La recherche en soins primaires connaît une renaissance au Canada, stimulée par des preuves que le rendement élevé dans les systèmes de santé repose sur eux,2. On s’intéresse fortement aux effets des réformes des soins primaires, comme les changements aux modes de rémunération des médecins, le recours à des listes de patients et l’instauration de modèles de soins en équipe. Étant donné que diverses provinces canadiennes implantent ou évaluent présentement différentes étapes et différents types de réformes, il existe un énorme potentiel d’amélioration des soins de santé grâce à une compréhension et à une communication des répercussions de ces réformes.
Une comparaison entre le rendement des services de santé sur les plans de la qualité, des coûts et de l’équité dans les diverses provinces canadiennes pourrait produire beaucoup d’information. Pour examiner les résultats des interventions qui touchent tous les professionnels (et les patients) dans une région donnée, un modèle efficace serait de comparer une province donnée avec différentes provinces pourvues de systèmes de santé semblables3. La recherche comparative interprovinciale le permettrait4,5.
Pourtant, la recherche interprovinciale sur les services de santé n’est pas encore très présente au Canada parce que, historiquement, la conception et la réforme du système de santé relèvent de la compétence exclusive de chaque province. Par conséquent, les différences dans la prestation des soins, les mesures et les normes des rapports compliquent les comparaisons entre les provinces. De plus, les systèmes de données et les moyens d’accéder aux données à des fins de recherche varient d’une instance à l’autre (p. ex. le Centre d’élaboration et d’évaluation de la politique des soins de santé du Manitoba6, Population Data BC7, l’Institut pour les sciences évaluatives cliniques8).
Il y a des exemples de réussite dans la collecte de données entre provinces. Les organisations comme le Réseau canadien pour l’étude observationnelle des médicaments utilisent les référentiels de base de données provinciaux (et certaines données européennes) dans des méta-analyses pour obtenir une perspective pancanadienne. Le Réseau canadien de surveillance sentinelle en soins primaires et l’Agence de la santé publique du Canada maintiennent des bases de données de grande envergure, composées de renseignements recueillis dans toutes les régions pour la surveillance des maladies chroniques. Pareillement, l’Institut canadien d’information sur la santé et Statistique Canada ont accès à des données interprovinciales. Malgré ces exemples, la recherche interprovinciale sur les services de santé est entravée par la structure de gouvernance des soins de santé au Canada, selon laquelle chaque province a la responsabilité constitutionnelle de son propre système de santé. En ce qui concerne les soins de santé, chaque province est l’équivalent d’un pays indépendant. Les systèmes de données sont souvent différents et ne se prêtent pas facilement à des comparaisons. Par conséquent, la collecte de données pancanadiennes sur les services de santé comporte des problèmes de coordination qui sont absents dans d’autres pays.
Quoiqu’il en soit, il faut des données d’une certaine ampleur pour répondre à de nombreuses questions entourant les politiques sur les services de santé et ce n’est possible qu’en recueillant l’information dans de multiples régions. Par exemple, quelle est l’influence du mode de rémunération des médecins sur la prestation des services de prévention aux patients atteints de nombreuses maladies chroniques? Le système canadien, bien qu’il soit difficile à coordonner quand il est question de recherche, offre des possibilités uniques pour comparer les caractéristiques et les résultats du régime de prestation d’une province à l’autre. Les approches structurelles et organisationnelles de la prestation des services qui sont associées à de meilleurs résultats ou à de moindres coûts peuvent ainsi être déterminées. Pour aller de l’avant et garder le rythme avec le reste du monde, les chercheurs en soins primaires au Canada doivent surmonter la confusion entre juridictions et créer un système de coopération manœuvrable.
Analyser et comparer les systèmes de soins de santé primaires
L’idée a été mise à l’essai en 2010, lorsque le Canada a été invité à se joindre à l’étude QUALICOPC sur la qualité et les coûts des soins primaires, dirigée par l’Europe9, qui analyse et compare les systèmes de soins primaires dans 27 pays de l’Union européenne, la Macédoine, la Norvège, la Suisse, la Turquie, Israël, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. L’étude QUALICOPC est la plus grande jamais tentée sur les soins primaires et il était important que le Canada y participe pour établir un point de repère du rendement national en matière de prestation des services de soins primaires. Cette étude a pour but d’examiner ce que comporte un solide système de soins primaires et les effets qu’ont les solides systèmes de soins primaires sur le rendement des systèmes de santé dans leur ensemble10. L’étude QUALICOPC vise à examiner l’accès, l’équité, la rentabilité et la qualité des services de soins de santé primaires. À cette fin, les données sont recueillies aux échelons du système, de la prestation des services et de l’utilisateur (patient). Les données d’enquête auprès des médecins et des cabinets décrivent, entre autres, les caractéristiques de la pratique (p. ex. en solo ou en groupe), l’emplacement de la pratique (p. ex. centreville, banlieue, petites villes, milieu mixte urbain et rural ou rural) et le recours aux guides de pratique clinique. Les patients fournissent des données sur leurs expériences et leurs valeurs. Certaines analyses tirées de ces données incluent des comparaisons entre les pays à ces 3 échelons, la détermination des pratiques exemplaires, ainsi que des corrélations pour cerner les associations à l’échelle d’un pays entre les variables sur les plans de la structure et des résultats.
