Il existe des données limitées sur la prévalence de la toxicomanie chez les femmes enceintes au Canada. Aux États-Unis, la prévalence de la consommation abusive de drogues chez les femmes a augmenté et une proportion allant jusqu’à 90 % d’entre elles sont en âge de procréer1. De plus, la proportion de grossesses non intentionnelles chez les femmes dépendantes aux opioïdes se situe entre 80 % et 90 %2. Cette réalité fait de la consommation d’opioïdes et la dépendance à ces substances durant la grossesse un important problème de santé. Même s’il existe peu de renseignements au sujet de l’incidence du traitement à une dépendance aux opioïdes chez les femmes enceintes, plus de 550 000 femmes ont été admises dans des programmes de traitement aux États-Unis en 2007, dont environ 4 % étaient enceintes au moment de leur admission. Chez 8,6 % de ces femmes enceintes, les opioïdes étaient la principale substance qu’elles consommaient abusivement lors de leur admission3.
Il serait idéal de s’abstenir de prendre des opioïdes durant toute la grossesse, mais la plupart des femmes dépendantes à ces substances sont incapables de le faire même sous étroite supervision médicale et sont à risque de rechute. La pression d’une rapide désintoxication pourrait causer un stress maternel, des symptômes de sevrage et du stress fœtal qui sont associés à une faible croissance fœtale, à un accouchement avant terme et à la mort fœtale4. La cessation abrupte des opioïdes pendant la grossesse pourrait aussi augmenter la probabilité d’un avortement, d’un travail prématuré, d’un avortement spontané et de mortinatalité5.
Le critère standard actuel pour la prise en charge d’une dépendance aux opioïdes chez les femmes enceintes est un maintien à la méthadone6.
L’utilisation de la buprénorphine durant la grossesse
Dans une révision exhaustive en 2003 portant sur 309 grossesses au sein de plusieurs cohortes (séries de cas, études prospectives, études contrôlées), on signalait une incidence égale ou inférieure du syndrome d’abstinence néonatale (SAN) avec une exposition à la buprénorphine par rapport à une exposition à la méthadone7.
Une révision complète en 2012 portant sur quelques centaines de grossesses au sein de différentes cohortes (séries de cas, études prospectives, études contrôlées; n=31 études) ne révélait aucune augmentation du risque de malformations chez les nourrissons exposés avant la naissance à la buprénorphine8. D’autres paramètres néonatals (âge gestationnel, poids, longueur, circonférence de la tête) étaient dans les limites normales ou n’avaient généralement rien de remarquable. Parmi les diverses cohortes, l’incidence moyenne non pondérée du SAN était de 44 % à 48 %, et environ 50 % des nouveau-nés étaient traités pour un SAN. Le temps moyen jusqu’à l’apparition du SAN était de 52,7 heures8. D’autres études ont rapporté des résultats semblables9,10. On discutait aussi dans cette révision de diverses petites études (n=9) examinant divers paramètres liés au développement chez les nourrissons exposés avant la naissance à la buprénorphine, comme les habitudes de sommeil, les signes de stress, la maturation visuelle et le neurodéveloppement. La plupart des études ne signalaient aucun résultat indésirable anormal à l’exception de 1 qui démontrait des scores significativement moins élevés dans la disponibilité émotionnelle (P < ,05) et les échelles du langage (P < ,001) par rapport au groupe non exposé8,11. Il convient de signaler que, dans la plupart des cas, les enfants avaient été exposés à d’autres drogues en plus de la buprénorphine et, compte tenu de telles expositions multiples, il est difficile de confirmer si les effets rapportés sur la fonction cognitive étaient le résultat de l’exposition prénatale à la buprénorphine ou s’ils ont été causés par des facteurs génétiques et environnementaux et la consommation par la mère d’autres drogues, y compris l’alcool et le tabac.
L’étude MOTHER (Maternal Opioid Treatment: Human Experimental Research), un essai multicentrique randomisé contrôlé inclus dans la révision ci-haut mentionnée, comparait 58 nouveau-nés exposés à la buprénorphine avec 73 nouveau-nés exposés à la méthadone; dans les 2 groupes, leurs mères avaient été traitées pour une dépendance aux opioïdes durant la grossesse12. Les auteurs n’ont rapporté aucune différence dans l’incidence du SAN entre les groupes de nourrissons; toutefois, les nourrissons exposés à la buprénorphine exigeaient considérablement moins de morphine pour leur traitement contre le SAN (dose moyenne de 1,1 mg c. 10,4 mg, P < ,009), la durée de leur séjour à l’hôpital était significativement plus courte (10,0 jours c. 17,5, P < ,009) et la durée de leur traitement contre le SAN était beaucoup moins longue (4,1 jours c. 9,9 jours, P < ,003)12.
