Mme S. est une femme de 83 ans atteinte de démence avancée qui vit avec sa fille. Au départ, Mme S. est capable de communiquer, mais elle est confuse, a besoin d’aide dans ses activités de la vie quotidienne et n’a plus d’intérêt pour les repas. Sa fille essaie de la nourrir avec des aliments en purée selon le régime qu’elle suit depuis que sa mère a reçu son congé de l’hôpital, il y a 3 mois, à la suite d’une pneumonie par aspiration.
Au cours des dernières semaines, la fille a remarqué que Mme S. tousse après les repas. Elle a essayé de garder sa mère en position bien droite durant et après les repas, mais la toux persiste et s’aggrave. Mme S. fait maintenant de la fièvre et sa congestion augmente, ce qui incite sa fille à l’amener à l’hôpital.
Mme S. est une fois de plus admise avec un diagnostic de pneumonie par aspiration. Elle ne doit rien prendre par la bouche, on l’hydrate par intraveineuse et on lui administre une antibiothérapie double. Après quelques jours, la fièvre disparaît mais Mme S. demeure congestionnée. Même si elle est plus alerte, elle reste quand même plus somnolente qu’à l’habitude. À la suite d’évaluations répétées, l’orthophoniste juge qu’elle est à risque élevé de pneumonie par aspiration récurrente. Sa fille s’inquiète du manque d’alimentation de sa mère par voie orale et demande quelles sont les options pour la nourrir.
Mme S. est une patiente relativement nouvelle dans votre pratique familiale. Vous l’avez initialement rencontrée lors de son admission antérieure, il y a 3 mois, en raison de sa pneumonie par aspiration. Vous vous rappelez des difficultés que vous avez rencontrées pour communiquer avec le fils et la fille de Mme S. afin de discuter de sa démence avancée et des objectifs thérapeutiques. Vous avez senti que ses enfants vous trouvaient trop pessimiste quant à l’évolution naturelle de sa démence avancée et qu’ils n’étaient pas prêts à prendre des décisions quant aux buts thérapeutiques si leur mère était admise à nouveau à l’hôpital.
Les réunions de famille représentent une partie importante du plan de soins aux patients hospitalisés, mais elles se tiennent souvent tard durant l’admission ou encore à un moment critique dans la prise de décisions. Une communication claire et efficace entre les patients, les familles et l’équipe des soins améliore les soins aux patients et leur satisfaction, ce qui est directement relié à la compétence du médecin en communication1. Les réunions de famille sont utiles pour discuter de l’état du patient et des objectifs des soins2. Lorsqu’on les organise de manière proactive et qu’elles portent non seulement sur les faits médicaux, mais aussi sur les points de vue du patient à propos de sa maladie et l’élaboration d’un plan thérapeutique, il est démontré que les rencontres avec la famille réduisent le temps passé aux soins intensifs et permettent aux patients d’accéder plus tôt à des soins palliatifs3.
L’annonce de mauvaises nouvelles ou la tenue de réunions de famille qui comportent des décisions difficiles posent des défis pour diverses raisons. En ce qui a trait aux médecins, parmi certaines des raisons identifiées figurent le manque de formation en communication de mauvaises nouvelles, la crainte ou l’incertitude, le manque de connaissances entourant les options de prise en charge futures, la peur de la réaction émotionnelle qu’ils pourraient recevoir et le malaise à exprimer leurs propres émotions aux patients ou aux familles4. Les étudiants en médecine ne reçoivent pas de formation adéquate concernant la discussion avec les patients et les familles de la transition pour passer d’une philosophie curative des soins à des soins en fin de vie fondés sur le confort. Il est moins probable que les stagiaires soient observés directement et reçoivent une rétroaction sur les discussions en fin de vie que ce n’est le cas pour des interventions techniques et des habiletés connexes5.
Le protocole SPIKES
Il existe un certain nombre de protocoles et de lignes directrices concernant la tenue de réunions de famille ou l’annonce de mauvaises nouvelles. Ces lignes directrices ont en commun diverses caractéristiques comme prévoir un endroit tranquille et réservé pendant une période de temps pour discuter sans interruption, demander aux patients et à la famille comment ils comprennent la situation actuelle et s’ils veulent plus d’information ou s’ils ont d’autres besoins, donner les renseignements voulus, reconnaître l’effet émotionnel sur les patients et la famille et assurer un plan de suivi1,6,7.
Le protocole SPIKES (Figure 1) compte parmi ceux qu’on peut utiliser8,9. Il s’agit d’un guide en 6 étapes qui comporte une composante de préparation, une étape de communication et un plan de suivi. Cet outil peut servir de cadre dans le contexte des réunions de famille durant lesquelles des décisions difficiles doivent être prises (p. ex. lorsqu’on discute de la transition pour passer de soins curatifs aigus à des soins palliatifs axés sur les symptômes). Il est essentiel d’apprendre à connaître le patient en tant que personne et de comprendre ses attentes, ses espoirs et ses craintes. En anticipant les objectifs difficiles ou apparemment contradictoires, il est possible de rendre plus faciles les communications sur des sujets difficiles en vous permettant de relier directement les objectifs thérapeutiques et les stratégies de prise en charge avec ce que le patient voudrait1.
Vous suivez le protocole SPIKES (Figure 1)8 pour la tenue de la réunion de famille avec la fille et le fils de Mme S. Vous prenez des arrangements pour les rencontrer dans un endroit tranquille à l’étage (scène propice). En plus de vous-même, l’orthophoniste et la travailleuse sociale sont présents. Après les présentations, vous prenez le temps de demander à la famille comment était Mme S. lorsque son état de santé était meilleur. Vous apprenez que c’était une cuisinière hors pair et que de nombreux bons souvenirs gravitent autour d’un repas à la table de la cuisine. Ses 2 enfants sont aussi bons cuisiniers et, pour cette famille, partager un repas, c’est partager l’amour. Vous leur dites que vous comprenez la centralité des repas pour eux et combien difficile ce doit être de voir leur mère se priver de manger maintenant.
Vous passez en revue avec la famille le dossier de Mme S. depuis sa présentation à l’hôpital, son diagnostic et son état clinique actuel de manière objective. Vous demandez aux enfants de Mme S. ce qu’ils comprennent de la situation présente de leur mère (perception). Sa fille considère que l’état de Mme S. s’est amélioré, mais son fonctionnement n’est pas revenu au même point qu’avant. Elle est dérangée par le fait que sa mère ne mange pas et craint qu’elle ne puisse pas retrouver ses forces sans manger. Elle a observé un autre patient à l’étage avec une sonde d’alimentation et en demande une pour sa mère.
Vous offrez de discuter des options d’alimentation (invitation) et vous demandez à l’orthophoniste d’expliquer ses évaluations de Mme S. Sa fille écoute attentivement ce que l’orthophoniste a à dire. Cette dernière explique que, dans toutes les tentatives, Mme S. ouvre la bouche pour recevoir les aliments, mais elle a besoin qu’on lui dise d’avaler et, à l’occasion, elle tousse après avoir avalé. Vous discutez de l’évolution naturelle de la démence, y compris la détérioration de la fonction de déglutition et la réduction de l’alimentation par la bouche comme faisant partie du processus de la maladie. Vous faites le lien entre sa dernière admission, lorsque sa diète a été changée à cause de ses difficultés à avaler, et la toux accrue que sa fille a remarquée à la maison (connaissances).
En discutant, il devient évident que la fille de Mme S. comprend maintenant mieux la maladie de sa mère ainsi que ses risques et complications afférentes par rapport à la première fois où vous en avez parlé quelques mois auparavant. Par ailleurs, elle n’est pas à l’aise avec l’idée que sa mère ne s’alimente pas par la bouche. Vous manifestez votre empathie et reconnaissez que de ne pas manger semble incompatible avec l’amour de sa mère pour les aliments et vous explorez d’autres options avec elle, y compris l’alimentation au moyen d’une sonde par gastrotomie endoscopique percutanée (GEP) (émotions, empathie). Vous expliquez qu’il n’est pas démontré que l’alimentation artificielle par GEP prolonge la vie et précisez qu’elle n’ajoute pas à la qualité de vie des patients atteints de démence avancée10. Vous lui suggérez d’envisager de la nourrir par la bouche en dépit du risque et expliquez que cette démarche comporterait d’offrir de petites quantités d’aliments d’une texture aussi sécuritaire que possible, seulement si Mme S. est alerte, assise droit et accepte les aliments qu’on lui présente (stratégie). Les enfants de Mme S. acceptent de réfléchir aux options et de vous faire part ensuite de leur décision.
Résolution
Les patients et leur famille peuvent se sentir pressés ou intimidés par une équipe médicale, surtout quand des décisions difficiles doivent être prises. En leur donnant du temps et de l’espace pour réfléchir, ils prendront plus probablement des décisions qui concordent mieux avec leurs objectifs thérapeutiques et conviennent plus à leurs réalités.
La fille de Mme S. revient pour vous faire part de la décision de la famille en ce qui concerne l’alimentation. Étant donné combien Mme S. aime bien manger, la famille a décidé de l’alimenter par la bouche pour son confort. Son frère et elle croient que leur mère aurait refusé la sonde par GEP si elle avait été capable de décider par elle-même. Parce que Mme S. a besoin de soins plus poussés, sa fille n’est plus en mesure de la ramener à la maison. Il arrive souvent qu’elle ne mange rien pendant plusieurs jours et ne prend que 3 cuillerées de pudding ou de crème glacée les autres jours. Vous faites transférer Mme S. à l’unité des soins palliatifs. Son état continue de se détériorer et, quelques jours plus tard, elle ne mange plus du tout. Elle s’éteint paisiblement quelques semaines après.
Notes
POINTS SAILLANTS
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Les réunions de famille sont une composante importante du plan thérapeutique des patients.
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Il est utile d’avoir une approche structurée pour orienter les réunions et le protocole SPIKES est l’un de nombreux outils qui peuvent vous aider.
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L’équipe médicale et le patient ainsi que la famille du patient devraient avoir la possibilité d’échanger leurs points de vue.
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Il pourrait être nécessaire de tenir plus de 1 réunion pour prendre des décisions concernant d’importants changements au plan de soins du patient.
Dossiers en soins palliatifs est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et rédigée par les membres du Comité des soins palliatifs du Collège des médecins de famille du Canada. Ces articles explorent des situations courantes vécues par des médecins de famille qui offrent des soins palliatifs dans le contexte de leur pratique en soins primaires. N’hésitez pas à nous suggérer des idées de futurs articles à palliative_care{at}cfpc.ca.
Footnotes
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the June 2013 issue on page 637.
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Intérêts concurrents
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