Un patient de 78 ans hospitalisé au service de réadaptation vient de subir une amputation sous le genou en raison d’un pied gangreneux, une complication du diabète de type 2. Son taux d’hémoglobine A1c (HbA1c) n’a jamais excédé 7,5 % et se situait habituellement à moins de 7 %. Un accident vasculaire cérébral (AVC) l’an dernier l’a laissé dysphasique. Il n’a jamais eu d’incident coronarien. Un visiteur l’a amené à son grand plaisir prendre une bouffée d’air frais et un peu de soleil. À son retour à l’étage, une infirmière les gronde tous les 2 d’avoir été absents au moment de la mesure prévue de la glycémie capillaire (4 fois par jour). « Voulez-vous que votre état s’améliore? ». Le résultat du test est de 5,6 mmol/l—euglycémique comme toujours. L’expérience transforme un rare moment de joie en tristesse et en inquiétude.
Une femme dans la soixantaine se démène pour maintenir son taux de glycémie aux seuils fixés par son médecin. Ses taux de HbA1c sont rarement en deçà de 8 %; par contre, malgré une combinaison soigneusement concoctée d’insuline isophane et d’insuline lispro 2 fois par jour aux repas, elle a souvent des réactions hypoglycémiques et continue de prendre du poids. Cette situation la décourage et l’inquiète.
Un camionneur de 50 ans de poids normal vient de recevoir un diagnostic de diabète de type 2. Il vit de chèque de paie en chèque de paie. Son petit-fils de 7 ans est le trésor de sa vie. La mère du garçon est célibataire et vit de l’aide sociale. Le grand-père a reçu les instructions de mesurer lui-même sa glycémie 4 fois par jour, mais 100 bandelettes coûtent 90 $. Il préférerait acheter des patins à l’enfant, mais il se croit obligé de choisir entre préserver sa santé et aider sa famille en difficulté.
La plus récente version du guide de pratique clinique de l’Association canadienne du diabète fait valoir que la plupart des patients ayant un diabète de type 2 devraient maintenir leur taux de HbA1c à 7 % ou moins1. Selon ces directives, il faudrait enseigner à « tous ceux qui sont capables » comment mesurer eux-mêmes leur glycémie. Pour ceux qui ne prennent pas d’insuline, la fréquence de cette mesure peut être individualisée, mais il faudrait au moins mesurer la glycémie avant et après les repas1.
À quelques exceptions près, le diabète de type 2 cause ses dommages sur une période de plusieurs années. Son évolution naturelle varie grandement chez ceux qui en sont atteints. Seules des études prospectives d’envergure réalisées sur de longues périodes peuvent faire la lumière sur cette question controversée. Étant donné les coûts prohibitifs et les difficultés logistiques, très peu d’études de ce genre ont été entreprises. Inévitablement, la majorité des recommandations du guide de pratique clinique de l’Association canadienne du diabète se fondent sur un consensus d’experts.
Manque de données probantes
Toute science est expérimentale. Quatre études fournissent en grande partie ce que nous savons à propos des seuils de glycémie visés dans le diabète de type 2.
Dans l’étude UKPDS (United Kingdom Prospective Diabetes Study)2 de 1998, de nouveaux patients diabétiques, relativement jeunes (entre 25 et 64 ans), ont été choisis au hasard pour recevoir un traitement « conventionnel » (par régime alimentaire seulement et médicament ajouté si la glycémie à jeun excédait 15 mmol/l ou s’il apparaissait des symptômes) ou un traitement « intensif » (traitement visant l’euglycémie dès le départ). Le contrôle glycémique sur une période de 10 ans était meilleur dans le groupe traité intensivement par rapport au groupe ayant reçu le traitement conventionnel: les taux médians de HbA1c se situaient à 7 % par rapport à 7,9 %, respectivement. (Il s’agissait de nouveaux patients diabétiques - à la fin de l’étude, les niveaux médians de HbA1c étaient de 8,1 % par rapport à 8,7 %, respectivement). Résultat: une baisse en fin d’étude des effets microvasculaires, presque tous entièrement attribuables à la réduction de la photocoagulation rétinienne. Il n’y avait pas de différence au chapitre de la mortalité, des incidents macrovasculaires, de l’insuffisance rénale, ni de la cécité.
