Une once d’action équivaut à une tonne de théorie.
Friedrich Engels (traduction libre)
Selon Sir William Osler, on apprend la médecine un patient à la fois. Au début de ma résidence en médecine familiale au Toronto General Hospital (comme il s’appelait alors), j’ai rencontré l’un de mes patients les plus mémorables alors que je travaillais à l’urgence. C’était un homme mince, au milieu de la cinquantaine, qui était venu au Canada en provenance de l’Inde plusieurs années auparavant. Il venait à l’urgence se plaignant d’une fatigue chronique récemment aggravée. Une anamnèse rigoureuse n’a révélé qu’un nouveau symptôme d’essoufflement à l’effort. À l’examen, sa conjonctive et les lignes de la paume étaient pâles. Une analyse sanguine complète a révélé un niveau d’hémoglobines aux environs de 50 et d’autres marqueurs étaient conformes à un diagnostic d’anémie microcytaire et hypochromique. Le médecin traitant était de fait un gastro-entérologue expérimenté qui avait correctement déduit que la cause sous-jacente était une ankylostomose chronique, la plus importante cause à elle seule d’anémie ferriprive dans le monde.
Ainsi commençait mon éducation en santé mondiale. La formation et la pratique en médecine familiale à Toronto, une ville qui attire des personnes du monde entier, qui compte la plus grande population d’Autochtones au Canada et qui abrite certaines des personnes les plus riches tout autant que certaines des plus pauvres du pays ont offert une possibilité non structurée de pratiquer la santé mondiale. Au fil des ans, dans divers milieux, y compris la pratique familiale en milieu hospitalier, j’ai soigné des personnes atteintes de tuberculose, de paludisme, du VIH et de nombreuses autres maladies exacerbées par la pauvreté ou l’isolement social.
En 2007, le Council of Science Editors a organisé la publication d’articles sur le thème général de la pauvreté et du développement humain; plus de 200 revues, dont Le Médecin de famille canadien, ont consacré un numéro spécial à ce sujet. Dans notre numéro, Dr Peter Singer a présenté un argument convaincant selon lequel les médecins de famille devraient participer à la recherche, à l’éducation et aux soins aux patients dans le monde en développement1. Dans un commentaire connexe2 et un article antérieur3, des membres du Comité de la santé mondiale du Collège des médecins de famille du Canada ont mis en évidence les raisons pour lesquelles la santé mondiale est pertinente pour les MF canadiens, ainsi que certains principes directeurs et suggestions pratiques pour s’engager davantage à l’égard de la santé mondiale.
Le présent numéro insiste à nouveau sur la santé mondiale, en commençant par un commentaire réfléchi rédigé par des membres de la Section des résidents du Collège, qui présente les points de vue des résidents sur le cursus en santé mondiale dans les programmes de médecine familiale (page e82)4. Comme le font remarquer Dre Gupta et ses collègues, les programmes de résidence en médecine familiale au Canada trouvent des façons créatives d’inclure les concepts de la santé mondiale dans l’enseignement formel, et 88 % de ces programmes comportent une certaine forme de cursus formel en santé mondiale. Par ailleurs, comme l’indiquent aussi les auteurs, la majorité des programmes consacrent moins de 10 heures à la santé mondiale durant les 2 années de résidence, et le sujet demeure un important segment à développer dans le cursus pour préparer les résidents à devenir des médecins polyvalents qui peuvent pratiquer auprès de n’importe quelle population4.
Dre Gupta et ses collaborateurs soulèvent un autre point important: la santé mondiale n’implique pas seulement de voyager outre-mer, mais aussi de défendre les intérêts des populations mal desservies au Canada et de leur prodiguer des soins4. Comme le décrit Dr James Taylor (page e87)5, la nouvelle unité d’enseignement en médecine familiale La santé pour tous à Markham, en Ontario, épouse cet aspect de la définition de la santé mondiale et identifie proactivement les obstacles à l’accès aux soins primaires dans la communauté5.
Vous trouverez aussi dans le présent numéro une réflexion (page e123) par Lajeunesse sur son stage optionnel, international à Zamboanga, dans les Philippines6, et 2 articles de recherche qui se penchent sur des questions s’inscrivant dans la définition globale de la santé mondiale. Willows et ses collaborateurs (page e101) ont examiné la prévalence de l’anémie chez les nourrissons de la nation des Cris du Québec au fil du temps et ont trouvé que le taux d’anémie s’élevant à 12,5 % entre 2002 et 2007 était bien plus bas qu’entre 1995 et 2000 mais qu’il était bien plus élevé que chez les nourrissons non autochtones (8,0 %)7. Patapas et ses collaborateurs (page e107) ont comparé des indicateurs de la qualité des soins dispensés aux Cris et aux patients non autochtones au Québec qui souffraient de maladies chroniques du rein et de diabète. Ils ont constaté que même qui la prise en charge générale était semblable dans les 2 groupes, le traitement de l’anémie chez les patients cris était sous-optimal8.
La médecine familiale canadienne est allée au-delà du questionnement sur la pertinence de la santé mondiale pour l’englober entièrement dans sa définition générale. Le prochain défi reste d’élaborer un solide cursus en santé mondiale dans les programmes de formation en médecine familiale partout au pays.
Footnotes
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