L’asthme est une maladie inflammatoire chronique qui se traduit souvent par une obstruction bronchiale accompagnée de symptômes de dyspnée et de toux1. Il touche jusqu’à 8,4 % des femmes enceintes aux États-Unis2 et, s’il n’est pas contrôlé, il peut entraîner une diminution de l’apport d’oxygène au fœtus1. Les corticostéroïdes en inhalation (CSI) populaires actuellement disponibles dans le monde incluent le budésonide, le propionate de fluticasone, le diproprionate de béclométasone, l’acétonide de triamcinolone, le flunisolide, le furoate de mométasone et le ciclésonide1. Jusqu’à présent, les études adéquatement contrôlées sur l’usage des CSI durant la grossesse sont relativement peu nombreuses. Les plus récents CSI, dont la mométasone et le ciclésonide, n’ont pas encore été étudiés durant la grossesse.
Effets de l’asthme sur les issues de la grossesse
Habituellement, les femmes enceintes asthmatiques peuvent avoir des complications périnatales ou gestationnelles comme une restriction de la croissance intrautérine3, de l’hypertension induite par la grossesse et un accouchement par césarienne3,4. Les ouvrages scientifiques signalent aussi que l’asthme non contrôlé ou l’asthme compliqué par des exacerbations durant la grossesse cause chez les femmes un risque accru de diverses complications dont un accouchement prématuré5,6, une petite taille pour l’âge gestationnel ou un nouveau-né de faible poids à la naissance (risque relatif = 3,02, IC à 95 % de 1,87 à 4,89)7. Un faible risque de malformations congénitales (majeures et mineures) a été rapporté chez les enfants de femmes qui ont eu une exacerbation durant le premier trimestre (rapport de cotes [RC] = 1,48, IC à 95 % de 1,04 à 2,09)8. En général, l’asthme ne pose pas de risque accru de malformations majeures8–10.
Les femmes traitées aux CSI durant la grossesse ont un risque significativement plus faible d’exacerbations par rapport aux femmes qui ne suivent pas de traitement aux CSI (risque relatif = 0,22, IC à 95 % de 0,11 à 0,44)11. Le recours aux CSI est le traitement à long terme privilégié de l’asthme durant la grossesse12,13.
Innocuité des CSI et issues de la grossesse
À l’heure actuelle, le budésonide est le CSI qui a fait l’objet de plus d’études durant la grossesse. Selon des données tirées des registres des naissances et sur la santé en Suède, il n’y a pas eu d’augmentation significative dans les malformations congénitales chez plus de 10 000 nouveau-nés exposés14. De plus, aucune issue indésirable n’a été cernée sur les plans de l’âge gestationnel, du poids et de la longueur à la naissance ou de la mortinatalité15. Aucune association importante n’a été trouvée entre l’utilisation d’autres CSI et des résultats périnatals ou de grossesse indésirables1,16. Selon des méta-analyses, il n’y avait pas d’associations entre l’utilisation des CSI, en tant que groupe, et un risque accru de malformations majeures (RC = 0,96, IC à 95 % de 0,51 à 1,83, n = 847)16 ou de malformations congénitales (RC = 0,96, IC à 95 % de 0,89 à 1,04, n = 17 220 exposés aux CSI)10, lorsqu’on faisait une comparaison avec les résultats obtenus chez des femmes asthmatiques qui ne prenaient pas de CSI. De plus, on a constaté qu’une prise en charge active de l’asthme réduisait la probabilité d’un accouchement prématuré6.
Une grande étude canadienne de cohortes (n = 4 392), incluse dans la méta-analyse qu’on vient de mentionner10, confirmait l’innocuité de doses allant de faibles à modérées (0 à 1 000 µg/j d’équivalent de béclométasone avec chlorofluorocarbures) de CSI durant le premier trimestre17. Fait intéressant, l’étude incluait aussi une cohorte de femmes prenant des doses élevées de CSI (> 1000 µg/j, n = 154) et, même si aucun risque accru de malformations majeures n’a été signalé, on a constaté un risque plus élevé, faible mais statistiquement significatif, d’avoir un bébé ayant des malformations congénitales (majeures et mineures) par rapport aux femmes qui prenaient 1 000 µg/j ou moins (ratio de risques ajusté = 1,63, IC à 95 % de 1,02 à 2,60)17. Il est probable que les femmes souffrant d’asthme modéré à grave se sont vu prescrire des CSI à fortes doses et qu’elles ont connu plus d’exacerbations, ce qui peut avoir brouillé les effets constatés avec les CSI à fortes doses. Par conséquent, il est difficile de faire la distinction entre les effets de l’asthme et ceux de l’utilisation de CSI.
Les corticostéroïdes par voie orale ont été associés avec un risque accru de fissures labiopalatines, en particulier les fentes palatines18. Par ailleurs, une étude cas-témoins examinant l’association entre les corticostéroïdes et les fissures labiopalatines chez les enfants de femmes ayant utilisé des CSI durant la grossesse, y compris en vaporisations nasales, n’a pas signalé de risque accru de ces anomalies congénitales19. De plus, une importante étude danoise comparait les résultats chez les femmes ayant utilisé des CSI tôt durant la grossesse (n = 1 223) avec ceux des femmes non exposées (n = 80 950), et les résultats n’ont pas permis de cerner de risque accru de fissures labiopalatines (0,08 % c. 0,2 %)20.
Dans une étude, on a fait le suivi des enfants nés de femmes asthmatiques et traitées avec des CSI jusqu’à un âge moyen de 6,1 ans (variant de 3,6 à 8,9 ans, n = 1 231)21. Le budésonide, et tous les CSI utilisés, étaient associés à un risque accru de troubles endocriniens et métaboliques; toutefois, il n’y avait pas d’association avec 14 autres catégories de maladies21. L’étude ne présentait pas les détails des troubles ni tenait-elle compte de la gravité de l’asthme, de l’utilisation des corticostéroïdes par voie orale, ni du faible poids à la naissance, qui pourraient avoir influencé les résultats22,23. Les auteurs continuaient de favoriser l’utilisation des CSI mais ont insisté sur la nécessité de pour-suivre la recherche21.
Éducation, conformité et technique
En dépit de la recherche qui appuie l’utilisation des CSI durant la grossesse, il persiste du scepticisme chez les patientes et leurs médecins24. On estime que seulement 15 % des personnes asthmatiques se conforment bien au traitement et que 56 % l’observe mal25. De fait, il semble que de 23 % à 36 % des femmes discontinuent leur utilisation de CSI durant leur premier ou leur deuxième trimestre26,27. On croit que cet abandon est attribuable aux risques connus des corticostéroïdes par voie orale d’augmenter les fissures labiopalatines18. En plus des préoccupations discutées précédemment entourant l’asthme et les exacerbations de l’asthme durant la grossesse, l’abandon du traitement a été associé à des conséquences périnatales, comme le signale une étude danoise qui a suivi 108 femmes à qui on a prescrit des CSI durant leur grossesse. Les femmes qui ont cessé de prendre des CSI ou ont diminué leurs doses lorsqu’elles sont devenues enceintes (n = 22, 20,4 %) ont donné naissance à des bébés dont le poids moyen et la longueur moyenne ajustés à la naissance étaient inférieurs par rapport aux nouveau-nés des femmes qui se sont conformées à leur thérapie aux CSI28. Par conséquent, il est important de bien renseigner les femmes asthmatiques, qui sont ou pourraient devenir enceintes, et de les rassurer à propos de l’innocuité des CSI durant tous les trimestres de la grossesse.
En plus de faire comprendre la nécessité de se conformer au traitement, il importe tout autant d’éduquer les patientes à propos des techniques appropriées d’inhalation. Luskin et ses collaborateurs ont estimé que seulement 24 % de ceux qui utilisaient des inhalateurs-doseurs suivaient la bonne technique, par rapport à 63 % de ceux qui se servent des inhalateurs turbo ou à 96 % de ceux qui prennent des disques pour inhalation; quoiqu’il en soit, la plupart des utilisateurs reçoivent moins de 50 % de la dose25. Parmi les erreurs dans la technique, on peut mentionner la mauvaise synchronisation entre l’inhalation et l’activation de l’inhalateur ou l’omission de retenir sa respiration assez longtemps après l’inhalation (10 secondes)25. Si la technique n’est pas bonne, on peut avaler davantage de CSI, ce qui réduit la quantité qui se rend aux poumons29. Le traitement pourrait ainsi être inefficace et causer des exacerbations exigeant l’administration de corticostéroïdes systémiques.
Conclusion
Étant donné l’état actuel de la recherche, il est encore difficile de distinguer si les effets sur la grossesse et les issues constatés chez les femmes traitées avec des CSI sont dus à la maladie sous-jacente ou au traitement, mais il existe des données probantes substantielles qui indiquent que les CSI n’augmentent pas le risque de malformations congénitales et qu’il est sécuritaire de les utiliser durant toute la grossesse à des doses de faibles à modérées. Il faut utiliser les CSI à la plus faible dose efficace pour contrôler les symptômes de l’asthme et prévenir les exacerbations. Plus de recherche serait nécessaire pour comprendre la sécurité des fortes doses de CSI et savoir s’ils ont des effets indésirables à long terme pour les enfants.
Notes
MOTHERISK
L’équipe de Motherisk au Hospital for Sick Children à Toronto, en Ontario, prépare les réponses aux questions à Motherisk. Mme Smy est candidate au doctorat en sciences pharmaceutiques à la Faculté Leslie Dan de pharmacie de la University of Toronto, en Ontario. M. Chan est étudiant en médecine à la St George’s University en Grenade. Mme Bozzo est directrice adjointe et Dr Koren est directeur du Programme Motherisk. Dr Koren est financé par le Research Leadership for Better Pharmacotherapy during Pregnancy and Lactation.
Avez-vous des questions concernant les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les femmes enceintes ou qui allaitent? Nous vous invitons à les poser au Programme Motherisk par télécopieur au 416 813-7562; nous y répondrons dans de futures Mises à jour de Motherisk. Les Mises à jour de Motherisk publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca) et dans le site web de Motherisk (www.motherisk.org).
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the September 2014 issue on page 809.
Intérêts concurrents
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