Les frontières se rapprochent de plus en plus: les voyages internationaux ont atteint le milliard par année, la migration internationale se situe maintenant à près de 200 millions annuellement, les télécommunications rejoignent le cœur de l’Afrique et le courriel permet aujourd’hui aux familles de garder contact partout dans le monde.
Les progrès dans le développement économique, l’éducation, les sciences et la technologie offrent la possibilité d’améliorer la santé, mais bon nombre de ces progrès ne sont pas accessibles dans de grandes régions du monde. L’Organisation mondiale de la santé reconnaît que les disparités dans la capacité des gens d’être en santé sont une préoccupation planétaire; les disparités en santé entraînent avec elles les menaces d’épidémies, l’appauvrissement grandissant et les conflits politiques. À ce titre, les inégalités dans la santé mondiale sont une préoccupation qui nous concerne tous, ainsi que nos familles et les générations futures.
La pénurie mondiale actuelle de travailleurs de la santé bien formés contribue aux disparités en santé2. La crise est plus profonde dans les pays les plus pauvres et, en particulier, en Afrique subsaharienne3.
L’expression «santé internationale» décrit le travail relié à la santé dans un milieu international (en dehors du pays où une personne vit et pratique la médecine) et concerne les pratiques, les politiques et les systèmes de santé dans d’autres pays. L’expression «santé mondiale» est davantage reliée aux problèmes de santé qui transcendent les frontières nationales, les classes sociales, la race, l’ethnicité et la culture, et qui comprend les soins à certaines populations, comme les immigrants et les réfugiés, tant localement qu’à l’étranger4. Dans cet article, nous explorons les rôles des médecins de famille et les possibilités qui leur sont offertes en santé mondiale, en particulier en ce qui a trait aux soins de première ligne et à la pratique familiale.
Soins de première ligne et santé mondiale
La Déclaration d’Alma-Ata de 1978 insistait sur l’importance des soins de première ligne dans le monde entier5. La Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la santé ont expliqué que les interventions les plus rentables en santé dans les pays à faibles et moyens revenus peuvent être effectuées par l’intermédiaire des soins de première ligne6.
Les soins de première ligne sont bien placés pour contribuer à la santé mondiale. Starfield a démontré que les pays qui sont plus fortement axés sur les soins de première ligne ont plus de chance d’avoir de meilleurs résultats en santé et des coûts plus faibles en services de santé7.
Parmi les plus importants bienfaits des soins de première ligne figure le potentiel de contribuer au développement économique et au bien-être familial8. La pauvreté prédispose les patients à la mauvaise alimentation, au surpeuplement et aux mauvaises conditions de logement, et accroît le fardeau de la maladie, comme le paludisme et la tuberculose, et les blessures9–14. Le fardeau financier de la maladie peut avoir des effets catastrophiques sur les ménages précaires15, comme on le voit dans les pays fortement touchés par le VIH et le sida14. Les soins de première ligne peuvent aider à prévenir et à traiter les maladies, réduisant ainsi la morbidité et la mortalité à tous les niveaux socioéconomiques, ce qui, en retour, peut contribuer à la croissance économique.
Médecins de famille et soins de première ligne internationaux
Les soins de première ligne peuvent promouvoir de bien des façons l’équité en santé mondiale6. Cette notion se retrouve dans les principes de la pratique familiale, tels que définis par le Collège des médecins de famille du Canada16. Les médecins de famille canadiens jouent un rôle essentiel dans le système des soins de première ligne et, à ce titre, sont les candidats idéaux pour contribuer à réaliser l’objectif de la santé mondiale pour tous, localement et mondialement.
Mondialement, les médecins de famille peuvent aider à renforcer les systèmes de santé en contribuant leurs habiletés cliniques, leur savoir et leur dévouement. De plus en plus de médecins de famille canadiens participent à la santé mondiale. Ils dispensent des soins, enseignent, font de la recherche et se font les défenseurs de projets de santé mondiale.
Contrairement à la croyance populaire voulant que les populations des pays en développement souffrent exclusivement de maladies exotiques transmissibles, une part grandissante du fardeau mondial de la maladie est attribuable à des problèmes chroniques comme le diabète, l’hypertension, le cancer, les maladies mentales et les traumatismes15,17. Les médecins de famille sont des experts dans la compréhension des maladies indifférenciées, des déterminants sociaux de la santé et du traitement de première intention des problèmes courants. Ils ont donc beaucoup à offrir aux soins de première ligne dans les milieux défavorisés.
Lors de catastrophes, dans des situations de crise et dans les communautés dépourvues de ressources, les médecins de famille ont pu démontrer l’ampleur de leur formation et leur capacité de travailler dans des milieux de soins de santé diversifiés18. Malgré la richesse des actifs cliniques qu’on retrouve chez les médecins de famille, le travail à l’étranger exige souvent une certaine formation additionnelle. Il faut que les médecins soient bien préparés pour que les initiatives soient profitables.