Pour participer de manière significative à l’étude QUALICOPC, le Canada se devait d’être bien représenté en incluant des médecins provenant de nombreuses provinces (ou toutes). Au début de 2012, notre tout nouveau Réseau canadien de recherche et d’innovation en soins primaires a relevé le défi d’élaborer un système de collecte de données pour la filiale canadienne de QUALICOPC à l’aide des sondages standards de l’étude auprès des pratiques, des médecins et des patients. Cette initiative constituait le premier projet de recherche en soins primaires visant à élaborer un cadre à l’appui de la collecte de données prospectives dans toutes les provinces. Contrairement à ce que font d’autres organisations comme le Réseau canadien pour l’étude observationnelle des médicaments, l’Agence de la santé publique du Canada, l’Institut canadien d’information sur la santé et Statistique Canada, les objectifs de l’étude QUALICOPC reposaient sur la collecte de données primaires auprès de médecins de famille, de leurs pratiques et de leurs patients.
Créer un système de coopération manœuvrable
Comment avons-nous effectué une étude de recherche dans 10 provinces? En bref, nous avons créé un système de coopération à 2 paliers (Tableau 1) qui se sont partagé le prix (coûts et charge de travail) et les avantages (résultats complets).
Nous avons commencé par recruter un chercheur responsable dans chacune des 10 provinces (en raison de contraintes de temps et de problèmes méthodologiques, les 3 territoires n’ont pas été inclus dans cette étude). À leur tour, les chercheurs responsables ont communiqué avec leur gouvernement provincial, leurs conseils de la qualité en santé ou des représentants d’organismes provinciaux ou nationaux de financement de la recherche et ont demandé des fonds pour la collecte des données dans leur province. Ces démarches ont ouvert la voie à un partenariat à 2 niveaux, qui incluait :
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Un comité fédéral central de coordination sous les auspices du Réseau canadien de recherche et d’innovation en soins de santé primaires, composé du chercheur responsable ou d’un représentant des utilisateurs du savoir de chaque province;
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10 bureaux provinciaux dirigés par le chercheur responsable de chaque province et regroupant des représentants des ministères gouvernementaux pertinents et des partenaires locaux.
La deuxième tâche consistait à s’entendre sur les responsabilités du comité central et des bureaux provinciaux, qui ont été définies comme suit :
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Le comité central s’occupait de la planification générale et de la coordination de projets, comme l’adaptation des enquêtes et des méthodes provinciales aux fins d’une utilisation nationale et la création d’ensembles de données pancanadiennes. Il s’est réuni périodiquement par téléconférences. Bon nombre de participants ne se sont jamais rencontrés en personne.
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Les bureaux provinciaux étaient responsables des questions entourant les données sur le terrain, comme les approbations sur le plan de l’éthique, le recrutement des cabinets, la collecte de données, l’analyse et la diffusion des données intraprovinciales.
La structure que nous venons de décrire a facilité l’administration des sondages et la collecte des données de manière standardisée dans chaque province, ainsi que la production d’un plan de transfert des connaissances qui comportait un processus pour l’attribution de la paternité des travaux. Elle a aussi permis l’élaboration d’ententes sur le partage des données entre gouvernements et partenaires de recherche. Cette structure a donc permis la fusion des données provinciales en un seul ensemble de données pancanadiennes.
Avantages tirés des leçons
Les résultats du projet QUALICOPC amélioreront la qualité des soins primaires en soutenant une meilleure prise de décisions et un déploiement des ressources plus judicieux. Mais pour le Canada, QUALICOPC en a fait encore plus. Il a ouvert une porte trop longtemps évitée et a prouvé que la diversité qui a depuis longtemps été considérée comme la faiblesse de nos 13 systèmes de santé provinciaux et territoriaux pouvait maintenant être une force.
Les Instituts de recherche en santé du Canada ont récemment financé 12 équipes d’innovation en soins de santé primaires dans les communautés et ont lancé le Réseau pancanadien sur les innovations en soins de santé de première ligne et intégrés dans le contexte de leur Stratégie de recherche axée sur le patient. Ces initiatives représentent un investissement de près de 60 millions de dollars, de loin le plus important jamais fait en soins primaires par les Instituts de recherche en santé du Canada. Ces 2 projets ne financent que les équipes de recherche fédérales-provinciales-territoriales qui comprennent des partenariats entre chercheurs, cliniciens et utilisateurs du savoir11. Ces équipes pourraient toutes bénéficier des leçons retenues de l’étude QUALICOPC.
C’est une ère nouvelle en recherche sur les soins primaires au Canada. Nous avons les capacités techniques, la structure organisationnelle et le soutien financier pour réaliser et coordonner de grands projets touchant diverses régions, et comparer les services de santé et les résultats dans nos 13 systèmes de santé en vue de tous les améliorer grâce aux leçons apprises. La mise en application des résultats obtenus de cette recherche comparative interprovinciale réduira le gaspillage d’argent en ne mettant en œuvre que les pratiques les plus efficaces et efficientes qui amélioreront le plus probablement la santé des Canadiens.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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This article is also in English on page 403.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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