L'article par Campbell et collaborateurs1 sur l'hypertension chez les personnes atteintes de diabète 2, qui a paru dans le numéro de septembre 2011 du Médecin de famille canadien, donne un bref aperçu du sujet, ainsi que des renseignements importants à l'intention des médecins de famille. Nous avons pour but de compléter l'article en élaborant sur certains éléments de la prise en charge au sujet desquels l'incertitude persiste, plus précisément la définition de l'hypertension et l'objectif qu'il est actuellement recommandé de viser comme seuil de pression artérielle (PA), soit de moins de 130/80 mm Hg. Tandis que l'article par Campbell et ses collègues porte à la fois sur la pression artérielle systolique (PAS) et diastolique (PAD), nos commentaires auront trait à la PAS, parce qu'elle est considérée comme plus importante dans la détermination du risque d'incidents cardiovasculaires2,3.
L'hypertension chez les personnes diabétiques est définie comme la présence d'une PAS de plus de 130 mm Hg ou d'une PAD de plus de 80 mm Hg1, l'implication étant que les personnes ayant le diabète qui ont des PA plus élevées que ces valeurs devraient être traitées. De fait, les lignes directrices canadiennes actuelles recommandent d'amorcer le traitement à une PA de 130/80 mm Hg ou plus4. Par ailleurs, les médecins de famille ne savent peut-être pas que, dans les lignes directrices les plus récentes de l'Association canadienne du diabète (ACD), il s'agit d'une recommandation de cote D ou consensuelle5. En réalité, aucune étude n'a comparé les effets de l'amorce d'une thérapie chez des patients diabétiques ayant des PAS de 130 à 139 mm Hg par rapport à des PAS de 140 mm Hg ou plus, le seuil recommandé pour commencer un traitement chez des personnes non diabétiques6. Par conséquent, comme l'indique la cote D de la recommandation de l'ACD, il existe beaucoup d'incertitude quant au seuil de PAS où il faut amorcer le traitement.
Cette incertitude entoure aussi le seuil visé d'une PAS de moins de 130 mm Hg. S'il ne fait nul doute que la réduction de la PAS atténue les risques cardiovasculaires chez les personnes diabétiques, le niveau auquel il faut l'abaisser est incertain. Campbell et ses collaborateurs ont mentionné avec justesse diverses études qui ont démontré les bienfaits d'une thérapie antihypertensive pour réduire les incidents microvasculaires et macrovasculaires7-13. Par contre, la PAS moyenne dans le groupe traité activement a été réduite à moins de 130 mm Hg dans une seule de ces études, soit l'étude ABCD NT (Appropriate Blood Pressure Control in Diabetes— Normotensive)11. Dans 4 études7,8,12,13, les sujets n'étaient pas assignés aléatoirement à différents seuils de PA, mais à des régimes pharmacologiques différents contre placebo et il n'est pas possible de déterminer de manière définitive si les bienfaits observés étaient attribuables à l'atteinte de seuils de PAS spécifiques ou aux médicaments. Dans 2 études7,8, les bienfaits en fonction des paramètres rénaux étaient indépendants des PA moyennes.
Résultats de l'étude ABCD NT
L'étude ABCD NT est la seule étude randomisée contrôlée (ERC) citée dans les lignes directrices de l'ACD à l'appui d'un seuil de PAS visé de moins de 130 mm Hg5. Dans cette étude de petite envergure, on a choisi au hasard 480 patients ayant un diabète de type 2 qui devaient atteindre différents objectifs de PAD. Le groupe traité intensivement a reçu de la nisoldipine ou de l'énalapril pour obtenir une réduction de 10 mm Hg dans la PAD par rapport à la mesure de base. Le groupe traité modérément a reçu un placebo et visait une PAD de 80 à 89 mm Hg. Après 5,3 ans en moyenne, les PA atteintes étaient de 128/75 mm Hg et de 137/81 mm Hg dans les groupes à thérapie intensive et à traitement modéré respectivement. Il n'y avait pas de différence significative en fonction du principal paramètre, notamment les changements dans la clairance de la créatinine. Par ailleurs, on a constaté des bienfaits selon certains paramètres secondaires, y compris les AVC, la protéinurie et la rétinopathie.
L'ACD reconnaît les limitations de l'étude ABCD NT et propose d'atteindre une PAS de moins de 130 mm Hg en tant que recommandation de cote C, ce qui indique qu'elle se fonde sur une étude clinique non randomisée ou une étude de cohorte. L'ACD cite aussi 2 études de cohortes qui préconisent un seuil visé de PAS de moins de 130 mm Hg14,15. Par contre, si ces 2 études observationnelles ont constaté moins d'incidents microvasculaires et macrovasculaires avec une PAS plus basse, elles ne prouvent pas que la réduction de la PAS avec des antihypertenseurs entraînera moins d'incidents de ce genre et ne procurent pas de données probantes définitives à l'appui d'un seuil spécifique à atteindre. Les médecins de famille pourraient, dans ce cas aussi, ne pas être au courant de la faible qualité des données scientifiques à l'appui de la recommandation d'un seuil de PAS de moins de 130 mm Hg.
Résultats de l'étude ACCORD BP
L'étude ACCORD BP (Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes—Blood Pressure), financée par le secteur public, a été conçue pour combler cette absence de données probantes tirées d'une ERC16, et, selon les lignes directrices de l'ACD, fournirait des données plus convaincantes concernant un seuil optimal de PAS à viser par un traitement5. L'étude ACCORD BP était de grande envergure (N = 4 733) et prévoyait une assignation au hasard de patients atteints de diabète de type 2 à un groupe visant une PAS de moins de 120 mm Hg ou de moins de 140 mm Hg16. Les valeurs moyennes de base de la PA étaient de 139/76 mm Hg. Les 2 groupes avaient le droit de prendre le même médicament. Après 4,7 ans en moyenne, les PA moyennes étaient de 119/64 mm Hg et de 134/71 mm Hg respectivement dans le groupe à traitement intensif et dans celui à traitement modéré. Il n'y a pas eu de différences significatives entre les 2 groupes selon le principal paramètre combiné incluant un infarctus du myocarde (IM), un AVC et le décès. Il s'est produit une réduction statistiquement significative du risque d'AVC (2,6 % par rapport à 1,5 %, réduction du risque absolu de 1,1 %, nombre nécessaire à traiter de 92 [IC à 95 % de 53 à 356]). Par contre, il y a aussi eu une hausse des événements indésirables sérieux, notamment un nombre nécessaire pour obtenir un effet nocif de 50 (IC à 95 % de 35 à 87) (Tableau 1)16,17. Même si l'étude ACCORD BP ne tentait pas d'évaluer un seuil de PAS visé de moins de140 mm Hg par rapport à un objectif de moins de 130 mm Hg, il est improbable qu'un seuil visé de 130 mm Hg serait préférable, car même un objectif de 120 mm Hg n'a pas produit de bienfaits16. Un seuil visé de PAS de moins de 120 mm Hg pourrait entraîner une légère réduction des AVC et certains patients pourraient souhaiter encourir les coûts supplémentaires et prendre le risque des effets indésirables possibles d'une réduction intensive de la PA s'ils accordent une grande importance à la prévention des AVC18.
Données probantes concernant l'identification d'un seuil visé de PAS
Les données probantes d'ERC en faveur et contre un seuil visé de PAS de moins de 130 mm Hg reposent sur 2 études, ABCD NT11 et ACCORD BP16. L'ACD et le Programme éducatif canadien sur l'hypertension n'ont pas changé leurs recommandations depuis que l'étude ACCORD BP a été publiée et ils fondent probablement leurs recommandations sur l'étude ABCD NT. Le Tableau 24,5,11,16 présente un résumé des principales caractéristiques des 2 ERC.
L'incertitude entourant l'efficacité n'est pas le seul facteur à prendre en considération quand on identifie un seuil visé de PAS approprié. Il importe aussi de tenir compte de la sécurité et de la capacité sur le plan pratique d'atteindre l'objectif. Osher et ses collègues visaient à réduire la PA de 257 patients diabétiques de type 2 à moins de 130/85 mm Hg, comme il était recommandé lorsque l'étude a été réalisée19. La PA initiale moyenne se situait à 159/86 mm Hg, reflétant le fait que la plupart des patients prenaient déjà des médicaments antihypertenseurs. Seulement 33 % des patients ont atteint une PAS de 130 mm Hg et la PAD a été réduite à 70 mm Hg ou moins chez 57 % des patients. Des PAD plus basses ont été associées à un âge avancé, à une PAS initiale plus élevée et à des coronaropathies préexistantes. La réduction de la PAD n'a pas été associée à une classe ou à une combinaison de médicaments. Les auteurs ont conclu que la tentative de faire baisser la PAS à moins de 130 mm Hg est associée à une réduction incoordonnée de la PAD chez un nombre considérable de patients. Ils se sont aussi questionnés à savoir si les avantages d'un strict contrôle de la PAS à moins de 130 mm Hg contrebalançaient les risques d'une réduction diastolique excessive, surtout chez les patients plus âgés diabétiques ou ceux ayant une coronaropathie et le diabète.
