La violence faite aux enfants a de graves répercussions sur le développement de l’enfant et la santé de la famille tout au long du cycle de la vie et elle pourrait être détectée dans un cabinet de pratique familiale1–5. Bien qu’on ne recommande pas le dépistage universel1, les médecins de famille devraient être au courant des diverses présentations et des séquelles de la maltraitance des enfants, de manière à ce que des interventions appropriées puissent être amorcées. Le présent article met en évidence les aspects comportementaux indicateurs de violence faite aux enfants qui s’appliquent en soins de santé primaires.
Scénario de cas
Sara consulte le médecin de famille avec son fils Jean de 3 ans, mentionnant que l’enfant se plaint de douleurs abdominales récurrentes. Elle dit que les maux de ventre se produisent généralement la nuit ou quand il fait une crise. C’est la troisième visite clinique de Jean pour le même problème, quoique les constatations à l’examen physique et ses résultats d’analyses en laboratoire soient normaux. Durant la visite, le médecin remarque que Sara crie souvent en s’adressant à Jean, le réprimande et lui fait des reproches, disant qu’il est un «méchant garçon à la tête dure», l’agrippant parfois avec force ou lui parlant fort quand il essaie de s’exprimer ou de bouger dans la pièce. Elle dit au médecin que la gardienne lui a raconté que Jean était agressif à la garderie, qu’il «pétait souvent les plombs» et se battait avec ses pairs.
Sources des données
Une recension dans MEDLINE, PsycINFO, EMBASE et CINAHL (de janvier 1980 à décembre 2010) à l’aide des expressions de recherche child abuse, violence et child development a permis de cerner les données pour cette révision. Tous les articles pertinents ont été choisis pour la synthèse, en se limitant à ceux publiés en anglais, et des articles additionnels ont été trouvés à partir des bibliographies. Les sites web des organismes de protection de la jeunesse ont été passés en revue pour obtenir les plus récentes statistiques.
Message principal
Quoiqu’il n’y ait pas de définition unique de la violence faite aux enfants, celle de l’Organisation mondiale de la Santé est la plus complète:
[La maltraitance des enfants] s’entend de toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou d’exploitation commerciale ou autre, entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développement ou sa dignité, dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir2.
Environ 40 millions d’enfants dans le monde sont victimes de violence chaque année2. La maltraitance est présente à tous les paliers socioéconomiques, dans toutes les ethnies et cultures, toutes les religions et quel que soit le niveau d’éducation2. En 2008, Statistique Canada6 signalait ce qui suit:
-
En 2006, le taux d’agressions sexuelles contre des enfants et des jeunes rapportées à la police était 5 fois plus élevé que celui contre des adultes (190 par rapport à 35 par 100 000 personnes).
-
Pour chaque tranche de 100 000 personnes de moins de 18 ans, 334 ont été victimes de violence physique ou sexuelle aux mains d’amis ou de connaissances, 187 ont subi la violence de la part de membres de la famille et 101 ont été agressés par des étrangers.
Les effets de la violence et de la négligence sur l’attachement et le développement cérébral
Le développement de la résilience et d’une saine personnalité repose avant tout sur l’établissement d’un lien d’attachement solide et sûr avec une personne qui lui dispense principalement ses soins (caregiver ou soignant)7,8. Ce lien renforce la capacité d’un enfant de composer avec le stress, régule les émotions, procure un soutien social et forme des relations d’affection9. L’enfant fait l’expérience du monde comme étant un lieu sûr qu’il peut explorer et où développer son autonomie. Il trouve le réconfort et le soutien auprès de son soignant lorsqu’il vit du stress. Lorsque les enfants sont victimes de violence, ils peuvent manifester des formes d’attachement perturbées et des habitudes anormales de réactions affectives à l’endroit de leurs soignants. Il peut s’ensuivre un trouble grave de l’attachement accompagné de symptômes tels que décrits à l’Encadré 15–8.
L’étude Early Years Study 2 a résumé la recherche sur les effets de la violence et de la négligence sur le développement cérébral initial5. De mauvaises interactions entre le soignant et le nourrisson compromettent la formation des circuits et des chemins neuronaux. Une série d’études s’échelonnant sur 2 décennies démontrent que la négligence, la violence ou le parentage affecté par la dépression ou la consommation excessive d’alcool ou de drogues influencent le développement du cerveau de l’enfant et de ses mécanismes biologiques10.
La recherche a fait valoir que la qualité des échanges entre le soignant et le nourrisson sert de fondement au système de signalisation du nourrisson et influence la santé mentale et physique subséquente de l’enfant, en particulier sa capacité d’interagir avec les autres et le développement des chemins neuronaux nécessaires au langage et aux fonctions cognitives supérieures7. Les enfants sont plus susceptibles d’avoir des problèmes d’apprentissage et de comportement lorsqu’ils vivent avec des parents aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. La dépression maternelle est un déterminant clé dans un développement initial déficient de l’enfant; elle y est directement associée et revêt autant d’importance que le fonctionnement familial, le style de parentage et l’engagement. Les jeunes enfants sont très sensibles aux émotions d’autrui, en particulier celles des membres de leur famille. Être témoin de scènes de violence verbale ou physique et de disputes a des effets néfastes directs qui ont des conséquences durables. Pareillement, les enfants qui sont victimes de violence ou de négligence parentale sont plus susceptibles d’avoir des issues négatives qui se prolongent durant leur vie adulte, notamment des problèmes constants avec la régulation émotionnelle, l’image de soi, les habiletés sociales et la motivation dans les études, ainsi que des problèmes d’apprentissage et d’ajustement sérieux, y compris l’échec scolaire, une dépression grave, un comportement agressif, des difficultés avec les pairs, l’alcoolisme, la toxicomanie et la délinquance11–13.
Symptômes du trouble de l’attachement
Voici des symptômes du trouble de l’attachement.
|
Données tirées de McCain et collab.5, Statistique Canada6, Rutter7 et Bretherton8.
Types de violence faite aux enfants
Les ouvrages spécialisés actuels traitent de nombreux types de violence faite aux enfants et il a été démontré que chacun de ces types a des implications nuisibles au développement de l’enfant. Un enfant victime de maltraitance souffre souvent de plus d’un type de violence; par ailleurs, certaines formes de violence sont observées plus souvent que d’autres1–5.
Violence physique:
La violence physique est une blessure directe infligée au corps d’un enfant. Il peut s’agir d’un seul geste ou encore d’actes répétés. Les blessures physiques peuvent être externes (p. ex. lacérations ou brûlures) ou internes (p. ex. organes meurtris). Il y a différentes méthodes d’infliger la violence physique; par exemple, secouer fortement un bébé, frapper un enfant, couper la peau d’un enfant ou la brûler avec un objet chaud. De plus, dans certaines cultures sociales, certains comportements abusifs sont légitimés par des croyances religieuses; par exemple, cautériser un enfant ou insérer un objet pointu dans son corps pour le guérir d’une maladie ou chasser des esprits maléfiques.
Violence psychologique:
La violence psychologique est infligée en ignorant ou en rejetant la réaction émotionnelle de l’enfant ou en lui faisant honte et en l’humiliant. Elle peut être verbale, sous forme de mots dérogatoires ou d’appellations blessantes ou encore, en dénigrant l’enfant par rapport à un frère, une sœur ou un ami. Elle se présente aussi sous forme non verbale, comme l’ignorance des besoins de l’enfant et de ses appels à l’aide ou le traitement de l’enfant comme s’il n’était pas digne d’amour et «méchant».
Négligence:
La négligence est le type le plus fréquent de violence faite aux enfants. Ne pas nourrir, vêtir ou loger de manière adéquate un enfant pour qu’il survive et grandisse ont des effets importants sur son avenir et le place dans une situation plus à risque de maladie, d’infection, de retard mental et même de mort. La négligence inclut aussi la privation de l’accès aux services de santé et d’éducation. La négligence affective est aussi commune et peut avoir des effets négatifs à long terme sur le développement du cerveau et la santé mentale future.
Violence sexuelle:
On définit la violence sexuelle comme étant tout acte de nature sexuelle avec un enfant. Il peut s’agir de pénétration sexuelle ou encore d’actes sexuellement suggestifs, comme des attouchements ou des baisers inappropriés. Parmi des exemples précis de violence sexuelle, on peut mentionner inciter ou forcer un enfant à participer à une activité sexuelle, utiliser un enfant comme prostitué ou en pornographie. Les enfants sont généralement victimes de violence sexuelle de la part de personnes qu’ils connaissent, souvent de proches parents.
Effets de la violence faite aux enfants selon les étapes du développement comportemental
Nourrissons:
La petite enfance est une période critique dans le développement d’un enfant. Durant cette période, le cerceau, qui mesure environ le quart de la taille du cerveau d’un adulte, est l’un des organes les moins développés et il est très susceptible tant aux effets positifs que négatifs de l’environnement extérieur. Par exemple, le syndrome du bébé secoué, qui est le résultat de la violence physique14, endommage la structure cérébrale, ce qui peut avoir des conséquences graves sur la santé d’un nourrisson, notamment le retard mental, des problèmes de l’ouïe ou de la vue, des problèmes d’apprentissage et une dysfonction cognitive11. Certaines études démontrent que les enfants victimes de violence physique ont des changements structurels cérébraux, y compris un volume intracrânien et cérébral plus petit, des ventricules latéraux moins grands et un plus petit corps calleux15. Il est possible que les conséquences de la violence ne se manifestent cliniquement que plus tard dans la vie. Par exemple, les résultats chez les nourrissons qui ont subi des dommages cérébraux à la suite d’avoir été secoués peuvent varier d’aucun effet apparent à une incapacité permanente, y compris un retard développemental, des convulsions ou la paralysie, la cécité et même la mort. Les survivants peuvent avoir des effets considérablement retardés des blessures neurologiques, résultant en une panoplie d’incapacités observées durant leur vie ultérieure, y compris des déficits cognitifs et des problèmes comportementaux. De récentes données sur les enfants hospitalisés pour un syndrome du bébé secoué ont fait valoir que 19 % en étaient morts; 59 % avaient eu des déficiences neurologiques, visuelles ou d’autres effets sur la santé et seulement 22 % semblaient bien au moment du congé. Les données indiquent aussi que les bébés qui semblaient bien quand ils ont reçu leur congé de l’hôpital pouvaient montrer des signes probants de problèmes cognitifs ou comportementaux plus tard, possiblement à l’âge scolaire14.
Des niveaux élevés de cortisol et de catécholamine, qui augmentent encore davantage en réaction au stress provoqué par la violence, ont été associés à la destruction de cellules cérébrales et à des dérangements dans les connexions cérébrales normales, affectant par conséquent le développement comportemental des enfants. Des troubles du sommeil, des terreurs nocturnes et des cauchemars peuvent être des indices de maltraitance des enfants5.
Tout-petits:
Dès qu’il a 2 ans, un enfant réagira normalement au stress par une manifestation de colère et une expression d’émotions. Le stress qui accompagne tout type de violence cause chez l’enfant un sentiment de détresse et de frustration16. La colère excessive est exprimée sous forme de comportements agressifs et de disputes avec les soignants ou les pairs. Cette forme de réaction est d’autant plus forte dans les cas de violence physique.
Âge préscolaire:
À cette étape, les enfants ont des réactions semblables aux différents types de violence que les enfants plus jeunes. Par contre, dès l’âge de 4 et 5 ans, les enfants pourraient exprimer leur réaction à la violence par différents comportements. Les garçons ont tendance à extérioriser leurs émotions par une expression de colère, d’agressivité et de défiance verbale17. Les filles sont plus susceptibles d’intérioriser leurs attitudes comportementales en étant déprimées, en se retirant socialement et en ayant des symptômes somatiques comme des maux de tête et de ventre18.
Enfants au niveau des études primaires:
À cet âge, les enfants se développent par les interactions avec leurs pairs. Les enfants maltraités ont souvent des problèmes à l’école, notamment un mauvais rendement scolaire, un manque d’intérêt pour les études, peu de concentration durant les cours et peu d’amis9. Ils s’absentent souvent de l’école.
Adolescence:
Les adolescents qui ont été victimes de maltraitance peuvent souffrir de dépression, d’anxiété ou de retrait social. De plus, les adolescents qui vivent dans des situations violentes ont tendance à s’enfuir vers des milieux qu’ils perçoivent comme étant plus sécuritaires19,20. Ils adoptent des comportements à risque comme fumer, boire de l’alcool, avoir des relations sexuelles précoces, consommer des drogues, se prostituer, vivre sans abri, adhérer à un gang et porter une arme à feu17,21,22. On constate souvent des troubles psychiatriques chez les adolescents qui ont été victimes de violence18,23,24. Dans une étude à long terme, 80 % des jeunes adultes qui avaient été maltraités répondaient aux critères diagnostiques d’au moins 1 trouble psychiatrique dès l’âge de 21 ans24.
Indicateurs comportementaux fréquents de la maltraitance
Il est habituellement difficile d’identifier les indices de la maltraitance d’un enfant. Les membres de la famille et les médecins de famille devraient être vigilants face aux enfants qui se plaignent de problèmes psychosomatiques inhabituels ou changent de comportement. Dans de tels cas, une évaluation plus approfondie de l’enfant et de la famille pourrait être indiquée25. Il convient de signaler que les comportements mésadaptés ne sont pas nécessairement des indices de maltraitance et les indices mentionnés à l’Encadré 2 ne sont pas exclusivement des indicateurs de maltraitance.
Les enfants victimes de violence physique peuvent avoir des lésions inhabituelles sur des parties de leur corps qui ne sont généralement pas vulnérables à des blessures, comme aux parties génitales, sur les cuisses ou autour des yeux. La violence physique peut même se manifester par des traumatismes sérieux sans justification suffisante, comme une fracture à la suite d’un choc minime. Dans la pratique clinique, les enfants victimes de violence physique peuvent regarder leurs parents ou leurs soignants et sembler appréhensifs, comme s’ils attendaient que se produise le prochain geste violent23. De plus, l’habillement peut être révélateur d’une violence physique; par exemple, une enfant portant une robe à manches longues ou des vêtements qui couvrent des parties du corps qui sont généralement découvertes, comme les mains, les jambes et le cou, en particulier lorsqu’il fait chaud.
Les effets psychologiques de la maltraitance viennent souvent de l’insécurité dans les relations avec les soignants et affectent le développement de l’attachement chez l’enfant (Encadré 3). De tels effets peuvent être destructeurs pour leur confiance et leur estime de soi, ainsi que pour leurs relations avec des pairs ou des partenaires plus tard dans la vie. Les enfants victimes de violence psychologique peuvent aussi avoir des comportements persistants et répétitifs inappropriés pour leur âge, comme se bercer et sucer son pouce18. Lorsque la violence psychologique est chronique et persistante, elle peut entraîner des maux affectifs chez l’enfant. Dans la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, les maux affectifs sont définis comme étant un grave sentiment d’angoisse, un état dépressif grave, un fort repliement sur soi, un comportement autodestructeur ou agressif marqué26.
Indices comportementaux de la maltraitance
L’enfant pourrait:
-
avoir peur de retourner à la maison, hésiter à le faire ou s’enfuir;
-
manifester une agressivité inhabituelle, de la rage ou faire des crises;
-
avoir un réflexe d’appréhension lorsqu’on le touche;
-
avoir un moins bon rendement à l’école et une mauvaise assiduité;
-
se tenir en retrait de la famille, des amis et des activités qu’il aimait auparavant;
-
avoir une pauvre estime de soi (p. ex. se décrire comme étant méchant, dire qu’il mérite d’être puni, être très replié sur soi-même); ou
-
avoir des pensées suicidaires ou un comportement autodestructeur (p. ex. automutilation, tentative de suicide, prise de risques extrêmes).
L’enfant pourrait aussi:
-
avoir un comportement hyperactif ou inhabituel;
-
s’accrocher à des adultes étrangers;
-
être apathique et replié sur soi;
-
ne pas réagir à des traitements douloureux;
-
ne pas paraître s’épanouir;
-
montrer des signes de négligence générale;
-
avoir peur des contacts physiques; ou
-
adopter un comportement manipulateur pour attirer l’attention.
Violence psychologique et privation
La maltraitance psychologique se présente sous la forme de reproches constants à l’enfant et de son rejet par ses soignants. Le diagnostic de la violence psychologique peut être posé quand 1 des critères diagnostiques suivants est présents parmi d’autres facteurs:
-
une psychopathologie grave et un comportement perturbé chez l’enfant, documentés par un psychiatre;
-
des situations où le seul parent souffre manifestement de psychose ou de grave dépression et est donc incapable de s’occuper d’un enfant.
La privation affective est la privation vécue par les enfants lorsque les parents ne leur offrent pas les expériences normales qui produiraient chez eux le sentiment d’être aimés, voulus, en sécurité et valorisés. La privation affective peut être soupçonnée dans le contexte de ce qui suit:
-
absence d’épanouissement;
-
refus de s’alimenter;
-
comportement antisocial (agressivité ou repli sur soi);
-
anxiété ou dépression;
-
comportement visant à attirer l’attention;
-
comportement délinquant; ou
-
comportement évocateur d’un bouleversement affectif, comme une attitude compulsive, la rigidité ou l’absence de communication.
