsabilité d’éclairer son patient en s’appuyant sur les données probantes recueillies selon un devis scientifique éprouvé3. Devant un patient décidant d’opter pour une MAC, le médecin doit assurer un suivi. Le Collège insiste également sur un échange d’information du patient vers le médecin afin que ce dernier soit au courant des méthodes alternatives utilisées.
Parallèlement, sur le plan légal, chaque praticien est tenu responsable des soins qu’il prodigue1. Ainsi, un médecin qui réfère ou conseille une MAC peut être reconnu coupable de négligence ou de faute professionnelle s’il ne l’a pas fait en se basant sur les preuves scientifiques actuelles. Toutefois, il ne sera pas tenu responsable de la faute commise par le thérapeute MAC1.
La littérature montre que l’enseignement sur les MAC rend les médecins plus à l’aise pour conseiller leurs patients et savoir où trouver de l’information pertinente et basée sur les données probantes4,5. Outre la formation continue dont tout médecin peut se prévaloir, force est de constater que la formation offerte aux futurs médecins est peu élaborée et non standardisée. En Amérique du Nord, environ 50 % des programmes d’enseignement médical offrent de la formation sur les MAC, majoritairement sous forme de cours optionnels qui complémentent le cursus médical6,7. Or, une revue systématique des sites Internet des différents programmes canadiens de médecine et divers écrits scientifiques sur le sujet montrent que rares sont les cours formels sur les MAC inclus dans la formation courante8,9.
À ce jour, très peu d’écrits ont porté sur la perception de leurs capacités à s’acquitter de leur rôle d’informer et de conseiller leurs patients au sujet des MAC10. Les objectifs de cette étude étaient de vérifier si les médecins de famille (MF) québécois connaissent leurs rôles et obligations envers leurs patients concernant les MAC. Dans un deuxième temps, l’enquête évaluait s’ils se considéraient en mesure de bien conseiller leurs patients sur l’utilisation des MAC.
MÉTHODES
Cette étude était une analyse secondaire des données colligées à partir d’un questionnaire auto-administré développé dans le but d’explorer la perception qu’ont les MF de leurs capacités, rôles et responsabilités face à l’utilisation des MAC11. L’instrument, disponible en français, était basé sur trois questionnaires validés12–14. La définition suivante des MAC se retrouvait sur la première page du questionnaire: « Soins de santé qui, sur les plans conceptuels ou philosophiques, n’appartiennent pas au système biomédical (traduction libre) »15. La liste d’exemples suivante était fournie: massothérapie, chiropratique, ostéopathie, acupuncture, homéopathie, hypnothérapie, herbes ou plantes médicinales. Le questionnaire a été pré-testé auprès de trois MF, puis retesté dans sa version finale auprès de 10 autres. Au total, 28 questions ont été retenues et pouvaient être complétées en moins de 10 minutes.
Mille médecins ont été sélectionnés aléatoirement via la base de données du CMQ du 31 décembre 2007. Le principal critère d’inclusion était d’être MF ou omnipraticien. Considérant une population totale de 9549 médecins, un minimum de 96 répondants permettait d’obtenir une marge d’erreur de plus ou moins 10 % sur les estimés, 19 fois sur 2016.
Les questionnaires furent distribués par la poste en septembre 2009. Deux rappels postaux ont été envoyés à tous les médecins dans le mois qui a suivi le premier envoi16. Une enveloppe-réponse préaffranchie était incluse dans l’enveloppe. Le projet de recherche a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche en santé chez l’humain du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.
Les analyses statistiques ont été faites avec le logiciel SPSS 18. Des comparaisons ont été faites à l’aide de tests du 2. Les questions non complétées ont été exclues individuellement des calculs pour obtenir des résultats reflétant un total réel de répondants. Des modèles de régression logistique ont été utilisés afin d’explorer les facteurs associés à la perception du rôle des médecins.
RÉSULTATS
Un total de 195 médecins, dont 170 avec une pratique clinique active, ont répondu au questionnaire (taux de réponse de 19,5 %). Aucune différence significative n’a été soulignée entre le profil des répondants et celui des membres du CMQ (données non présentées). Les répondants étaient divisés également entre hommes et femmes, soit 54,1 % et 45,9 % respectivement. Ils avaient en moyenne 21 années de pratique (écart-type de 11) et étaient répartis uniformément entre les régions rurales (48,2 %) et les régions urbaines (51,8 %). La grande majorité des répondants avaient obtenu leur diplôme de formation médicale d’une des quatre facultés de médecine québécoises (93,5 %). Deux tiers des répondants se disaient plutôt ouverts ou très ouverts à l’égard des MAC (67,4 %; IC 95 % 59,8 % à 74,3 %), contre 11,8 % plutôt fermés (IC 95 % 7,6 % à 17,9 %); 20,7 % se disaient indécis (IC 95 % 15,0 % à 27,8 %). Environ trois répondants sur cinq (61,9 %; IC 95 % 54,1 % à 69,2 %) avaient déjà utilisé personnellement une MAC. La majorité des médecins (85,8 %; IC 95 % 79,4 % à 90,5 %) se font questionner sur divers aspects des MAC plusieurs fois par mois, dont 25 répondants (14,8 %; IC 95 % 10,0 % à 21,3 %) quotidiennement.
Au total, 86,7 % des répondants (IC 95 % 80,3 % à 91,3 %) ont correctement identifié leurs obligations à répondre aux questions de leurs patients quant aux MAC. Le Tableau 1 montre la perception qu’ont les médecins des déclinaisons de leur rôle professionnel par rapport aux MAC, ainsi que de leur niveau d’aisance à conseiller leurs patients quant à celles-ci.
Chez les médecins considérant qu’ils doivent conseiller leurs patients sur l’utilisation des MAC, le tiers (33,1 %; IC 95 % 25,6 % à 41,6 %) ont indiqué être en mesure de le faire, contrairement à 77,3 % (IC 95 % 54,2 % à 91,3 %) pour les médecins qui considèrent que ce rôle ne leur appartient pas (p < ,001). Parmi les médecins qui assumaient leur rôle de conseiller, la plupart (78,6 %; IC 95 % 71,7 % à 85,8 %) disent recommander des MAC à leurs patients. Cependant, seulement 28,4 % (IC 95 % 20,4 % à 38,0 %) se sentent en mesure de le faire adéquatement, contrairement à 73,1 % (IC 95 % 51,4 % à 94,7 %) chez ceux qui ne les recommandent pas (p < ,001). À cet effet, environ quatre répondants sur cinq (79,3 %; IC 95 % 72,1 % à 85,0 %) disaient conseiller des MAC à leurs patients lorsque pertinent. L’ostéopathie venait en tête des MAC les plus fréquemment conseillées, suivie de la massothérapie puis de l’acupuncture.
Divers facteurs peuvent moduler la perception du rôle des médecins vis-à-vis des MAC ainsi que leur aisance à répondre aux questions de leurs patients. Ainsi, le sexe du répondant, ses années d’expérience, son lieu de pratique (rural ou urbain), l’utilisation personnelle de MAC, l’ouverture par rapport aux MAC, le fait de conseiller une ou des MAC à ses patients ont été inclus dans deux modèles de régression (Tableau 2).
Finalement, plus des trois quarts des répondants se disaient en faveur de recevoir de la formation sur leur rôle de conseiller concernant les MAC.
DISCUSSION
Les résultats de cette étude montrent que le sujet des MAC semble incontournable dans le travail quotidien des MF pratiquant en bureau, étant donné la fréquence des questions auxquelles ils sont confrontés de la part de leurs patients. À notre connaissance, il s’agit de la première étude canadienne vérifiant si les médecins se perçoivent adéquatement outillés au sujet des MAC pour répondre aux exigences de l’organisation qui régit leur pratique. Environ quatre médecins interrogés sur cinq ont une connaissance juste de leurs rôles et responsabilités au sujet des MAC. Cependant, moins de la moitié se sentent en mesure de pouvoir le faire.
Bien que la littérature scientifique ne dépeigne pas un portrait complet des risques d’interactions entre les MAC et les thérapies médicamenteuses issues de la médecine conventionnelle, certaines combinaisons sont reconnues risquées pour la santé17,18. Pour cette raison, le CMQ recommande fortement à ses membres de discuter des thérapies prises de façon conjointe avec la pharmacothérapie conventionnelle3. Cependant, des études ont déjà démontré qu’entre 23 % et 90 % des médecins ignorent les MAC utilisées par leurs patients, faute d’une communication bidirectionnelle adéquate19–23. Cette communication permettrait au médecin de s’assurer que les MAC n’interagissent pas de façon nuisible ou ne remplacent pas, à leur insu, les thérapies conventionnelles prescrites24. Parallèlement, la faible proportion de médecins interrogés se disant en mesure de conseiller adéquatement leurs patients quant aux MAC pourrait expliquer en partie une communication déficiente. Ne se sentant pas en mesure de discuter du sujet, certains médecins pourraient choisir de ne pas amorcer cette communication avec le patient. Cette incapacité pourrait être due à une formation lacunaire et à la difficulté exprimée à trouver des données probantes sur les MAC.
Ce sondage se distingue de ceux faits précédemment sur l’attitude des médecins par rapport aux MAC. Il est un des premiers à évaluer la connaissance des médecins par rapport à ce qui est attendu d’eux en cabinet lorsque confrontés à des patients utilisateurs de MAC (réels ou potentiels). Il évalue également leur perception d’aisance pour répondre à ces questions. Fait intéressant, les médecins pratiquant en milieu urbain semblent être plus au fait des attentes du CMQ quant à leurs rôles et responsabilités. Ceci peut peut-être s’expliquer par un meilleur accès des patients aux thérapeutes MAC et donc que les médecins ont eu à prendre position en tant que médecin traitant plus régulièrement que leurs pairs en milieu rural.
Limitations
Cette étude comporte certaines limites qui minimisent sa généralisabilité. Tout d’abord, malgré les rappels pour optimiser le taux de réponse, le nombre de répondants demeure relativement modeste. Cependant, il reflète la tendance générale pour ce type d’enquête25. Il reste tout de même concevable d’extrapoler les résultats à l’ensemble de la population des médecins québécois et possiblement canadiens, étant donné que le biais de non-réponse est rapporté moins préoccupant dans une étude auprès de médecins qu’auprès de la population générale. Ceci est lié au fait que les médecins ont tendance à représenter une population plus homogène de répondants quant à leurs connaissances, leur formation, leurs attitudes et leurs comportements26. Finalement, bien qu’une définition des MAC était jointe en annexe au questionnaire, une des limites de cette étude est que les questions formulées englobaient les MAC comme un terme général. Bien que pragmatique, cette approche ne rend pas justice aux différents niveaux de connaissances et de preuves cumulées pour chacune des MAC connues27.
Conclusion
Le sondage montre qu’une bonne partie de répondants connaissent leurs rôles et responsabilités face à l’utilisation de MAC chez leurs patients. Cependant, les médecins souhaitant exercer pleinement ce rôle se sentent moins bien outillés que ceux qui ne perçoivent pas que cette tâche leur revient. Ainsi, il existe un écart entre les connaissances perçues au sujet des MAC par les MF québécois et le rôle de conseiller qu’ils doivent assumer pour répondre à leurs obligations légales et déontologiques établies par le CMQ et qui visent la protection du public. Les résultats plaident donc en faveur d’une meilleure exposition des médecins aux MAC au moment de leur formation initiale et en formation continue. Une piste de recherche future serait d’identifier les notions incontournables du point de vue des médecins en pratique afin d’avoir une répercussion sur leur niveau d’aisance à conseiller leurs patients et les accompagner dans leur choix de soins en MAC.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
Le thème des médecines alternatives et complémentaires (MAC) est abordé régulièrement par les patients dans les pratiques québécoises de médecins de famille et d’omnipraticiens. Or, une majorité de ces médecins ne se sentent pas en mesure de répondre adéquatement aux questions soulevées.
La littérature concernant les MAC aurait tout intérêt à être diffusée dans des revues savantes ayant accès à un lectorat général en médecine ou en santé publique afin d’être plus efficacement diffusée et utilisée.
Cette étude a permis de constater les besoins de formation (perçus et réels) des médecins québécois afin d’être en mesure de répondre aux obligations légales et déontologiques établies par le Collège des médecins du Québec. Cela est de plus en plus urgent dans le contexte où les MAC, déjà très utilisées, sont appelées à faire partie de l’arsenal préventif et thérapeutique d’un nombre grandissant de patients et où le nombre de personnes exerçant une profession règlementée est en croissance.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English translation of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the December 2016 issue on page e772
Collaborateurs
Tous les auteurs ont collaboré au survol de la littérature, à l’interprétation des données, ainsi qu’à la préparation du manuscrit avant sa soumission.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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