La question des effets nocifs d'une réduction excessive de la PAD demeure sans réponse. Une récente méta-analyse portant sur 31 études concernant la réduction de la PA chez 73 913 personnes diabétiques n'a trouvé aucune donnée probante corroborant un risque accru d'IM à cause d'une réduction excessive de la PAD20. Par ailleurs, cette constatation ne se fondait pas sur les données des patients individuels, mais sur une méta-régression, ce qui ressemble à une étude épidémiologique faite à partir des ERC incluses. Par conséquent, les résultats pourraient avoir été influencés par des variables confusionnelles inconnues18,21.
Une étude secondaire de INVEST (International Verapamil-Trandolapril Study) a effectivement trouvé des preuves d'effets nocifs. Dans l'étude INVEST originale, on avait assigné au hasard 22 576 patients souffrant d'hypertension et de coronaropathie à un groupe recevant une thérapie contre l'hypertension avec des inhibiteurs des canaux calciques ou encore des b-bloquants22. Après 2,7 ans en moyenne, il n'y avait pas de différence significative entre les 2 groupes de traitement en fonction du principal paramètre composé, soit la mort toutes causes confondues, l'IM non fatal et l'AVC non fatal. L'analyse secondaire explorait la relation entre la PAS et la PAD obtenues et le paramètre principal ainsi que ses composantes individuelles23. Le principal paramètre à l'étude, le total des IM et le total des AVC se sont produits plus fréquemment avec une PAD de moins de 70 mm Hg qu'avec une PAD de 70 à 90 mm Hg (Tableau 3)17,23. Même si l'analyse se fondait sur des données au niveau du patient individuel, elle comporte des limites, car il s'agissait d'une étude observationnelle post hoc d'une ERC et n'incluait que 6 400 patients diabétiques. Néanmoins, les médecins devraient être conscients de la possibilité d'effets nocifs causés par un baisse excessive de la PAD quand on essaie d'atteindre une PAS de 130 mm Hg ou moins.
Résumé
Les patients diabétiques tirent des bienfaits d'un traitement contre l'hypertension. L'incertitude se situe dans le seuil visé recommandé de 130 mm Hg ou moins. Il peut être difficile d'atteindre cet objectif et la démarche comporte des possibilités d'effets nocifs. La American Diabetes Association a mis à jour en 2013 sa déclaration de position sur le seuil visé de PAS. Elle indique qu'il existe des données probantes de cote B tirées d'études de cohortes bien menées à l'effet que les personnes diabétiques souffrant d'hypertension devraient être traitées dans le but d'atteindre un objectif de pression artérielle systolique de < 140 mm Hg24. Elle mentionne aussi qu'il y a des données probantes de cote C venant d'études mal contrôlées ou sans groupe témoin à l'effet que des objectifs de réduction de la pression systolique, comme < 130 mm Hg, peuvent être appropriés pour certaines personnes, comme des patients plus jeunes, s'ils peuvent être atteints sans fardeau thérapeutique indu24.
Remerciements
Le Service de la formation continue en pharmacothérapie de la Dalhousie est financé par le ministère de la Santé et du Bien-être de la Nouvelle-Écosse par l'intermédiaire de la Drug Evaluation Alliance of Nova Scotia (DEANS). Dr Allen est directeur du Service de la formation continue en pharmacothérapie de la Dalhousie et a reçu des fonds de la DEANS pour des projets de recherche et l'élaboration de programmes. Mme Kelly est à l'emploi de la Capital Health Drug Evaluation Unit, qui reçoit des fonds de la DEANS. Mme Fleming est à l'emploi du Service de la formation continue en pharmacothérapie de la Dalhousie. Aucun des auteurs n'a reçu de fonds sous quelque forme que ce soit de l'industrie des produits pharmaceutiques.
Footnotes
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Intérêts concurrents: Aucun declare
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Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu'elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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