La plupart des médecins de famille contribueront probablement à la santé mondiale en voyant certains patients, comme des immigrants récents, des réfugiés, des étudiants étrangers ou des voyageurs internationaux. La plupart des médecins de famille canadiens reçoivent de plus en plus de personnes de diverses croyances culturelles à propos de la maladie, de langue différente ou souffrant de maladies tropicales. Plus de 18% des Canadiens sont nés à l’étranger, une proportion qui atteint environ 40% à Vancouver et à Toronto19. En 2005, le Canada a accueilli plus de 262 000 nouveaux arrivants20 à qui s’adressent des programmes d’encouragement à s’établir dans les villes éloignées et en milieu rural. La santé mondiale concerne non seulement les personnes qui mettent à contribution leurs habiletés dans des pays étrangers, mais aussi tous les médecins de famille canadiens.
Possibilités pour la médecine familiale et les médecins de famille
La santé internationale et la santé mondiale peuvent aider à revitaliser la médecine familiale, à attirer de nouveaux résidents et à ouvrir de nouvelles avenues pour le leadership et la recherche. Il est reconnu que la santé mondiale, autrefois le bastion de la pédiatrie et de la médecine des maladies infectieuses, prend maintenant appui sur les soins de première ligne—un habitat naturel pour la médecine familiale.
L’inclusion de la santé internationale dans les programmes de résidence en médecine familiale incite davantage les étudiants à choisir de tels programmes21. Il a aussiété démontré que l’ex périence de la formation en santé internationale se traduit par de meilleu res notes aux examens22 De plus, les étudiants en médecine qui ont fait un stage optionnel dans des pays à faibles revenus sont plus enclins à choi sir la pratique rurale et en groupe et à être plus réceptifs aux disparités et aux besoins communau taires21.
Outre les raisons pra tiques, nous maintenons que l’incitation à une plus grande implication en santé mondiale vient en partie de nos impé ratifs moraux collectifs À titre de citoyens, nous avons la responsabilité commune de décrier les inégalités profondes, de les remettre en ques tion et de les résoudre En tant que médecins, la position privilégiée que nous occuponsen raison de notre éducation, de notre revenu et de la reconnaissance sociétale, sans compter le contrat social qui nous lie à la population que nous desservons, se prolonge en une responsabilité de prendre la parole et d’agir au nom de ceux qui sont pénalisés par les inégalités en santé. Nous faisons valoir que de s’occuper des personnes en situation de besoin extrême relève à la fois de notre humanisme collectif et de notre serment professionnel: «Je m’interdirai d’être volontairement une cause de tort». L’inaction est source de tort.
Il est évident que l’implication exigera des investissements additionnels. Si nous espérons voir la médecine familiale et les médecins de famille comme acteurs dans le domaine de la santé mondiale, il nous faudra trouver des moyens pour augmenter l’exposition à la santé mondiale dans les programmes prédoctoraux et post-doctoraux, prévoir des modes de rémunération permettant aux médecins de famille de travailler au pays et à l’étranger, et aider les médecins de famille à perfectionner les habiletés nécessaires pour travailler à l’échelle internationale. Certains programmes de résidence canadiens (University of British Columbia, Université Laval et University of Toronto), par exemple, offrent déjà une formation avancée en santé internationale23. Il faut mieux faire connaître les ressources à la disposition des apprenants et des médecins de famille en pratique active pour les préparer au travail international.
Message à garder en mémoire
Les soins de première ligne comptent parmi les moyens les plus efficaces et les moins coûteux pour atteindre l’équité en santé à l’échelle mondiale. La santé internationale et la santé mondiale offrent la possibilité de revitaliser la médecine familiale, de mettre à contribution notre formation et nos habiletés diversifiées, et d’aider à bâtir une communauté mondiale plus en santé.
Les médecins de famille exercent un rôle de chefs de file en soins de première ligne au Canada. Il existe un réel besoin, et des possibilités innombrables s’offrent à nous d’élargir notre rôle à l’échelle du globe. L’expérience que nous avons à contribuer ainsi que notre obligation morale, notre responsabilité sociale et notre éthique professionnelle étayent l’élargissement des principes de la médecine familiale pour inclure notre engagement envers la communauté mondiale.
Arafa* est une femme de 23 ans, séropositive, mère de 3 enfants, qui habite le Malawi. Elle est l’une des quelque 13 millions de porteuses du VIH en Afrique subsaharienne, où la prévalence de l’infection au VIH se situe entre 4% et 42%1.
Arafa a reçu une dose unique de névirapine pendant le travail lors de ses deuxième et troisième accouchements, conformément aux directives locales. Elle n’a pas accès au CD4 ni à la mesure des charges virales. Elle n’est pas bien depuis quelques mois et est maintenant admissible aux traitements par anti-rétroviraux. Le traitement de première intention est fourni gratuitement aux patients, mais le coût du transport à la clinique du VIH équivaut à une journée de salaire et il n’est pas certain que le seul médecin de la clinique puisse la voir le même jour. Si elle a la malchance d’être l’une des quelques femmes qui ont développé une résistance à la névirapine, aucun autre médicament abordable de deuxième intention ne lui sera accessible. Sa mère, elle aussi séropositive, a pu déménager au Canada, a accès aux antirétroviraux et vit pleinement une vie productive.
Footnotes
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↵* Arafa est un pseudonyme utilisé pour protéger l’identité de la patiente. Arafa signifie en swahili «bien renseignée».
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