Description de cas
Janette, une femme de 35 ans atteinte d’asthme objectivement diagnostiqué, se présente chez son médecin de famille pour une consultation de suivi régulière. Elle utilise, pour le moment, une association corticostéroïdes par inhalation (CSI) à forte dose et agoniste β à action prolongée (ABAP) (fluticasone-salmétérol en Diskhaler à 250/50 μg, à raison de 1 bouffée 2 fois par jour) en traitement de fond, avec salbutamol au besoin en traitement de secours. Bien qu’elle suive bien son traitement et que ses symptômes soient bien maîtrisés au quotidien, elle subit chaque année 1 ou 2 exacerbations de l’asthme exigeant une visite à l’urgence. En plus de réviser l’observance du traitement et la technique d’inhalation de Janette, et de déterminer et traiter les facteurs de risque d’exacerbations (tels qu’éviter les déclencheurs de l’asthme au travail et à domicile), l’omnipraticienne se demande si Janette profiterait d’un plan d’action écrit individualisé afin d’ajuster le traitement plus tôt et de prévenir ces graves exacerbations. Dans l’affirmative, comment pourraitelle collaborer avec Janette pour en créer un qui soit efficace et factuel?
Sources de l’information
Base factuelle en faveur des plans d’action pour l’asthme (PAA).
Les plans d’action pour l’asthme sont des plans écrits personnalisés, créés par les professionnels de la santé en collaboration avec les patients asthmatiques; ils sont conçus pour orienter l’autoprise en charge de l’asthme lors d’une aggravation aiguë (Figure 1). Ces plans sont configurés en « feux de circulation » : la « zone verte » décrit la maîtrise acceptable et dresse la liste des médicaments de base, la « zone jaune » décrit la perte de maîtrise et fournit les instructions pour intensifier le traitement de manière transitoire, et la « zone rouge » décrit les symptômes graves qui exigent une attention médicale d’urgence1. L’effet des PAA a fait l’objet d’études approfondies dans une gamme de contextes. Une revue Cochrane d’études randomisées et contrôlées, réalisée en 2003, a montré que les PAA, conjugués à l’éducation adéquate et à une revue clinique régulière, réduisaient significativement les hospitalisations liées à l’asthme (risque relatif [RR] de 0,58; IC à 95 % : 0,43 à 0,77), les visites à l’urgence (RR = 0,78; IC à 95 % : 0,67 à 0,91) et les symptômes nocturnes (RR = 0,57; IC à 95 % : 0,45 à 0,72), et amélioraient la qualité de vie (différence type moyenne de 0,29; IC à 95 % : 0,11 à 0,47) chez les adultes (données probantes de niveau I)2. Les patients avaient été recrutés dans divers contextes de soins, y compris les cliniques ambulatoires de pratique générale et les hôpitaux. Une revue Cochrane d’études randomisées et contrôlées et d’études non randomisées et contrôlées réalisées en 2015 a montré que chez les adultes asthmatiques, un programme de prise en charge de la maladie chronique incluant en prédominance un suivi structuré, l’éducation individualisée sur l’asthme et un PAA améliorait la qualité de vie liée à l’asthme, les scores de gravité de l’asthme et les tests de fonction respiratoire (données probantes de niveau I)3. La plupart des études incluses avaient recruté des patients dans des pratiques générales ou des pharmacies. Une méta-revue plus récente de 27 revues systématiques et 13 études randomisées et contrôlées a révélé que l’autoprise en charge de l’asthme avec soutien, y compris les PAA, réduisait les hospitalisations et les consultations imprévues, et améliorait la qualité de vie (données probantes de niveau I)4. Les données étaient uniformes dans tous les contextes culturels, démographiques et de soins de santé. Compte tenu de la portée de ces données probantes, les lignes directrices internationales sur la prise en charge de l’asthme recommandent fortement que tous les patients asthmatiques reçoivent un PAA écrit5. La patiente décrite ci-dessus profiterait particulièrement d’un PAA combiné à de l’éducation et à des suivis cliniques réguliers, compte tenu de ses antécédents d’exacerbations.
Limites des données probantes sur les PAA.
Il faut absolument insister sur le fait que la plupart des études ayant démontré les bienfaits des PAA incluent toujours 2 autres éléments à l’intervention : l’éducation sur l’asthme et le suivi régulier2,3,6. Une revue Cochrane d’études randomisées et contrôlées récemment publiée souligne l’importance de ce point, puisque les PAA seuls ou les PAA jumelés à de l’éducation n’ont pas réduit les visites à l’urgence ni les hospitalisations comparativement à l’absence de PAA ou d’éducation seulement, respectivement (données probantes de niveau I)7. Bien que cette revue ait porté sur un petit nombre d’études, ses résultats soulignent l’importance de fournir un plan exhaustif de prise en charge de l’asthme, y compris de l’éducation et un suivi régulier, plutôt que de fournir un PAA isolément. Aussi, même si les lignes directrices de prise en charge de l’asthme recommandent que tous les patients asthmatiques reçoivent un PAA écrit, l’efficacité des PAA chez les personnes âgées présentant plusieurs comorbidités n’a pas été évaluée adéquatement, et il existe des données observationnelles selon lesquelles les patients de plus de 60 ans ont de la difficulté à se prendre en charge, ce qui est nécessaire pour l’efficacité des PAA (données probantes de niveau II)8. En outre, selon une revue Cochrane d’études randomisées et contrôlées, les patients appartenant à des sous-groupes ethniques profitent davantage d’outils d’autoprise en charge adaptés à leur culture que d’outils génériques (données probantes de niveau I)9. Finalement, une revue systématique a révélé que les populations des quartiers urbains défavorisés qui possèdent peu de connaissances en santé nécessitent des approches en équipe et une adaptation culturelle de l’autoprise en charge (données probantes de niveau I)10. Ces patients, ainsi que d’autres groupes de patients qui possèdent peu de connaissances en santé, pourraient aussi profiter d’un PAA illustré plutôt que textuel11. Dans notre cas, le médecin de famille de Janette devra tenir compte de ces facteurs spécifiques au patient. Si son médecin remet un APP à Janette, elle doit aussi veiller à lui fournir de l’éducation sur l’asthme et à assurer le suivi. Le volet éducatif doit être en partie constitué de séances de counseling en personne (par un médecin ou un praticien en santé formé, comme un éducateur en asthme), mais peut aussi être complémenté efficacement par des ressources en ligne12,13.
Message principal
Malgré l’ensemble des données probantes étayant les PAA et les recommandations uniformément fortes en faveur de leur emploi dans les lignes directrices internationales de prise en charge de l’asthme, les études ont révélé qu’à peine 4 % des médecins de famille rapportent toujours fournir un PAA écrit, et seuls 2 % des patients en reçoivent un14,15. Les données probantes laissent croire qu’une formation et des connaissances inadéquates quant au contenu du PAA, en particulier sur le traitement recommandé dans la zone (jaune) de perte aiguë de la maîtrise, représentent un obstacle de taille à l’utilisation des PAA en pratique familiale16–18. En fait, il existe un ensemble adéquat de données probantes pour guider le meilleur traitement à recommander dans la zone jaune du PAA. Dans les études randomisées et contrôlées, il a été démontré qu’une dose 4 à 5 fois plus forte de CSI prise pendant 7 à 14 jours durant la période aiguë de perte de maîtrise dans la zone jaune d’un PAA pouvait réduire le besoin de prendre des corticostéroïdes par voie orale alors qu’une dose double s’est révélée inefficace (données probantes de niveau I)19. Cependant, on ne sait pas toujours précisément si une dose 4 ou 5 fois plus élevée peut être utilisée en situation réelle ni comment le faire. Par exemple, l’augmentation de doses modérées à fortes de CSI, ou de produits associant CSI-ABAP, entraîne souvent des doses de CSI ou d’ABAP qui dépassent les limites réglementaires. En outre, on peut augmenter de 4 ou 5 fois la dose de CSI de différentes façons, y compris en ajustant le nombre ou la fréquence des inhalations dans l’inhalateur de départ, ou les 2; en ajoutant temporairement un nouvel inhalateur de CSI; ou en changeant temporairement d’inhalateur. Malheureusement, les lignes directrices existantes de prise en charge de l’asthme n’offrent aucun conseil quant à l’approche optimale à adopter5. Ces difficultés de mise en application pratique sont un obstacle de taille à l’utilisation d’un PAA en pratique générale.
Pour combler ces lacunes, une série de principes factuels de détermination des doses nécessaires et aussi de « formulation » pratique des médicaments de la zone jaune ont récemment été proposés5 (voir les Tableaux 2 et 3 dans Kouri et coll.5, disponibles à erj.ersjournals.com/content/49/5/1602238#T2). Ces principes ont été appliqués pour créer un outil de pratique sous la forme d’un tableau à imprimer et à utiliser au chevet du patient, dressant la liste de chaque recommandation appropriée de la zone jaune liée à divers schémas pharmacologiques initiaux correspondants (zone verte) (erj.ersjournals.com/content/erj/49/5/1602238/DC1/embed/inline-supplementary-material-1.pdf?download=true)5. L’outil fournit aussi des conseils sur l’emploi approprié des corticostéroïdes dans le contexte d’un PAA chez les patients dont l’état clinique ne s’améliore pas sous une dose accrue du médicament de fond et chez les patients qui présentent des antécédents d’exacerbations soudaines et graves, et il aborde les répercussions sur le PAA de l’association budésonide-formotérol en traitement d’entretien et de dépannage5.