L’état de l’enfant et son comportement en général peuvent être révélateurs d’une maltraitance. L’anamnèse peut révéler de multiples admissions à l’urgence ou visites à différents médecins. De plus, un retard indu à recevoir un traitement pour une blessure devrait soulever des doutes.
Dans les cas de négligence, l’enfant peut avoir une mauvaise hygiène, comme des cheveux ou le corps sales ou une mauvaise odeur corporelle. L’enfant peut vivre dans des conditions malsaines, être laissé sans surveillance ou autorisé à jouer dans des situations dangereuses. De tels enfants sont souvent en retard à l’école ou absents (Encadré 4).
La violence sexuelle peut aussi avoir des effets néfastes sérieux durant toute la vie des enfants, allant des blessures physiques à la destruction affective17. L’Encadré 5 donne une liste d’indices d’abus sexuels. Les enfants victimes d’agressions sexuelles peuvent avoir de la difficulté à marcher ou à s’asseoir en raison de douleurs ou de blessures incapacitantes. De plus, ils peuvent avoir peur de se déshabiller devant d’autres personnes parce qu’ils ne veulent pas que d’autres voient leur corps. Ils peuvent aussi éviter de s’asseoir avec des pairs ou de faire des activités physiques dans lesquelles ils risqueraient de se faire toucher. Parfois, ils se comportent de manière séductrice, ce qui démontre une connaissance des relations sexuelles. La grossesse à l’adolescence et des antécédents de maladies transmises sexuellement peuvent être des signes d’agressions sexuelles continues.
Discussion du cas
Il existe une association documentée entre tous les types de violence faite aux enfants et l’apparition de plaintes de maux physiques et de réactions affectives7. Jean présente des symptômes somatiques sous forme de douleurs abdominales récurrentes; toutefois, il manifeste aussi certains problèmes psychologiques ou même des troubles psychiatriques. La violence verbale envers Jean a produit une forte réaction émotive négative. L’hostilité et la colère5 peuvent devenir évidentes dans des situations de stress, possiblement en raison de perturbations précoces dans les neurotransmetteurs du cerveau en développement de Jean. On a aussi établi des liens entre les châtiments sévères et le développement de troubles dissociatifs de la personnalité, l’anxiété et la dépression plus tard dans la vie. Les douleurs abdominales récurrentes sont un symptôme somatique commun chez les enfants qui souffrent de stress. Les émotions s’expriment souvent sous forme de symptômes physiques afin de justifier la souffrance ou la quête d’attention13. Le rôle des médecins de famille commence par une prise de conscience des effets de la violence faite aux enfants sur la santé physique et psychologique et par l’identification des cas de maltraitance. Dans le cas présent, la prise en charge par le médecin pourrait cibler une rééducation de la mère en ce qui a trait aux techniques de discipline et de parentage appropriées, ainsi qu’une évaluation de la famille, y compris du père et des autres soignants importants, en vue de déterminer les problèmes de stress pour lesquels il serait bénéfique d’avoir un counseling ou une psychothérapie. Il est important de maintenir la relation médecin-patient, mais la sécurité de l’enfant demeure la priorité. Comme toujours, le médecin doit tenir compte du risque de maltraitance de l’enfant et signaler les cas identifiés ou soupçonnés aux organismes appropriés, s’il y a lieu, pour une évaluation et un examen plus poussés de la sécurité de l’enfant18,27. Dans le cas en cause, un counseling auprès de la famille concernant la connexion entre leurs approches de parentage et les symptômes de Jean serait important. Il serait aussi bénéfique de faire une demande de consultation auprès d’un programme d’éducation des parents et de faire un suivi dans un intervalle de temps rapproché.
Indices de négligence
L’une ou l’autre des situations suivantes pourrait signaler une négligence envers l’enfant:
-
absence d’épanouissement et faible courbe de croissance;
-
perte de tissus sous-cutanés;
-
mauvaise hygiène;
-
démangeaisons persistantes;
-
besoins insatisfaits (p. ex. immunisation, lunettes, soins dentaires et médicaux);
-
distension abdominale chez les nourrissons;
-
bébés inactifs;
-
absence d’expression faciale;
-
rendement médiocre;
-
manque d’énergie et d’entrain;
-
délinquance, consommation excessive d’alcool et toxicomanie;
-
assiduité et rendement à l’école en fluctuation; ou
-
voler ou quémander de la nourriture.
Indices d’agression sexuelle
L’aveu est l’indice le plus évident de l’agression sexuelle. Un comportement sexuel inapproprié à l’âge ou sexualisé à l’excès peut être un signe d’avoir été victime d’agression sexuelle. Voici d’autres signes indirects:
-
rébellion (avec agressivité ou colère);
-
repli sur soi;
-
régression;
-
peurs, phobies et anxiété;
-
troubles du sommeil ou cauchemars;
-
changements dans les habitudes alimentaires;
-
moins bon rendement à l’école;
-
troubles de l’humeur;
-
énurésie ou encoprésie;
-
fugues;
-
comportement autodestructeur;
-
comportement antisocial (p. ex. mentir, voler, cruauté envers les animaux, allumer un incendie).
Rôle du médecin de famille
Les médecins de famille devraient être attentifs lorsqu’ils prennent l’anamnèse concernant la violence conjugale et la maltraitance des enfants. En raison de leurs contacts constants et continus avec les enfants et les familles au fil du temps, les médecins de famille ont généralement une connaissance intime des forces des familles qu’ils soignent et des difficultés avec lesquelles elles sont aux prises et sont en mesure d’offrir des conseils anticipatoires et de faire des interventions d’information dans le domaine du développement des enfants et du parentage. Les médecins doivent aussi comprendre certains des facteurs de risque de maltraitance chez les enfants et les familles de leur pratique, comme la dépression maternelle, la consommation excessive d’alcool et de drogues et les contacts antérieurs avec des organismes de protection de l’enfance.
Prise en charge des cas soupçonnés de maltraitance d’enfant
Les cas soupçonnés ou confirmés de maltraitance d’un enfant doivent être signalés à l’OPJ.
|
OPJ—Organisme de protection de la jeunesse.
Données tirées de Pressel27.
On trouve à l’Encadré 6 un résumé de la prise en charge des cas soupçonnés de violence faite aux enfants27. Les médecins devraient savoir que les changements de comportement négatifs chez un enfant (p. ex. agressivité) pourraient être la pointe de l’iceberg révélatrice d’une maltraitance constante, d’une négligence ou de violence domestique impliquant d’autres membres de la famille25. Il faudrait alors porter plus d’attention aux autres enfants de la famille et un dépistage approprié devrait être entrepris. Enfin, il est essentiel que les médecins connaissent les ressources en santé mentale dans leurs communautés qui sont capables de traiter et soutenir les familles. Le recours à une approche multidisciplinaire produit les meilleurs résultats1–3.
Conclusion
La maltraitance des enfants est un problème courant à l’échelle mondiale et ses effets physiques et psychosociaux sont ressentis par les enfants maltraités, leur famille et leurs communautés. Elle a été associée à des changements dans le développement mental et comportemental des victimes durant toute leur vie, les mettant à risque d’adopter des comportements potentiellement dangereux plus tard. Les médecins de famille exercent un rôle important dans l’identification des cas de violence faite aux enfants dans leur pratique, en les signalant à des organismes de protection de la jeunesse, en prévenant d’autres préjudices aux enfants identifiés ainsi qu’aux autres enfants de la famille et en offrant un soutien et une éducation supplémentaires constants aux familles.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
-
La violence faite aux enfants est un problème courant à l’échelle mondiale et ses effets physiques et psychologiques sont ressentis par les enfants maltraités, leur famille et leurs communautés. Elle a été associée à des changements dans le développement mental et comportemental des victimes durant toute leur vie, les mettant à risque de s’engager dans des comportements potentiellement dangereux plus tard.
-
Les médecins de famille ont un rôle important dans l’identification des cas de maltraitance d’enfants dans leur pratique, le signalement de tels cas aux organismes de protection de la jeunesse, la prévention d’autres mauvais traitements envers ces enfants et d’autres enfants de la famille, ainsi que dans le soutien et l’éducation continus auprès des familles.
Footnotes
-
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
-
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the August 2013 issue on page 831.
-
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
-
Collaborateurs
Tous les auteurs ont contribué à la recherche documentaire et à la préparation de l’article aux fins de publication.
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada