Ce qui se mesure s’améliore.
Robin S. Sharma1
On parle beaucoup d’amélioration de la qualité ces temps-ci, et avec raison. Prodiguer des soins de qualité est ce qui anime les professionnels. C’est le propre des milieux cliniques performants de se doter de mécanismes d’amélioration continue de la qualité et c’est pour cette raison qu’un des objectifs du Centre de médecine de famille est d’évaluer régulièrement l’efficacité de ses services (objectif 9)2. Mais qu’est-ce que la qualité et comment la mesurer?
Selon l’Institute of Medicine, la qualité c’est « le degré auquel les services de santé pour les individus et les populations augmentent la probabilité d’atteindre des résultats de santé désirés et correspondent aux connaissances professionnelles actuelles » (traduction libre)3. Traditionnellement, en médecine, on donne beaucoup d’importance à la dernière partie de la définition et on se concentre sur la mesure de ce qui est reconnu comme étant les meilleures pratiques professionnelles, telles qu’elles sont définies dans les guides de pratique clinique. A-t-on proposé les examens de dépistage appropriés, prescrit les bons médicaments? Ces questions sont importantes. Aux yeux du public, de nos patients et du système de santé, nous sommes d’abord et avant tout imputables d’offrir des soins efficaces correspondant aux plus hauts standards de pratique. D’où l’intérêt pour nous d’obtenir des informations sur nos pratiques cliniques. On compte énormément sur les dossiers médicaux électroniques (DME) pour générer ces informations et avec raison.
Mais risque-t-on d’évacuer des dimensions importantes de la qualité en se limitant à des indicateurs basés sur les guides de pratique clinique? Retournons à la définition de la qualité. Comment définir ce qu’on entend par des « résultats de santé désirés »? Bien sûr la réduction de la mortalité, du risque d’être hospitalisé ou de subir des complications est autant de résultats de santé désirés. Mais sont-ce là les seuls résultats de services de qualité? Et quand on dit « désirés », désirés par qui? Par les professionnels, les gestionnaires et les preneurs de décisions? Et les patients eux, ont-ils voix au chapitre? Que nous diraient les patients et leurs proches si on leur donnait la parole? Ils nous parleraient bien sûr de l’importance de pratiquer selon les règles de l’art. Là-dessus, ils nous font confiance et ils savent que nous sommes les mieux placés pour en juger. Mais ils nous parleraient aussi de l’importance que les services offerts soient accessibles en temps opportun, que l’on considère leurs préférences et priorités quand il est question du traitement de leurs problèmes de santé, qu’on réponde à leurs questions pour qu’ils comprennent leurs traitements, qu’on se coordonne quand on travaille en équipe ou qu’on les réfère à des consultants4. Autant de résultats désirés de nos interventions qui sont importants pour eux et qui contribuent, on l’oublie souvent, à augmenter la sécurité des soins5.
Comment savoir si nous atteignons ces résultats désirés lorsqu’on tend vers des services centrés sur les patients si on ne les mesure pas? « Ce qui se mesure s’améliore », disait Robin S. Sharma1, ce qui n’est pas mesuré ne s’améliore pas. En limitant la mesure de la qualité à ce qu’on peut mesurer par des DME, on se limite à une seule dimension de la qualité. Il y a quelques années, avec des collègues pratiquant dans quelques unités de médecine familiale de notre réseau d’enseignement, nous avons décidé de mesurer la qualité des soins donnés à un échantillon de nos patients suivis pour certaines maladies chroniques. Nous avons choisi d’utiliser un questionnaire validé pour évaluer auprès des patients leur expérience de soins, en plus de regarder dans nos dossiers le degré de conformité aux lignes directrices de pratique. Les résultats nous ont surpris: nous étions très bons quant aux indicateurs issus des dossiers, mais moins forts en ce qui concernait l’expérience de soins de nos patients5. Ce constat nous a permis d’amorcer une réflexion sur les façons d’améliorer cette dimension de notre pratique.
Il n’y a qu’une façon de mesurer si nos soins sont centrés sur les patients, il faut le leur demander. Les professionnels sont souvent frileux quand il s’agit d’intégrer des enquêtes au « coffre à outils » de la qualité. Ce sont des mesures « subjectives », alors que les indicateurs issus du dossier sont des mesures « objectives ». Il existe cependant des instruments accessibles et validés pour mesurer ces dimensions de la qualité auprès des patients7. D’ailleurs, il peut être plus facile de réaliser une enquête auprès de sa clientèle que d’extraire des données de son DME. Alors, pourquoi s’en priver?
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