Une femme enceinte de 22 ans se voit offrir un avortement lorsque le dépistage prénatal révèle que son fœtus a le syndrome de Down. Une autre femme enceinte de 22 ans demande un avortement thérapeutique pour des motifs personnels plutôt que médicaux. Les 2 font leur choix en se basant sur ce qui est mieux pour elles, les fœtus et la société. La première femme obtient facilement l’intervention; l’accès à l’avortement pour la seconde peut être entravé par un manque de renseignements ou de médecins, le lieu où elle habite ou encore ses moyens financiers. Qu’est-il advenu de l’accessibilité, de l’universalité et des soins complets garantis dans la Loi canadienne sur la santé?
En 1974, 1 auteure (S.P.) entrait à la faculté de médecine. La contraception était légale au Canada depuis à peine 5 ans et l’avortement n’était accessible qu’à la suite de la détermination par un comité de 3 médecins que la poursuite de la grossesse présentait un risque pour la santé de la femme enceinte. Néanmoins, on s’attendait des étudiants en médecine qu’ils présentent l’avortement comme option si la grossesse était accidentelle ou non désirée et qu’ils sachent comment exécuter des avortements aux deuxième et troisième trimestres. Durant leurs stages en gynécologie, les étudiants en médecine familiale assistaient à des cliniques d’avortement thérapeutique, évaluaient la taille de l’utérus et remplissaient la documentation nécessaire à l’approbation de l’avortement. La participation était obligatoire et, selon les souvenirs de l’auteure, aucun de ses collègues résidents n’a demandé de dispense.
En 2014, lorsque l’autre auteure (S.S) a commencé ses études de médecine, l’ère de la contraception et de l’avortement illégaux semblait de l’histoire ancienne. Une décision de la Cour suprême en 1988 avait éliminé le cadre juridique entourant l’avortement et le reconnaissait uniquement comme une intervention médicale1. Quoi qu’il en soit, il persiste des obstacles à l’accès, peut-être enracinés dans les valeurs et les convictions religieuses de certains médecins et décideurs.
D’illégal à invisible
Les « porte-parole » de la médecine organisée considèrent que la décision de mettre un terme à une grossesse est d’ordre personnel. À la suite de la décriminalisation de l’avortement, l’Association médicale canadienne a adopté la politique suivante :
La décision de pratiquer un avortement est une décision d’ordre médical que prennent, en toute confidence, la patiente et son médecin dans le respect des lois canadiennes en vigueur et après un examen consciencieux de toutes les autres solutions possibles.
L’avortement provoqué est une intervention qui exige des compétences médicales et chirurgicales, et constitue ainsi un acte médical. Il ne peut être pratiqué que dans un établissement qui répond aux normes médicales reconnues, sans être nécessairement un hôpital2.
De même, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada s’est prononcée comme suit :
Toute femme qui demande un avortement doit recevoir un counseling et du soutien empreints de compassion concernant toutes les options à sa disposition, y compris la poursuite de la grossesse et l’adoption de l’enfant ou l’obtention d’assistance si elle souhaite la maternité. Le counseling doit être donné aussitôt que possible pour éviter tout délai dans l’éventualité où la femme choisirait de mettre fin à la grossesse. Le conseiller devrait faire preuve d’impartialité et de sensibilité face aux circonstances de la femme3.
Pourtant, la formation, la pratique et les politiques médicales ont constamment rendu l’avortement invisible et inaccessible dans certaines régions du Canada. Tous les étudiants en médecine doivent réussir aux examens du Conseil médical du Canada pour obtenir un permis d’exercice. Les questions sont reliées aux objectifs du Conseil. La section 082 des objectifs de 1999, qui portait sur la contraception, la prévention et l’interruption de la grossesse4, précisait que les étudiants devaient connaître l’avortement et être en mesure de présenter des options de rechange sur les plans de la contraception et de l’avortement tout en respectant les convictions morales, éthiques et religieuses de la patiente plutôt que celles du médecin. La version actuelle de ces objectifs du Conseil (mis à jour en novembre 2012) est bien différente. L’interruption de la grossesse a complètement disparu. Le Conseil traite de l’avortement sous la rubrique du professionnalisme, et il est qualifié de question éthique complexe (section 6,7)5. L’avortement thérapeutique a été redéfini (et limité) comme étant une demande de consultation nécessaire à la suite d’une constatation clinique (anomalie génétique fœtale sous-entendue) (sections 80 et 81)6.
