La particularité des besoins en soins de santé du groupe d’âge des 18 à 24 ans, connu comme celui des adultes émergents, a récemment été reconnue1,2. Par le passé, cette population était incluse dans le groupe des adultes plus âgés, soit la cohorte des 18 à 64 ans; par ailleurs, cette désignation est de plus en plus jugée inexacte. Ces jeunes adultes, qui sont encore en voie d’acquérir leur autonomie, ont des ressemblances marquées avec les adolescents et diffèrent des personnes plus âgées qui ont atteint leur complète indépendance. Par rapport aux adultes plus âgés, la probabilité est plus grande qu’ils vivent chez leurs parents, qu’ils soient aux études, qu’ils soient dépendants financièrement, qu’ils soient employés à temps partiel ou sans emploi, et qu’ils ne soient pas engagés dans une relation à long terme3,4.
Description du cas
T.J. est un homme de 22 ans qui se présente à votre clinique après les heures normales pour une raideur au dos à la suite d’une collision mineure survenue le jour d’avant. À vos questions, il répond qu’il étudie à l’université et, pour joindre les 2 bouts, il fait des livraisons à temps partiel pour une pharmacie. En faisant des livraisons la veille, il pense qu’il s’est endormi au volant. Vous l’examinez et ne trouvez pas de problèmes précis, mais vous remarquez qu’il n’est pas venu à la clinique depuis ses derniers vaccins, à l’âge de 14 ans. Ses yeux sont injectés de sang et ses mains tremblent. Il semble au bord des larmes. Vous vous demandez si vous devriez lui poser d’autres questions, mais vous ne savez pas vraiment comment ou par où commencer. Vous avez 3 autres patients qui attendent.
Sources de l’information
Une recherche documentaire a été effectuée par la bibliothécaire du Département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto (Ontario). La recension a été faite dans PubMed, MEDLINE, la base de données Cochrane des revues systématiques et Google Scholar à l’aide des expressions young adults, emerging adults, preventive services, prevention, screening et health promotion. Des recherches supplémentaires ont été effectuées au moyen des expressions mental health, substance use, addictions, sexual health, bullying, abuse, nutrition, sleep, injury prevention et physical fitness. Parmi les 521 articles recensés, seuls les articles portant sur des études populationnelles, des lignes directrices et des revues systématiques pertinentes pour les jeunes adultes ont été retenus.
Message principal
Les jeunes adultes forment un groupe en transition entre l’adolescence et l’âge adulte, et leurs facteurs de risque de préjudices sont considérables sur les plans physique, mental et émotionnel (Encadré 1). Par rapport à d’autres groupes, les jeunes adultes sont plus enclins à souffrir d’anxiété4,5. De fait, la plupart des maladies mentales commencent à se manifester chez les adolescents et les jeunes adultes4,5. Les accidents et le suicide sont les causes de décès les plus fréquentes dans cette cohorte6. Il est plus probable qu’ils soient des buveurs excessifs7,8 et qu’ils aient une chimiodépendance9, et leurs taux de tabagisme sont les plus élevés10. Les jeunes femmes adultes sexuellement actives courent le plus grand risque d’infections transmises sexuellement et de violence de la part de leur partenaire intime11. Plus du quart des jeunes adultes ont des habitudes alimentaires restrictives ou malsaines12, et moins de la moitié d’entre eux atteignent les cibles d’activité physique recommandées13. Pourtant, ces jeunes adultes ont recours moins fréquemment aux services de soins primaires en comparaison des autres groupes d’âge.
Risques accrus chez les jeunes adultes
Les jeunes adultes, c’est-à-dire les 18 à 24 ans, ont un risque accru des problèmes suivants :
Problèmes de santé mentale
Consommation d’alcool problématique
Chimiodépendance
Tabagisme
Mauvaises habitudes alimentaires
Activité physique insuffisante
Infections transmises sexuellement
Violence de la part du partenaire intime
Même si les professionnels des soins primaires voient certains de ces patients, ils ne connaissent peut-être pas la particularité de leurs besoins émotionnels et en matière de santé. De fait, des sondages ont démontré de faibles taux de services préventifs fournis par les médecins aux jeunes adultes14. Il se pourrait que les cliniciens soient moins au fait des besoins et des facteurs de risque spécifiques de cette population, et ne connaissent pas les ressources et les lignes directrices ciblées à leur disposition.
La façon de procéder actuellement recommandée au Canada est d’offrir des services de prévention de la manière la plus efficace et rentable possible, d’éviter les visites, les manœuvres et les interventions inutiles, et de « choisir avec soin »15. Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs confirme l’utilité d’une prévention périodique et ciblée12. La prestation de tels services est difficile lorsqu’un groupe à risque élevé a besoin de services de prévention, mais qu’il consulte rarement et ne prend pas de rendez-vous précisément dans un but préventif.
Le guide de santé Greig pour jeunes adultes (guide Greig) est un outil révisé par des pairs portant sur les soins préventifs, qui se fonde sur les lignes directrices et les données probantes actuellement disponibles. Il a reçu l’aval du Collège des médecins de famille du Canada et se trouve sur son site web à https://www.cfpc.ca/Greig-Health-Record-for-Young-Adults/, de même que dans CFPlus*. Un outil semblable, le relevé médical Greig, existe déjà pour les enfants de 6 à 17 ans, et il est sanctionné par le Collège des médecins de famille du Canada et la Société canadienne de pédiatrie17.
Ce nouvel outil pour les soins préventifs destinés aux 18 à 24 ans est présenté aux médecins de soins primaires dans le même format, soit un guide facile d’accès vers des recommandations fondées sur des données probantes à utiliser lorsque les patients se présentent à la clinique ou aux services d’urgence, et un document à portée de main pour consigner les stratégies de prévention entreprises. Il peut être utilisé lors des visites épisodiques et des rendez-vous consacrés à la prévention, si de telles possibilités se présentent.
L’outil comporte une liste de vérification, ainsi que 4 pages de ressources et de recommandations. La force des recommandations est indiquée en caractères gras si les données probantes sont bonnes, en italique si elles sont acceptables, et en caractères normaux si les recommandations reposent sur un consensus ou des données non concluantes. La classification des recommandations est déterminée à la suite d’une évaluation de la qualité des données probantes à l’appui et de la probabilité d’un bienfait net18,19. Le guide Greig comprend des outils de dépistage de l’anxiété (l’échelle d’évaluation du trouble d’anxiété généralisée en 7 points GAD-7) et de la dépression (le questionnaire sur la santé du patient en 9 points PHQ-9), un outil de dépistage de la consommation excessive d’alcool et de drogues (l’échelle CRAFFT – acronyme en anglais pour voiture, détente, seul, oubli, amis et ennuis), des recommandations sur l’alimentation et l’activité physique, et des recommandations pour le dépistage chez les jeunes adultes sexuellement actifs. Il propose aussi un grand nombre de ressources et des liens Internet à l’intention des patients sur des sujets comme le sommeil, les relations, la santé mentale, la sexualité, et les jeunes lesbiennes, gais, transgenres et bisexuels, pour n’en nommer que quelques-uns. Parce que le dépistage de problèmes est susceptible de teinter négativement les interactions avec les jeunes, le guide Greig comporte aussi une liste de questions à propos des forces du patient. Ces questions aident les cliniciens à cerner et à renforcer les attributs positifs afin de contribuer à bâtir la résilience20–22. La première des 4 pages est structurée de manière à pouvoir servir de document à remettre au patient. La liste de vérification prévoit des espaces pour consigner les manœuvres de l’examen physique, le cas échéant, mais il est indiqué en caractères plus pâles qu’aucune intervention, sauf la mesure de la pression artérielle, n’est recommandée par des données probantes.
Plus de recherche est nécessaire pour déterminer les stratégies de prévention les plus efficaces dans ce groupe d’âge. Il faudra aussi évaluer l’efficacité de cet outil dans la pratique clinique. Pour les lecteurs intéressés à l’analyse en profondeur des recherches et des données probantes étayant le guide Greig, un document technique révisé par des pairs se trouve dans CFPlus*.
Résolution du cas
Étant donné que vous êtes le médecin traitant du reste de la famille, et que la mère de T.J. travaille comme infirmière auxiliaire à l’hôpital même où vous travaillez, vous commencez par lui expliquer les principes relatifs à la confidentialité de la relation patient-médecin. Vous prenez ensuite le guide Greig et vous lui demandez s’il a de la difficulté à dormir, ce à quoi il répond par l’affirmative. Il vous dit aussi qu’il boit plus de café pour l’aider à s’acquitter de tous ses engagements. Compte tenu de cette information, vous lui demandez s’il consomme de l’alcool et des drogues, s’il prend abusivement des médicaments d’ordonnance, les siens ou ceux d’autres personnes, ce qu’il nie. Par ailleurs, vous demeurez perplexe face à son insomnie et vous le questionnez sur sa situation familiale. Il répond qu’une de ses sœurs plus jeunes a été malade et a récemment été hospitalisée, ce qui a inquiété toute la famille, mais qu’elle semble aller mieux. Vous lui posez des questions sur ses études. Il vous répond qu’il éprouve des difficultés. Il n’a pas assez de temps pour étudier à cause de son emploi à temps partiel, et il a raté quelques échéances. Vous poursuivez en lui demandant s’il a des amis ou une partenaire. La réponse à ces questions ne vous renseigne pas beaucoup à ce sujet. À ce point-ci, vous vous demandez si vous oubliez quelque chose, mais vous vous rappelez aussi que vous avez d’autres patients à voir. Vous lui dites que vous avez besoin de plus d’information et lui demandez s’il serait disposé à répondre à quelques questionnaires de dépistage du guide Greig pendant que vous voyez les autres patients.
Il répond au questionnaire PHQ-9 pour la dépression et au GAD-7 sur le trouble d’anxiété généralisée. Ses scores se situent pour les 2 dans la fourchette faible. Il admet avoir certains problèmes d’humeur, mais se défend d’avoir des idées suicidaires. Vous lui faites part de vos inquiétudes et indiquez que vous pourriez peutêtre l’aider. Il accepte de prendre rendez-vous la semaine suivante pour discuter plus en profondeur, et vous lui donnez un exemplaire de la première page de ressources du guide Greig, qui contient une liste de conseils pour bien dormir. Vous lui suggérez aussi de s’informer auprès de son université des services offerts aux étudiants, comme de l’aide financière. Vous inscrivez vos préoccupations sur la liste de vérification du guide Greig, que vous utiliserez pour orienter vos questions lors du prochain rendez-vous. Vous ajoutez une note pour vous rappeler d’insister sur les questions portant sur les forces, de faire passer l’examen de dépistage CRAFFT (pour l’alcool et les drogues) dans le but d’investiguer davantage cet important problème et d’obtenir un bilan sexuel plus précis afin d’élucider les questions relatives à la sexualité et à la diversité de genres, de même que le risque d’infections transmises sexuellement. Toutes ces ressources sont aisément accessibles dans le guide Greig.
Conclusion
Les jeunes adultes forment un groupe particulier à risque élevé d’un certain nombre de problèmes de santé. Ils consultent rarement pour obtenir des soins, et surtout de manière épisodique. Les professionnels des soins primaires qui connaissent moins bien les besoins en soins préventifs de ce groupe peuvent utiliser le guide Greig pour orienter leurs interactions avec ces patients. Cet outil est un document révisé et entériné par des pairs qui oriente la prestation des services de prévention et le dépistage chez les jeunes adultes, qui non seulement suggère une approche à l’endroit des soins aux patients, mais fournit aussi des ressources fondées sur des données probantes à utiliser durant le rendez-vous et à remettre au patient.
Remerciements
Ce projet a été financé par une subvention du Département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ Les jeunes adultes forment un groupe en transition entre l’adolescence et l’âge adulte, et leurs facteurs de risque de préjudices sont considérables sur les plans physique, mental et émotionnel. Jusqu’à tout récemment, les lignes directrices sur les soins de santé préventifs les considéraient comme des adultes faisant partie de la cohorte des 18 à 64 ans. Par ailleurs, il s’agit d’un groupe particulier qui consulte rarement, et de manière épisodique.
▸ Le guide de santé Greig pour jeunes adultes est un document révisé et entériné par des pairs sur la prestation de soins préventifs et le dépistage chez les jeunes adultes de 18 à 24 ans. Il offre aux professionnels des soins primaires un accès facile à des recommandations fondées sur des données probantes à utiliser lorsque les patients viennent à la clinique ou aux services d’urgence, et il constitue un bon médium pour consigner les stratégies de prévention lorsqu’elles sont effectuées. Le guide comporte une liste de vérification des interventions préventives et 4 pages de ressources fondées sur des données probantes. La première de ces pages est structurée de manière à servir de document à remettre au patient. Cet outil peut être utilisé lors de visites épisodiques comme stratégies de prévention opportunistes, ou encore lors de rendez-vous consacrés à la prévention.
Footnotes
↵* On trouvera Le guide de santé Greig pour jeunes adultes et les 4 pages de ressources en français et en anglais à www.cfp.ca, de même que le document technique révisé par des pairs (en anglais), qui explique la recherche et les données probantes qui étayent Le guide de santé Greig pour jeunes adultes. Rendez-vous au texte intégral (full text) de l’article en ligne et cliquez sur l’onglet CFPlus.
Collaborateurs
Les 2 auteurs ont contribué à la recherche documentaire, à l’interprétation des données et à la préparation du manuscrit aux fins de soumission.
Intérêts concurrents
Le Dr Tellier a participé, en mars 2015, à une réunion internationale de consultation organisée et parrainée par Pfizer, et il participe à un projet de recherche parrainé par les Instituts canadiens de recherche en santé, mais qui reçoit une aide en nature de Merck.
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, rendez-vous sur www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the August 2019 issue on page 539.
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