Une mauvaise alimentation est le principal facteur de risque de mortalité, d’années de vie perdues et d’incapacité au Canada, selon la plus récente étude sur la charge mondiale de morbidité qui estimait que 65 722 Canadiens sont morts et 864 032 années de vie ont été perdues en 2010 en raison d’un régime alimentaire malsain1. L’alimentation malsaine, définie au sens large par l’Organisation mondiale de la Santé comme étant un régime à forte teneur en graisses saturées, en acides gras trans, en sucres libres ou en sodium2,3, contribue considérablement à une grande partie du fardeau de morbidité mondial et national causant l’obésité, la dyslipidémie, le diabète et l’hypertension.
Les habitudes alimentaires s’adoptent tôt dans la vie et les effets de l’alimentation sous-optimale chez les Canadiens sont une source de préoccupation4. Au Canada, on estime que 1 adulte sur 4 et 1 enfant sur 3 sont obèses, largement en raison d’une consommation excessive de calories et de l’inactivité physique4,5. Des données probantes démontrent également que l’obésité infantile est étroitement liée à une hausse de l’hypertension pédiatrique et du diabète de type 2, maladies qui se limitaient traditionnellement aux populations adultes6,7. Si la tendance actuelle se maintient, on prévoit que la génération actuelle d’enfants canadiens ne vivront pas aussi long-temps que leurs parents8. Les médecins de famille sont aux prises quotidiennement avec les conséquences médicales des maladies associées à l’alimentation et jouent un rôle important, tant dans la prévention que dans la prise en charge de ces maladies.
Quoique les causes sous-jacentes d’une alimentation malsaine et de ses maladies connexes soient multifactorielles, les choix et les comportements alimentaires sont directement attribuables à un environnement qui encourage et facilite l’accès à des boissons et des aliments mauvais pour la santé, notamment aux pratiques omniprésentes de marketing utilisées pour faire la promotion de boissons et d’aliments malsains. La recherche a démontré une association entre l’obésité chez les enfants et la forte influence négative qu’a le marketing de la malbouffe sur leurs comportements alimentaires9. Ces techniques de commercialisation ont non seulement normalisé la consommation d’aliments malsains, mais elles visent aussi les enfants de manière disproportionnée10. De fait, les enfants canadiens sont exposés au marketing des aliments malsains à des taux plus élevés que les enfants de nombreux autres pays11. Alors que les pays du monde entier accordent la priorité à la prévention des maladies chroniques et rehaussent leurs efforts pour améliorer l’alimentation comme stratégie importante pour ce faire12, l’industrie alimentaire continue de diriger des millions de dollars en marketing pour augmenter les ventes et la consommation de ces aliments mêmes qui contribuent à notre charge de morbidité reliée à l’alimentation10.
Tentatives de réglementation
Au Canada, l’industrie alimentaire établit ses propres règles et s’autoréglemente en matière de marketing de boissons et d’aliments malsains destiné aux enfants, sans surveillance ni supervision gouvernementale13. Cette approche ne s’est pas révélée efficace. Il en résulte que plus de 60 % des aliments définis comme «santé» par plusieurs entreprises alimentaires canadiennes prétendant se conformer aux restrictions en matière de marketing des aliments seraient en réalité trop malsains pour être commercialisés dans d’autres pays14. De plus, on a constaté que certaines compagnies qui ont pris l’engagement de ne pas faire de marketing de boissons et d’aliments malsains auprès des enfants ont des taux plus élevés d’une telle pratique que les entreprises qui n’ont pas pris cet engagement15. Le fait que les enfants canadiens soient exposés à autant que 7 annonces publicitaires d’aliments à l’heure à la télévision et que ces annonces fassent la promotion d’aliments non conformes aux guides alimentaires nationaux11 porte aussi à croire que l’autoréglementation par l’industrie n’améliorera probablement pas les régimes alimentaires des enfants. À l’échelle mondiale, il est démontré que l’autoréglementation par l’industrie alimentaire pour réduire la mauvaise alimentation ne s’est pas révélée efficace16.
Plusieurs pays, dont la Suède, la Norvège et le Royaume-Uni, ont pris des mesures réglementaires pour restreindre le marketing de boissons et d’aliments malsains adressé aux enfants17. Durant les années 1980, le Québec a adopté des règlements interdisant toute publicité commerciale pour les enfants de moins de 13 ans18. Même si la réglementation québécoise a été contestée, la Cour suprême du Canada a rendu une décision en faveur du Québec et a conclu «qu’il ne fallait pas exploiter la crédulité des enfants» et «que, selon la prépondérance des probabilités… les enfants peuvent être manipulés par la publicité commerciale»19. Même s’il n’y a pas eu de recherche pour évaluer les effets de l’interdiction de cette publicité commerciale sur l’état pondéral des enfants, cette décision a conféré une certaine protection à la population francophone du Québec, étant donné que les enfants francophones sont moins susceptibles d’être exposés aux annonces télévisées de boissons et d’aliments malsains que leurs homologues anglophones15,20. Le «débordement» médiatique des autres provinces, le manque de surveillance et de supervision étroites du gouvernement et les définitions limitatives du mot marketing continuent de faire obstacle aux effets et à la réussite de l’interdiction21.
En se fondant sur diverses révisions systématiques9,22–24, les Nations Unies et l’Organisation mondiale de la Santé ont revendiqué des restrictions au marketing des aliments malsains destiné aux enfants25–27. Préoccupés par la santé actuelle et future des enfants, le Collège des médecins de famille du Canada et 23 autres organisations canadiennes du secteur de la santé et des sciences, y compris l’Association médicale canadienne et Les Médecins de santé publique du Canada, ont lancé un appel dans une déclaration consensuelle de politique pour que soient élaborés des politiques et des processus visant à mettre un terme à tout le marketing de boissons et d’aliments malsains destiné aux enfants de moins de 13 ans28.
Action nécessaire
Malgré les appels lancés au gouvernement fédéral pour qu’il prenne des mesures plus concrètes, tant à l’échelle nationale qu’internationale, très peu de progrès ont été accomplis. Des projets de loi sur le plan fédéral (C-324) et provincial (53) proposés pour restreindre le marketing des boissons et des aliments malsains auprès des enfants n’ont pas été adoptés et outre le Québec, aucun autre gouvernement provincial n’a instauré de processus de réglementation ou de surveillance d’une restriction volontaire efficace. Les actions sont plus éloquentes que les mots. La diminution de l’exposition des enfants au marketing des aliments et des boissons riches en gras, en sucre ou en sel a été identifiée comme une stratégie importante pour freiner l’obésité infantile au Canada29. Pourtant, en dépit de leur inefficacité démontrée, les efforts volontaires à l’initiative de l’industrie demeurent l’approche que privilégie le gouvernement.
Les médecins de famille et nos organisations devraient-ils accepter le statu quo ou encore examiner qu’elles sont les autres mesures nécessaires? Accepter le statu quo laisse un important déterminant de la santé des enfants canadiens aux mains d’une industrie qui génère des profits en vendant les aliments mêmes qui détériorent la santé des enfants et augmentent leurs risques à long terme de mort prématurée et d’incapacité, en particulier en raison de maladies cardiovasculaires. L’autre option est de devenir plus actifs pour assurer que nos collègues, nos concitoyens canadiens et les décideurs comprennent que la santé et le bien-être actuels des enfants sont mis en péril en raison de leur mauvaise alimentation et que l’amélioration de la santé alimentaire des enfants est une priorité nationale29.
Les médecins de famille sont bien placés pour avoir une influence sur l’obésité infantile et l’épidémie de maladies chroniques qui en résulte. Collectivement, les médecins de famille peuvent agir et appuyer le Collège des médecins de famille du Canada et les autres signataires de la déclaration consensuelle visant à restreindre le marketing des boissons et des aliments malsains destiné aux enfants et aux jeunes au moyen d’efforts en matière d’éducation publique et de politiques. Les compétences CanMEDS-Médecine familiale identifient les médecins comme des promoteurs de la santé30 qui, grâce à leur influence et à leurs plaidoyers, peuvent jouer un rôle sur le plan individuel en s’impliquant dans les organisations locales, provinciales et nationales et dans les communications du Collège avec les politiciens provinciaux et fédéraux. Le rôle des aliments malsains à titre de déterminant majeur de la mortalité et de l’incapacité doit être expliqué dans la formation prédoctorale, postdoctorale et continue, et être mis en évidence dans les cours, les ateliers, les manuels et les articles qui discutent de la prévention de la maladie et du bien-être. Nous devons recommander que la mauvaise alimentation comme principale cause de décès et d’incapacité fasse l’objet de recherches qui reçoivent en priorité du financement. De plus, les revues médicales doivent publier plus d’articles concernant la mauvaise alimentation et les interventions pour promouvoir une saine alimentation. Des discussions publiques plus intenses sur ce problème critique de santé au sein des milieux de soins primaires et de médecine familiale constituent une démarche importante vers des changements sociétaux dans le but de réduire l’exposition des enfants au marketing des boissons et des aliments malsains. Si nous ne démontrons pas que nous nous en soucions, pourquoi les décideurs gouvernementaux s’en soucieraient-ils?
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 969.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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