L’adolescence est une étape unique de la vie, marquée à la fois par d’immenses possibilités et par de potentielles vulnérabilités. Partout dans le monde, on s’intéresse à l’importance d’engager significativement les adolescents à l’égard de leurs soins de santé, de manière à les soutenir de manière efficace et holistique pour qu’ils grandissent et se développent sainement1. Dans le cadre de ces efforts, il faut porter attention aux facteurs importants qui influent sur la capacité des adolescents de réaliser leur trajectoire optimale. Il est largement reconnu que les déterminants prédominants de la santé des populations ne sont pas ceux qui étaient conceptualisés traditionnellement comme étant « médicaux », mais plutôt ces forces que nous avons éventuellement appelées les déterminants sociaux de la santé. Dans la littérature scientifique, on insiste de plus en plus sur le dépistage des déterminants sociaux de la santé, en particulier la pauvreté, durant les visites pour des soins de santé, en raison de la multiplication des données probantes corroborant l’importance de ces déterminants pour le bien-être des patients et, au bout du compte, leur santé2,3. Le Canada s’est révélé un chef de file mondial dans la promotion d’un tel dépistage, par l’entremise de la diffusion de l’outil intitulé « Poverty: A Clinical Tool for Primary Care Providers », du Centre for Effective Practice4. Les adolescents sont tout autant, sinon plus souvent, vulnérables à ces déterminants sociaux de la santé que la population en général5-7; par ailleurs, l’utilité du dépistage universel des déterminants sociaux de la santé dans la population adolescente a fait l’objet de très peu d’études.
Les pratiques exemplaires portant sur la mise en œuvre des outils de dépistage insistent sur l’adaptation appropriée des questions au stade de développement du patient qui fait l’objet du dépistage, et sur le fait que le dépistage ne devrait être effectué que si des ressources aisément accessibles sont disponibles pour répondre aux besoins du patient3. Ces principes se fondent sur des normes éthiques élaborées en réponse à des dialogues et à des préoccupations plus vastes entourant la pratique du dépistage; plus précisément, les effets négatifs potentiels du dépistage, comme la stigmatisation, ou le problème que soulève l’identification des patients lorsqu’aucune intervention fondée sur des données probantes n’est accessible. Il est donc essentiel d’avoir des outils novateurs et validés qui conviennent aux adolescents et à leur stade de développement pour à la fois promouvoir une pratique soucieuse de l’éthique et faire en sorte que des professionnels soient en place pour s’occuper des besoins particuliers cernés lors de ce processus. Le présent commentaire a pour but de s’inspirer des recherches antérieures pour d’abord mettre en évidence les lacunes dans les approches actuelles et pour ensuite discuter de stratégies que les cliniciens peuvent incorporer dans leur pratique lorsqu’ils travaillent avec des patients adolescents.
Le présent commentaire met l’accent sur les possibilités d’identifier les déterminants sociaux de la santé pour lesquels des interventions instrumentales (p. ex. aides au revenu, logement) sont accessibles et peuvent être mises en œuvre. D’autres déterminants de la santé qui ont une pertinence potentielle considérable et omniprésente, et qui exigent une compréhension plus approfondie, comme le genre, la race, l’exposition à des expériences néfastes durant l’enfance et d’autres, doivent aussi être reconnus et abordés. Une évaluation en profondeur des approches appropriées pour composer avec ces questions est essentielle, mais elle va au-delà de la portée du présent article.
Lacunes dans les connaissances et les approches actuelles
Lorsque les médecins sont questionnés à propos des obstacles au dépistage des besoins sociaux de leurs patients, ils expriment souvent des préoccupations entourant le manque de temps, de ressources accessibles ou d’expertise8. Dans les milieux de soins de santé où des travailleurs sociaux ou d’autres professionnels de la santé ne sont pas disponibles, des outils de dépistage pour détecter l’adversité socioéconomique pourraient jouer un rôle pour combler ces lacunes dans les ressources en raison de leur potentiel de faciliter une collecte de renseignements rapide, uniforme et standardisée. L’évaluation HEEADSSS, qui se concentre sur des éléments relatifs au milieu familial, à l’éducation et à l’emploi, à l’alimentation, aux activités liées aux pairs, aux drogues, à la sexualité, au suicide ou à la dépression, de même qu’à la sécurité liée aux blessures et à la violence9,10, est un référentiel utilisé communément pour structurer la composante psychosociale de l’entrevue avec un adolescent; elle prend environ 20 minutes. L’information concernant sa sensibilité et sa spécificité n’est pas disponible; toutefois, il a été constaté que ces évaluations sont souvent incomplètes, et que les questions délicates sont posées moins fréquemment11.
