Le but véritable de la médecine n’est pas de rendre l’homme vertueux; c’est de le protéger et de le sauver des conséquences de ses vices. Le médecin ne prêche pas le repentir; il offre l’absolution.
H.L. Mencken
Quand je pense à mon rôle de médecin de famille en prévention, je songe souvent à cette citation de l’auteur américain H.L. Mencken. Les médecins, les politiciens et la population croient généralement que les programmes de dépistage sont tous bons. Ils sauvent des vies et, par le fait même, de l’argent qui serait autrement dépensé à traiter la maladie déjà avancée. Le Dr Ken Marshall, ancien professeur de médecine familiale à l’University of Western Ontario, à London, est l’un des commentateurs les plus avisés sur les risques et les avantages du dépistage et de la prévention1–4. Lorsqu’Action Cancer Ontario et le ministère ontarien de la Santé ont initialement recommandé la recherche de sang occulte dans les selles (RSOS) à l’échelle de la population pour dépister le cancer colorectal, les inconvénients et les bienfaits ont fait l’objet de débats passionnés5,6.
Le cancer colorectal demeure une inquiétude au Canada: il arrive au 3e rang des cancers les plus fréquents et est la 3e et 2e causes de décès dû au cancer chez la femme et l’homme respectivement7. Même s’il persiste des controverses, les meilleures données probantes à notre disposition favorisent la RSOS comme intervention de dépistage efficace. Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs la recommande pour les personnes à risque moyen de 50 ans et plus. Même si la plupart des médecins de famille recommandent la RSOS à leurs patients et malgré la campagne de dépistage dans l’ensemble de la population par Action Cancer Ontario et le ministère ontarien de la Santé (www.controlecancercolorectal.ca/index.html), une étude par Ritvo et ses collègues, publiée dans ce numéro du Médecin de famille canadien ( page 177), révèle que la population connaît peu ce programme et n’y est pas bien préparée8. Outre la campagne ContrôleCancerColorectal présentement en marche, il est évident que les médecins de famille ont un rôle important à jouer auprès de leurs patients dans la promotion de cette intervention.
Bon nombre de mes patients, et apparemment beaucoup de médecins aussi9,10, préfèrent sauter l’étape de la RSOS et passer directement à la colonoscopie malgré le manque de données probantes la justifiant dans l’ensemble de la population. Certains maintiennent que la colonoscopie est un test plus sensible, donc meilleur que la RSOS, malgré les préoccupations entourant ses risques, sa rentabilité et sa disponibilité11. Il est plausible qu’à l’avenir, la colonoscopie aux 10 ans remplace la RSOS comme test de dépistage privilégié pour prévenir le cancer colorectal et les médecins devront prêcher ce qu’ils pratiquent. À l’heure actuelle, il n’y a probablement pas assez de cliniciens formés en colonoscopie pour permettre une telle approche. Par ailleurs, dans le futur, un tel dépistage pourrait être offert par des médecins de famille ayant reçu une formation additionnelle dans cette technique. L’excellente vérification de la qualité de la pratique par Kolber et ses collègues ( page 171) dans ce numéro démontre qu’un médecin de famille bien formé peut faire des endoscopies de manière compétente, les résultats et les taux de complication se comparant favorablement avec les directives actuelles sur l’assurance de la qualité en endoscopie12.
Le 3e article de recherche du présent numéro ( page 179) se penche aussi sur les soins préventifs. Wang et ses collègues démontrent qu’il existe des obstacles à la mesure exacte des taux véritables de soins préventifs (vaccin contre l’influenza, mammographie et test de Papanicolaou) en Ontario13. De plus, les auteurs font valoir d’importantes variations régionales et socioéconomiques à régler dans l’exécution de certaines interventions préventives.
Les soins préventifs et le dépistage de problèmes comme le cancer colorectal comptent parmi les aspects les plus importants et difficiles de notre travail de médecins de famille. Nous n’avons peut-être pas pour but de «rendre l’homme vertueux», mais lorsqu’ils sont sécuritaires, efficaces, équitables et abordables, c’est notre but de donner des soins préventifs à tous nos patients.
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