Il y a une vilaine tendance sous-jacente à toute notre technologie—une tendance à faire tout ce qui paraît raisonnable, même si c’est inutile.
Robert Pirsig, Zen and the Art of Motorcycle Maintenance (traduction libre)
Cet été, un homme d’âge moyen ayant des antécédents de discopathie dégénérative du cou est venu me consulter après un épisode de lombalgie aiguë à la suite d’une fin de semaine d’aménagement paysager à son chalet. Il ne présentait pas de symptômes alarmants, mais il avait réussi à convaincre le résident qui l’avait vu 10 jours auparavant de lui faire passer des radiographies lombaires et des analyses sanguines «de routine». Évidemment, ses résultats sanguins étaient normaux et sur les films, on pouvait voir une «discopathie de légère à modérée».
J’attends encore la facture du ministère de la Santé de I’Ontario pour la radiographie inutile. Tout cela parce qu’en mai 2012, le ministère annonçait des changements dans la facturation des films radiographiques et la tomodensitométrie pour l’évaluation de la douleur lombaire1. L’hôpital où je réfère mes patients pour une tomodensitométrie ou une IRM a adopté les lignes directrices publiées par l’American College of Physicians en 2011, qui veulent que toutes les requêtes des médecins pour ces types de tests soient refusées, sauf pour les patients aux prises avec des «déficits neurologiques sévères ou progressifs, ou qui présentent des signes ou des symptômes qui laissent croire à une affection sérieuse ou sous-jacente» 2. Ces conditions, semble-t-il, seront déterminées par le radiologiste.
Pour les radiographies lombaires simples, les changements dans le barème des honoraires du régime d’assurance-santé de l’Ontario stipulent que les radiographies de la colonne lombaire seront couvertes seulement s’il y a une «pathologie connue ou suspectée»1 et que le médecin qui demande le test pourrait devoir payer la facture si l’on juge que le test n’est pas «médicalement nécessaire»1. La manière de déterminer si le test est pertinent ou non (et qui le fera) n’est pas évidente. Il va sans dire que les médecins de l’Ontario ont été choqués par ces changements, entre autres parce que ni les MF, qui demandent la plupart des tests, ni les radiologistes qui les administrent, n’ont été consultés dans le processus.
Évidemment, la surutilisation de ce genre de tests a contribué à l’augmentation des temps d’attente et des coûts en matière de santé au Canada. Cependant, nous pouvons peut-être apprendre quelque chose de nos voisins du Sud concernant la réduction des tests inutiles (et des autres gaspillages). Sachant que l’augmentation considérable des coûts des soins de santé aux États-Unis était en grande partie attribuable au rôle que jouent les médecins, Howard Brody a lancé un défi éthique à ses collègues: prendre leurs responsabilités en tant qu’intendants judicieux des ressources en santé dans le meilleur intérêt de leurs patients3. Il a de plus mis au défi chaque spécialité de former des panels d’experts pour dresser «la liste des Top Cinq»:
La liste des Top Cinq se compose des 5 tests diagnostiques ou traitements qui sont très souvent prescrits par les membres de cette spécialité, qui comptent parmi les services offerts les plus dispendieux, et qui ne semblent pas, selon les données probantes actuellement disponibles, apporter de bénéfices concrets à au moins certaines des catégories les plus importantes de patients à qui on les prescrit le plus communément.... La liste des Top Cinq serait une prescription pour la façon... d’économiser le plus d’argent possible et le plus rapidement sans priver aucun patient de bénéfices médicaux significatifs3.
En réponse au défi du Dr Brody, la National Physicians Alliance, un groupe de plus de 22 000 médecins des États-Unis exerçant différentes spécialités et qui partagent un même engagement à offrir des soins de santé abordables et de première qualité à tous les Américains, a amorcé un projet sur la promotion de la saine gestion en pratique clinique4. De ce projet est née une liste des Top Cinq dans les disciplines des soins primaires, de la médecine interne générale, de la pédiatrie et de la médecine familiale.
Quels sont les Top Cinq en médecine familiale? Comme il fallait s’y attendre, la liste comprend les radiographies pour la lombalgie, les antibiotiques pour les sinusites aiguës, les tomodensitométries osseuses pour les femmes et les hommes plus jeunes, les tests de Papanicolaou pour les femmes de moins de 21 ans et les soi-disant tests de laboratoire de routine.
Par contre, pour réellement améliorer la pratique clinique, on a besoin de beaucoup plus que d’une liste de Top Cinq, et la mise en application d’une approche «moins, c’est mieux» en matière de douleur lombaire est instructive6.
Notre système fait face aux mêmes pressions que celui des États-Unis, et nous pouvons et devrions prendre exemple sur le projet Good Stewardship. Au lieu de voir les gouvernements nous imposer des mesures de réduction des coûts «draconiennes», la médecine familiale pourrait-elle prendre les devants et faire la promotion de la bonne intendance des ressources et des meilleurs résultats pour les patients? Quelle forme une telle initiative prendrait-elle?
Les organisations médicales telles que le Collège des médecins de famille du Canada, Médecins canadiens pour le régime public et d’autres qui s’engagent à offrir des soins de santé abordables et de première qualité pour tous pourraient diriger le tout. En utilisant une vaste approche de concertation et fondée sur des données probantes, les MF du Canada pourraient devenir des chefs de file dans la promotion de la saine intendance de nos ressources en soins de santé.
Footnotes
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