Il existe quelques études prometteuses concernant un outil approprié sur le plan du développement, conçu pour détecter les besoins socioéconomiques des adolescents et les mettre en contact avec des ressources communautaires. Les avantages potentiels de la mobilisation de la technologie pour dépister les besoins socioéconomiques des patients et produire automatiquement une demande de consultation sont de plus soulignés dans la littérature scientifique12. Le système Online Advocate compte parmi les exemples de ce genre de pratique. Cette technologie permet aux jeunes de répondre à un questionnaire électronique au sujet des problèmes sociaux liés à la santé, puis les invite à présenter eux-mêmes une demande de consultation en services sociaux en fonction de leur emplacement préféré et des besoins qu’ils ont priorisés. Dans 1 étude, 96 % des participants ont dit qu’ils recommanderaient ce système à un ami ou à un pair13. Parmi les autres points forts de cet outil figuraient la protection des renseignements personnels, la facilité d’utilisation et l’individualisation. Le principal désavantage de l’outil se situait dans le temps requis pour y répondre qui était, en moyenne, de 25 minutes. La sensibilité et la spécificité de ce système de dépistage et de demande de consultation ne sont actuellement pas connues13.
Une étude récente évaluait l’utilité des outils de dépistage rapide actuellement accessibles et destinés à une population de parents adolescents14. L’étude examinait l’outil « Poverty: A Clinical Tool for Primary Care »4 du Centre for Effective Practice et l’outil de dépistage WE CARE (médecine préventive pendant l’enfance, évaluation, ressources communautaires, défense des intérêts, demande de consultation, éducation)15. Il a été constaté que la principale question du Centre for Effective Practice, notamment « Avez-vous déjà eu des problèmes à rejoindre les 2 bouts à la fin du mois? » avait une sensibilité de 98 % et une spécificité de 60 % pour détecter les patients qui vivaient sous le seuil de la pauvreté parmi les répondants adultes16. L’outil WE CARE a été validé chez des parents adolescents; il a été jugé qu’il facilitait la discussion sur plus de problèmes psychosociaux, entraînait plus de demandes auprès des ressources communautaires et n’ajoutait que quelques minutes à la visite médicale17. En dépit des promesses que présentaient ces 2 outils de dépistage, l’étude a constaté une sensibilité relativement faible lorsque les outils ont été mis à l’essai dans une population de parents adolescents. Malgré cette faible sensibilité, les adolescents se sont montrés très réceptifs envers les professionnels de la santé, leur posant des questions au sujet de l’adversité socioéconomique, et 92 % des participants ont mentionné que des questions semblables devraient être intégrées dans leurs visites médicales14.
Ces études mettent en évidence la réceptivité des adolescents envers le dépistage des besoins liés aux déterminants sociaux de la santé dans le contexte d’une visite médicale. Elles font aussi valoir qu’il faudrait plus de recherches pour produire des outils rapides, efficaces et efficients qui soient axés sur l’expérience des adolescents.
En nous fondant sur les outils actuellement accessibles, nous avons cerné 5 principes que nous recommandons aux cliniciens d’intégrer dans leur pratique pour orienter leur dépistage des déterminants sociaux de la santé lorsqu’ils travaillent avec des patients adolescents.
Recommandations à retenir
Les adolescents devraient être dépistés. Si vous prévoyez procéder au dépistage universel de l’adversité socioéconomique, n’oubliez pas l’importance de dépister les adolescents. Sur le plan du développement, les adolescents pourraient hésiter à soulever des préoccupations ou à chercher de l’aide au sujet de questions délicates lors de leurs visites médicales1,2. Ces problèmes pourraient être liés aux déterminants sociaux de la santé, d’où l’importance potentielle du dépistage universel de l’adversité socioéconomique dans le contexte des soins habituels aux adolescents. Cette recommandation a reçu l’aval d’organisations comme le Centre for Effective Practice et l’American Academy of Pediatrics2,4,18.
