La plupart des médecins de famille donnent des conseils à leurs patients. « Arrêtez de fumer. Faites de l’exercice. Mangez sainement », clament-ils régulièrement. Cela fait partie, en quelque sorte, de leur fonction. Formulé plus élégamment, cela correspond aux compétences transversales que tout médecin de famille doit posséder. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement? Difficile, en effet, de ne pas recommander à une personne obèse de maigrir ou à un bronchitique chronique d’arrêter de fumer. Cela va de soi!
Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à prodiguer de tels conseils. Les journaux, les revues, les émissions télévisuelles et les sites Internet foisonnent d’avis sanitaires à l’intention des participants. Sans compter les autres professionnels de la santé qui y vont, eux aussi, de leurs recommandations et directives. Bref, la population ne manque pas d’avis sanitaires.
On peut toutefois se demander si tous ces multiples conseils sont vraiment utiles. Ont-ils un effet bénéfique? Assurent-ils une vie plus longue en bonne santé?
Ce sont les questions que nous nous sommes posées en lisant « Mental health and the relationship between health promotion counseling and health outcomes in chronic conditions. Cross-sectional population-based study » qui se trouve à la page e1141. Al Sayah et coll. ont cherché à savoir s’il existait une relation entre les conseils de santé prodigués par les médecins de famille et, la qualité de vie et l’utilisation des services de santé des personnes souffrant de maladies chroniques, et ce, en prêtant une attention particulière à l’influence de leur santé mentale sur ces déterminants. Les résultats montrent qu’il existe effectivement une relation entre la promotion de la santé faite par les médecins de famille et, les indicateurs de qualité de vie et les visites à l’urgence (mais pas pour les taux d’hospitalisation). Ceux qui reçoivent des conseils de leur médecin de famille adoptent de plus saines habitudes de vie et consultent moins à l’urgence. En soi, cette constatation est intéressante et nous conforte dans notre rôle de conseiller. Elle rejoint aussi les résultats d’autres recherches qui démontrent qu’il existe une relation entre la promotion de la santé et l’adoption de comportements sains.
Toutefois, cette recherche comporte aussi des révélations troublantes.
En premier lieu, aux dires des patients, environ 50 % à 60 % (seulement!) des médecins leur auraient prodigué des conseils de santé. Évidemment, la recherche est rétrospective et basée sur l’opinion des patients, ce qui pourrait expliquer ces résultats mitigés. Peut-être, aussi, les patients ont-ils oublié les précieux conseils de leur médecin de famille? Peut-être …
Une autre révélation est particulièrement troublante: les conseils de santé prodigués aux patients aux prises avec des problèmes de santé chroniques mais souffrant aussi de problèmes mentaux ne semblent avoir aucune influence sur l’adoption de comportements sains ni sur le nombre de visites à l’urgence. Comment cela est-il possible? Surtout que les problèmes de santé mentale dont il est ici question ne sont pas des troubles schizophréniques graves avec délire, mutisme ou hallucinations rendant les patients incapables d’intégrer les conseils de leur médecin. Il s’agit essentiellement de troubles dépressifs et anxieux qui sont le lot de plusieurs patients qui nous consultent. Or, chez les 17 % de patients qui étaient déprimés ou anxieux, aucune association n’a été observée entre les diverses variables du counseling et les éléments de qualité de vie, pas plus que sur les visites à l’urgence. C’est comme si prodiguer des conseils de santé à des patients anxieux ou déprimés n’avait aucun effet sur eux.
Remarquez que tout cela tombe sous le sens. Quand une personne est anxieuse, quand elle n’arrive pas à dormir et qu’elle a les nerfs à vifs; quand une personne est déprimée, qu’elle est découragée et qu’elle est envahite par la tristesse ou le désespoir; bref, quand un patient vit des souffrances morales, ce n’est certainement pas le moment pour lui donner des conseils pour gérer ses problèmes de santé chroniques. C’est inopportun de lui conseiller de suivre une diète ou de faire plus d’exercice!
Ces situations illustrent bien les discordances potentielles entre les agendas des patients et ceux des médecins.
Tout compte fait, il est fort compréhensible que certains médecins de famille jugent que, dans certaines circonstances, faire la promotion de la santé n’a pas sa place. Qui donc oserait dire à une personne qui traverse un deuil ou qui est en détresse psychologique de cesser de fumer ou de mieux s’alimenter? Ce serait totalement manquer de jugement.
Donc, oui à la promotion de la santé, mais pas n’importe quand, ni n’importe comment.
C’est une question de gros bon sens.
Footnotes
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This article is also in English on page 107.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Référence
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