Résolution du cas
Janette et son médecin de famille discutent de l’idée de l’autoprise en charge de l’asthme et décident qu’il s’agirait d’une approche bénéfique pour éviter les visites à l’urgence liées à l’asthme et améliorer la qualité de vie de Janette. Elles parlent des différents éléments d’un PAA. Pour la zone jaune, après avoir consulté les outils pratiques décrits ci-dessus5, elles optent pour maintenir l’association fluticasone-salmétérol en Diskhaler en traitement de fond et ajouter la fluticasone en Diskhaler (250 μg), à raison de 3 bouffées 2 fois par jour pendant 7 jours afin d’obtenir une dose quotidienne totale de fluticasone de 2000 μg durant les périodes de perte de maîtrise de l’asthme (Figure 1). Cela représente une dose de CSI 4 fois plus forte, sans augmenter la dose d’ABAP, laquelle était déjà à la limite permise. Le médecin a ensuite expliqué brièvement en quoi consiste l’asthme, a revu la maîtrise de l’asthme chez Janette, l’observance du traitement et la technique d’inhalation; elle a discuté des facteurs de risque modifiables, tels que l’exposition à la fumée et aux allergènes; et a remis à Janette un lien vers des ressources éducatives auto-dirigées sur l’asthme, en ligne (Encadré 1)5. Elles ont décidé qu’un suivi dans 6 mois serait nécessaire pour revoir la maîtrise de l’asthme chez Janette.
Ressources utiles pour les patients et les médecins (en anglais seulement)
Plan d’action factuel imprimable pour l’asthme, destiné à la pratique (voir Figure 3) : www.karger.com/Article/FullText/338112
Programme d’éducation en ligne à l’intention des cliniciens sur la création d’un plan d’action pour l’asthme : machealth.ca/programs/asthma-action-plan
Lien en accès libre à l’article « An evidence-based, point-of-care tool to guide completion of asthma action plans in practice5 » : erj.ersjournals.com/content/49/5/1602238
Ressource éducative interactive sur l’asthme à l’intention des patients, module d’apprentissage « Prendre la maîtrise de votre asthme » : public.machealth.ca/programs/taking-control-of-your-asthma/default.aspx
Conclusion
Ce nouvel outil de point de service vise à faire tomber les obstacles liés à l’absence de connaissances et à accroître la création efficace d’un PAA en pratique familiale. Les autres obstacles, tels que le temps nécessaire pour créer un PAA et l’éducation sur l’asthme, et l’absence de disponibilité des PAA aux points de service peuvent être abordés à l’avenir en intégrant ces connaissances dans un système informatisé d’aide à la décision, lequel automatise beaucoup d’étapes nécessaires à la génération et à la remise d’un PAA20. Les obstacles pour le patient, tels que l’observance du traitement et la technique d’inhalation, sont des aspects tout aussi importants pour assurer le traitement optimal de l’asthme21 et doivent être intégrés dans les futurs outils d’autoprise en charge de l’asthme.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ Les plans d’action pour l’asthme (PAA) sont des plans écrits personnalisés, créés par les professionnels de la santé en collaboration avec les patients asthmatiques; ils visent à orienter l’autoprise en charge de l’asthme lors d’une aggravation aiguë.
▸ L’effet des PAA a fait l’objet d’études approfondies dans une gamme de contextes, et il a été démontré que leur utilisation peut réduire les hospitalisations liées à l’asthme, soulager les symptômes d’asthme et améliorer la qualité de vie. Malgré l’ensemble des données probantes en faveur des PAA et les recommandations régulièrement fortes étayant leur utilisation dans les lignes directrices internationales sur la prise en charge de l’asthme, très peu de patients reçoivent effectivement un PAA.
▸ L’outil de point de service décrit ici vise à faire tomber les obstacles liés au manque de connaissances et à favoriser la création efficace d’un PAA en pratique familiale.
Footnotes
Collaborateurs
Tous les auteurs ont contribué à la revue et à l’interprétation de la littérature, à la création de l’outil, de même qu’à la préparation du manuscrit aux fins de soumission.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the February 2019 issue on page 103.
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