Les adolescents veulent être questionnés. Les adolescents souhaitent qu’on les questionne à propos de leurs besoins liés aux déterminants sociaux de la santé, et ils croient que les professionnels de la santé devraient entamer cette conversation. Comme mentionné plus tôt, la recherche a démontré que les adolescents souscrivent à l’applicabilité de ce dépistage à leur santé, et ils veulent être questionnés dans le contexte de leur visite médicale12,14. La recherche fait valoir qu’en dépit de certaines préoccupations entourant la stigmatisation, les adolescents sont très réceptifs à l’égard d’un dépistage psychosocial pertinent.
Les adolescents ont des besoins particuliers en matière de dépistage. Les outils de dépistage standards pourraient ne pas cerner adéquatement les besoins particuliers des adolescents ou ne pas être adaptés à leur stade de développement. Très peu des outils de dépistage rapide de l’adversité socioéconomique disponibles ont été validés dans la population des adolescents, et la plupart des outils dont l’utilisation a été entérinée pour les populations pédiatriques posent des questions dirigées vers les parents et les soignants3. L’utilisation de ces outils avec des adolescents pose des problèmes, parce que certaines des questions pourraient ne pas convenir sur le plan du développement, ou ne pas capter les besoins de ceux qui vivent de manière indépendante ou dans des circonstances défavorables. Les professionnels de la santé devraient évaluer d’un œil critique le caractère approprié des outils accessibles lorsqu’ils travaillent avec des jeunes.
Les efforts de dépistage doivent reposer sur l’éthique. La connaissance des ressources accessibles pour composer avec l’adversité socioéconomique peut aider à préparer les professionnels de la santé à s’engager dans un dépistage de manière éthique. Cette recommandation tient compte des normes éthiques qui guident les principes du dépistage universel3. Certains des outils rapides qui sont habituellement utilisés dans les populations adultes pourraient proposer des ressources qui ne conviennent pas aux adolescents. Par exemple, l’outil du Centre for Effective Practice a été largement utilisé en soins primaires canadiens. L’outil est conçu pour diriger les patients vers des avantages fiscaux; par ailleurs, tous les adolescents ne sont pas admissibles à de tels programmes4. Les adolescents devraient être orientés vers des ressources auxquelles ils peuvent avoir accès et qui sont adaptées à leurs besoins développementaux particuliers.
Les outils de dépistage sont un point de départ plutôt qu’un point final. Les outils de dépistage sont une bonne façon d’entamer une conversation à propos des besoins associés aux déterminants sociaux de la santé. Étant donné l’absence d’outils de dépistage rapide adaptés au stade de développement et conçus pour la population adolescente, nous encourageons les cliniciens à concevoir leur méthode de dépistage préférée comme un point de départ à un dialogue futur. Le développement neurologique des adolescents les dispose à répondre à la mobilisation sociale, et ils pourraient être en mesure d’offrir une rétroaction significative concernant la méthode de dépistage choisie, si l’occasion d’un tel de dialogue se présentait.
Conclusion
À mesure que se poursuivent les discussions entourant le rôle des professionnels de la santé dans le domaine des déterminants sociaux de la santé et que de nouvelles stratégies sont explorées pour aborder de tels déterminants, il est essentiel que les besoins et les circonstances uniques de la population adolescente soient pris en compte. Des recherches sont nécessaires pour valider les outils de dépistage existants, pour produire des outils appropriés sur le plan du développement et adaptés à la diversité des besoins rencontrés dans la gamme d’âges des adolescents, et pour déterminer les préférences des adolescents lors des discussions sur l’adversité socioéconomique. La mobilisation significative des adolescents à toutes les étapes du processus du dépistage, de la conceptualisation des outils à la conception des interventions, sera essentielle à la réussite de tels efforts et fondamentale pour réaliser l’objectif ultime du dépistage : optimiser le potentiel de développement sain de tous les adolescents en minimisant les effets des iniquités et de l’adversité sociales.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2021 issue on page 17.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada