La patience a ses limites. Poussée trop loin, c’est de la lâcheté.
George Jackson (1941–1971, traduction libre)
En tant que père de 3 enfants actifs, j’ai passé pas mal de temps dans les urgences au fil des ans. En 2008, j’étais entraîneur d’une équipe de soccer qui se rendait au Royaume-Uni quand mon fils de 12 ans a subi une fracture au bras et s’est blessé au nez, ce qui nous a obligés à aller 4 fois en 9 jours au Children’s Hospital d’Edinburg. Nous n’avons jamais attendu plus de 30 minutes pour voir un médecin et jamais plus de 90 minutes à l’urgence. Tout le contraire d’une récente expérience au Canada.
Il y a quelques semaines, j’ai passé près de 12 heures à l’urgence avec ma fille de 10 ans. Après 2 jours de malaise, d’anorexie et de légère fièvre intermittente, elle s’est réveillée à 3 h du matin avec une forte douleur aiguë au côté inférieur droit de l’abdomen. À l’examen, il y avait de la sensibilité au point de McBurney et des signes péritonéaux. Ma conjointe et moi avons conduit notre fille de toute urgence à l’hôpital, craignant une appendicite ou pire. Une heure plus tard, elle était admise à l’urgence, évaluée par une infirmière et examinée par la résidente en pratique familiale. Jusqu’à présent, pas si mal.
Puis, tout a ralenti.
Après 2 heures, une ligne intraveineuse était installée et on faisait une prise de sang pour une numération globulaire. Après 5 heures, elle a finalement subi une échographie abdominale. Après 6 heures, un deuxième résident est venu l’évaluer et prendre un échantillon d’urine (la première résidente avait fini son quart). Après 10 heures, le médecin de garde a reçu le rapport de l’échographie et est venu avec le résident pour la réévaluer. Pendant ce temps, sa douleur avait diminué (de 8 sur 10 à l’arrivée à 2 sur 10). Après 11,5 heures, elle a reçu son congé quand le médecin a déclaré qu’elle n’avait définitivement pas besoin de chirurgie, que c’était seulement une adénite mésentérique.
Ce n’est pas la première fois que ce genre d’expérience à l’urgence me fait réfléchir plus sérieusement aux temps d’attente dans notre système de santé, en contraste avec ceux que j’ai vécus au Royaume-Uni. Les temps d’attente à l’urgence sont l’un des problèmes «brûlants» dans les systèmes de santé de nombreux pays et, au Canada, la frustration de la population à propos des temps d’attente peut contribuer à miner l’appui envers notre actuel régime socialisé de soins de santé, qui valorise l’égalité plutôt que la capacité de payer.
En 2000, le National Health Service du Royaume-Uni a fixé des objectifs ambitieux pour réduire l’attente de traitements à l’urgence, y compris le temps avant d’être vu par un clinicien, le temps entre l’examen par le clinicien et la décision d’admettre le patient ou de lui donner son congé, et l’attente entre la décision d’admettre et le moment où le patient est hospitalisé au service1. Dès 2006, 98 % des patients qui se rendaient à l’urgence en Angleterre attendaient moins de 4 heures entre l’arrivée et la décision finale (congé, admission ou transfert)2.
Comment le service national de la santé a-t-il réussi à atteindre des objectifs si ambitieux? Cooke et ses collaborateurs3 ont examiné les facteurs contribuant aux temps d’attente, y compris le rôle des soins primaires, les problèmes cliniques, structurels et procéduraux à l’urgence, le personnel, l’ordonnance et l’interprétation des tests diagnostiques (un facteur dans la longue attente de ma fille). Ils ont aussi analysé les solutions possibles et les domaines qui exigeaient plus de recherche évaluative. La mise en oeuvre de ces constatations a permis au Royaume-Uni de réduire considérablement les temps d’attente à l’urgence - améliorations dont j’ai probablement fait directement l’expérience à Edinburgh.
L’Institut canadien d’information sur la santé a produit une série de 3 rapports visant à expliquer le nombre et les genres de patients qui vont à l’urgence, leurs temps d’attente, ainsi que les facteurs liés à l’hôpital qui contribuent aux temps d’attente4. Dans le contexte de sa stratégie sur les temps d’attente, le ministère ontarien de la Santé a annoncé en 2008 un plan pour réduire les temps d’attente à l’urgence - dont la principale partie jusqu’à maintenant semble être la surveillance des temps d’attente et leur signalement pour permettre de faire le suivi des effets des stratégies locales. Selon les plus récentes statistiques publiées dans le site Web du Ministère, la durée moyenne des temps d’attente pour les cas très aigus et peu aigus à l’hôpital où nous étions était respectivement de 6,9 et 3 heures5. En se basant sur ces chiffres, près de la moitié des patients ontariens à l’urgence attendraient encore, tandis que les patients au Royaume-Uni seraient de retour à la maison (ou hospitalisés au service). Le temps d’attente de ma fille se situait près de 90e percentile pour un cas très aigu.
Que je sache, on n’a encore entrepris aucune approche complète comme celle du Royaume-Uni au Canada.
Entre-temps, pour être avec ma fille durant sa visite prolongée à l’urgence, j’ai dû annuler une journée complète de clinique, aggravant ainsi un autre problème d’attente important, celui de permettre à mes patients de voir leur son propre médecin de famille.
Footnotes
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