Cadrer la formation avec la prestation des soins
Au Canada, on compte 28 avortements par 100 naissances vivantes7. Les patientes qui souhaitent un avortement consultent souvent leur médecin de famille pour être orientées. Environ 61 % des médecins qui font des avortements sont des médecins de famille8. Dans quelle mesure la formation médicale cadre-t-elle avec la prestation des soins? Il est plus probable que les résidents en médecine familiale considèrent l’avortement comme une option et offrent ce service s’ils reçoivent de la formation9. Toutefois, on ne mentionne nullement la formation en counseling et en avortement dans les 99 « sujets prioritaires », les compétences essentielles qu’exige le Collège des médecins de famille du Canada des médecins qui débutent leur pratique familiale10. L’avortement comme choix est aussi absent dans les compétences attendues des résidents en gynécologie par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. L’avortement thérapeutique est mentionné indirectement plutôt que directement et n’est pas inclus dans la liste détaillée des compétences en interventions techniques requises. En ne traitant explicitement que les avortements au deuxième trimestre, le document sous-entend (sans le déclarer clairement) que la seule indication pour interrompre une grossesse est un résultat anormal au dépistage génétique prénatal11. Au nombre des compétences habilitantes établies pour les obstétriciens et les gynécologues du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada se trouve un énoncé qui semble éliminer la responsabilité directe pour la prestation des soins, et qui laisse entendre que le spécialiste n’est tenu que de rendre accessibles les soins médicaux nécessaires aux patientes même lorsque ces soins ne relèvent pas de sa responsabilité ou ne sont pas aisément accessibles dans la région (notamment, l’avortement thérapeutique)11.
Autrement dit, les organisations nationales qui orientent l’éducation des médecins ont permis que l’avortement thérapeutique disparaisse de la formation.
Les programmes de résidence en médecine familiale au pays n’incluent généralement pas de formation en avortement et des résidents ont signalé de façon anecdotique avoir eu de la difficulté à obtenir de la formation optionnelle en techniques d’avortement. Les facultés de médecine canadiennes établissent leur propre cursus et, par conséquent, la nature et le contenu de la formation prédoctorale entourant l’interruption des grossesses varient de l’une à l’autre. Les facultés pourraient très bien traiter du counseling, de l’évaluation, des compétences techniques et ainsi de suite. Par contre, elles aussi font l’objet de pressions implicites ou explicites visant à rendre l’avortement invisible. Une des facultés refuse de permettre qu’un enseignement très précis sur les choix en matière de reproduction soit enregistré, comme le sont tous les autres cours, prétextant que le contenu est trop délicat. Cette décision a été prise par la faculté plutôt que par le chargé de cours. En enregistrant les cours, la faculté assure que les étudiants aient accès à long terme aux connaissances disséminées. En omettant de le faire, l’information est limitée pour les futurs médecins.
Conclusion
L’avortement est sécuritaire, accessible et accepté comme étant l’option la plus humaine pour la femme, le fœtus et la société lorsqu’il s’agit de raisons centrées sur la médecine (p. ex. anomalies fœtales génétiques). Par ailleurs, il semble que nous revenions au silence en ce qui a trait à la formation, à la prestation des soins et à l’accès lorsque la motivation de la demande d’avortement est centrée sur la patiente plutôt que sur la médecine.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the April 2016 issue on page 297.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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