Utilisation de la buprénorphine et de la naloxone durant la grossesse
Des études sur la reproduction des rongeurs prenant de la naloxone durant la grossesse n’ont pas démontré de preuves d’embryotoxicité ou de tératogénicité à des doses plusieurs fois plus fortes que celles recommandées chez les humains13,14. Lorsque la naloxone est prise oralement, elle n’est pas détectée dans le sang et, avec une administration sublinguale, les niveaux systémiques sont faibles15. Ainsi, si elle est utilisée de manière appropriée, on ne devrait pas s’attendre à ce qu’elle produise des effets indésirables. Par contre, si elle est prise par voie intraveineuse ou intranasale, comme lorsqu’elle est utilisée comme drogue illicite, elle cause des symptômes graves de sevrage chez les patients dépendants aux opioïdes15.
Un examen rétrospectif des dossiers de mères dépendantes aux opioïdes traitées avec un film de buprénorphine et de naloxone avant la grossesse (n = 8) ou durant le premier trimestre (n = 2) n’a signalé aucun résultat indésirable significatif chez la mère ou le nouveau-né par rapport aux mères traitées à la buprénorphine seulement. De leurs nouveau-nés (n = 10), 80 % sont nés à terme et avaient des paramètres normaux à la naissance (scores Apgar, circonférence de la tête, poids à la naissance et longueur du nourrisson). Quatre nouveau-nés ont été traités pour un SAN et ce taux de survenance est semblable à celui des nouveau-nés exposés à une monothérapie à la buprénorphine. Pareillement, la durée du traitement et le nombre de jours à l’hôpital étaient aussi comparables à ceux des nourrissons exposés à une monothérapie à la buprénorphine16. Une récente révision comparait les résultats de ces 10 grossesses à ceux de 7 études publiées antérieurement qui examinaient le traitement des femmes enceintes dépendantes aux opioïdes. Il n’y avait pas de différences significatives dans les résultats maternels ou néonatals en ce qui a trait au traitement avec de la buprénorphine et de la naloxone par rapport à la buprénorphine, à la méthadone ou au sevrage assisté avec de la méthadone17.
Conclusion
Des données probantes ont démontré qu’une thérapie de maintien à la buprénorphine durant la grossesse est un traitement efficace pour la dépendance aux opioïdes. Elle n’a pas été associée à un risque accru de résultats de grossesse indésirables et elle pourrait être envisagée comme une option de rechange à la méthadone. Au Canada, la buprénorphine est accessible comme agent unique par l’intermédiaire du Programme d’accès spécial de Santé Canada6 et sous forme sublinguale combinée avec de la naloxone, un antagoniste des opioïdes utilisé pour réduire la récidive de la dépendance15. On conseille aux femmes qui deviennent enceintes alors qu’elles sont stables en prenant un traitement de buprénorphine et de naloxone de continuer leur traitement mais de faire une transition vers une monothérapie à la buprénorphine6,18 en raison de préoccupations entourant le syndrome de sevrage si elle est utilisée de manière inappropriée (p. ex. injection). Toutefois, lorsqu’on choisit un traitement pour la dépendance aux opioïdes durant la grossesse, il faut tenir compte des bienfaits et des risques de la buprénorphine et de la méthadone. Si la mère prend de la buprénorphine lorsqu’elle est presque à terme, il faut observer le nourrisson pour détecter un possible SAN à la naissance.
Notes
MOTHERISK
L’équipe de Motherisk au Hospital for Sick Children à Toronto, en Ontario, prépare les réponses aux questions à Motherisk. Mme Poon et Dre Pupco sont membres, Dr Koren est directeur et Mme Bozzo est directrice adjointe du Programme Motherisk. Dr Koren est financé par le Research Leadership for Better Pharmacotherapy during Pregnancy and Lactation.
Avez-vous des questions concernant les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les femmes enceintes ou qui allaitent? Nous vous invitons à les poser au Programme Motherisk par télécopieur au 416 813-7562; nous y répondrons dans de futures Mises à jour de Motherisk. Les Mises à jour de Motherisk publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca) et dans le site web de Motherisk (www.motherisk.org).
Footnotes
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2014 issue on page 631.
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Intérêts concurrents
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