En 2008, le groupe responsable de l’étude ACCORD (Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes)3 a choisi au hasard 10 251 patients (dont le taux médian de HbA1c au départ était de 8,1 %) pour leur administrer leur version de la thérapie intensive (taux visé de HbA1c de 6 %, avec 6,4 % atteint) ou une thérapie « standard » (taux médian de HbA1c de 7,5 %). On a mis un terme à l’étude après 3,5 ans parce que le taux de mortalité dans le groupe à thérapie « intensive » était plus élevé: 5 % par rapport à 4 % (P = ,04).3
Presque en même temps, le groupe chargé de l’étude ADVANCE (Action in Diabetes and Vascular Disease: Preterax and Diamicron MR Controlled Evaluation)4 choisissait de manière aléatoire 11 140 sujets, et on a constaté des taux de HbA1c de 6,5 % chez le groupe « intensif » par rapport à 7,3 % chez le groupe « standard ». Après 5 ans, il n’y avait pas de différence dans la mortalité toutes causes confondues, les incidents macrovasculaires majeurs ou la rétinopathie. Dans le groupe traité intensivement, il y avait moins de cas nouveaux ou aggravés de protéinurie par rapport au groupe traité conventionnellement (2,9 % par rapport à 4,1 %). L’équipe a constaté une « tendance » vers une réduction des greffes de rein ou des décès de causes rénales (0,4 % par rapport à 0,6 %, P = ,09), mais il s’agissait de cas isolés. Il n’y avait pas de différence dans le taux de doublement de la créatinine sérique.
Plus récemment, en 2008, l’étude UKPDS a entrepris un suivi non randomisé après 10 ans auprès des participants survivants de l’étude de 19985. Les différences dans le contrôle glycémique avaient rapidement disparu avec la fin de l’étude - dans l’ensemble, les taux médians de HbA1c se situaient à environ 8 %. Toutefois, on a observé des différences dans les groupes traités plus tôt. Dans le cadre d’une surveillance allant jusqu’à 10 ans après l’étude, les patients traités « intensivement » dès le diagnostic avaient moins de risques de décès, d’infarctus du myocarde ou (dans le groupe avec insuline sulfolynurée) de maladies microvasculaires, définies comme une hémorragie à l’humeur vitrée, la photocoagulation de la rétine ou l’insuffisance rénale. La réduction du risque absolu se situait dans une marge de 3 à 4 occurrences par 1 000 années-patients (nombre annuel de patients à traiter = 285). Il n’y avait pas de différence dans le taux d’AVC ou d’angiopathies périphériques. L’utilisation de la metformine était associée à un ratio de risque moins élevé de décès et d’infarctus du myocarde, mais à aucune réduction des complications microvasculaires.
Un « contrôle strict » dans la prise en charge du diabète aide-t-il vraiment nos patients? Chez les sujets étudiés dans le groupe à traitement « intensif », la probabilité d’avoir des réactions hypoglycémiques, d’être hospitalisés et de prendre du poids était constamment plus grande. Les coûts initiaux pour les patients et la société sont inévitablement plus élevés, et les études révèlent que l’autosurveillance n’est généralement pas bénéfique pour les patients atteints de diabète de type 2 qui ne prennent pas d’insuline5 et qu’elle a un effet négatif sur la qualité de vie7.
Bilan
Le bilan: nous avons des données probantes limitées démontrant les avantages modestes qu’apporte un contrôle moins « strict » (et, dans l’étude ACCORD, la possibilité qu’un contrôle « très strict » puisse être dangereux3.) Cela vaut-il la peine? Cette décision devrait revenir aux patients. Cette culture du « contrôle strict » imposée par les médecins dans les scénarios présentés plus haut n’est pas étayée par des données empiriques8. Pour des raisons d’éthique, nous devrions essayer de trouver des moyens de communiquer nos connaissances actuelles aux patients avec plus d’honnêteté et d’équilibre.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
-
Notre culture du « contrôle strict » dans la prise en charge du diabète tyrannise trop souvent les patients sans que ce soit très utile.
-
Les ouvrages spécialisés récents sont ambigus quant aux bienfaits d’un contrôle glycéemique strict, les résultats variant entre une mortalité accrue et de modestes améliorations dans un ensemble de résultats en fin d’étude importants sur le plan clinique.
-
Aucune étude n’a démontré de réduction des taux d’AVC ni des maladies vasculaires périphériques et il n’y a pas non plus de données empiriques justifiant l’autosurveillance par les patients ayant un diabéte de type 2 qui ne prennent pas d’insuline.
-
Les patients ont le droit de connaître l’ambiguïté des données probantes et d’avoir plus de soutien pour faire des choix qui concordent avec leurs valeurs.
Footnotes
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
-
This article is also in English on page 581.
-
Les parties à ce débat contestent les arguments de leur opposant dans des réfutations accessibles à www.cfp.ca. Rendez-vous au texte intégral en ligne, puis cliquez sur CFPlus dans le menu à droite en haut de la page. Participez à la discussion en cliquant sur Rapid Responses.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada