L’administration de divers anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) à des enfants a augmenté considérablement au cours des dernières décennies, en partie pour éviter l’acide acétylsalicylique (AAS), un des AINS qui a été associé avec le syndrome de Reye1–3.
La maladie respiratoire exacerbée par des AINS est une réaction d’hypersensibilité connue chez l’adulte2. Les AINS inhibent l’enzyme cyclooxygénase-1, causant une élévation du métabolisme de l’acide arachidonique et, en retour, une augmentation des niveaux de cystéinyl-leucotriènes pro-inflammatoires. Ce processus inflammatoire se traduit par une réduction des effets anti-inflammatoires des prostaglandines (p. ex. prostaglandine E2) et une bronchoconstriction1,3–7.
Dans la population adulte, la prévalence de la maladie respiratoire déclenchée par des AINS se situe entre 8 et 20 % chez les personnes exposées à un test de provocation par voie orale (TPO) et entre 3 et 5 % des patients qui signalent eux-mêmes avoir une telle réaction3–5,8. Selon une récente révision systématique, quelle que soit la méthode utilisée pour calculer la prévalence, celle-ci se situe à 7 % chez les adultes9. Szczeklik et ses collègues ont recueilli des données dans 10 pays européens au moyen d’un questionnaire et ont signalé une tendance progressive dans les symptômes. Chez 500 patients suivis pendant quelques années, ces symptômes ont fini par aboutir à une intolérance à l’AAS et aux AINS8. D’abord, une rhinite ou une congestion persistante apparaissait; l’asthme, l’intolérance à l’AAS et aux AINS, puis une polypose nasale ont été diagnostiqués par la suite. Seulement 6 % de ces patients avaient des antécédents familiaux d’intolérance à l’AAS. Selon un article rédigé par des experts membres du groupe de travail sur l’hypersensibilité aux AINS de l’European Academy of Allergy and Clinical Immunology, les manifestations aigües de la maladie respiratoire exacerbée par des AINS comprennent l’obstruction bronchique, la dyspnée, la congestion nasale et la rhinorrhée. Il est signalé que l’apparition peut être immédiate ou se produire quelques heures après l’ingestion5. Il est important de faire une anamnèse détaillée des antécédents d’hypersensibilité clinique, mais le critère standard de diagnostic d’une maladie respiratoire provoquée par des AINS demeure un TPO qui comporte l’administration d’une dose lentement augmentée d’AAS ou d’AINS pour voir si elle déclenche une réaction5,6,10.
Occurrence de la maladie respiratoire exacerbée par des AINS chez l’enfant
La maladie respiratoire exacerbée par des AINS n’a pas encore été clairement décrite pour les enfants et il est probable qu’elle soit différente chez les adultes1,11,12. D’abord, les enfants ont moins de problèmes concomitants précurseurs, comme la polypose nasale1,11. De plus, des manifestations cliniques aiguës, comme l’urticaire, l’œdème de Quincke, des bouffées vasomotrices et l’hypotension, ont été décrites dans des réactions semblables à celles de la maladie respiratoire déclenchée par des AINC durant l’enfance1,11.
L’examen des dossiers de 1298 enfants, fondé seulement sur l’anamnèse, fait valoir une prévalence de 2 % (IC à 95 % de 1,2 à 2,6 %), mais aucune définition d’une réaction positive n’a été fournie13. Ce rapport comportait comme limitations l’utilisation d’un regroupement de données provenant d’études hétérogènes sur les plans des populations, de la méthodologie et des paramètres cliniques.
Dans une récente étude rétrospective portant sur 10 adolescents ayant des antécédents de réactions aux AINS, un TPO a été effectué avec au moins 2 différents AINS pour confirmer la maladie respiratoire provoquée par ces AINS11. Une comorbidité avec une rhinosinusite chronique a été confirmée chez 2 participants; 5 participants avaient une réaction aux 2 AINS après exposition et au nombre de leurs symptômes figuraient une baisse du volume expiratoire forcé en 1 seconde (VEF1) de 15 à 57 %, la rhinorrhée, la dyspnée, la sibilance, l’œdème de Quincke, l’hypotension et des bouffées vasomotrices. Les participants avaient au départ des symptômes d’asthme de légers à modérés en comparaison avec un asthme sévère chez les adultes. La plupart des réactions étaient d’ordre cutané et incluaient de l’urticaire ou un œdème de Quincke, combiné à une altération des voies aériennes inférieures; chez les adultes, les symptômes cutanés sont rapportés comme étant isolés et atypiques. Le petit nombre de patients et l’exposition à des AINS différents rendent très difficile la généralisation de ces résultats.
Dans une révision systématique qui avait pour but de décrire la prévalence de la maladie respiratoire exacerbée par des AINS, on a fait la synthèse de 15 études sur des adultes et de 6 sur des enfants4. La prévalence combinée chez les adultes était de 21 % (IC à 95 % de 14 à 29 %). Trois études incluaient l’analyse de la réaction de sensibilité croisée à d’autres AINS parmi ceux qui avaient de l’asthme provoquée par l’AAS et démontraient une incidence regroupée de 98 % pour l’ibuprofène, 100 % pour le naproxène et 93 % pour le diclofénac. La sensibilité croisée à l’acétaminophène combinée n’était que de 7 % chez les personnes qui avaient subi le test de provocation par voie orale. Dans 6 études incluant des enfants de 9 à 13 ans, près de 200 enfants ont subi un TPO, et la prévalence signalée d’asthme provoqué par l’AAS était de 5 % (IC à 95 % de 0 à 14 %)4.
Une récente méta-analyse explorait la prévalence de la maladie respiratoire exacerbée par des AINS et la dose de provocation moyenne d’AAS nécessaire pour déclencher un problème respiratoire3. Parmi les 18 études, 14 portaient sur des adultes : 11 étaient des études observationnelles dans la population et 3 portaient sur la provocation par voie orale comportant diverses doses pour documenter une baisse dans le VEF1, ce dernier servant de paramètre de réaction respiratoire. La prévalence de réactions respiratoires dans les 14 études sur les adultes se situait à 9 % (IC à 95 % de 6 à 12 %) avec une dose de provocation moyenne de 85,5 mg d’AAS. Les résultats ont aussi révélé que ceux qui avaient une maladie respiratoire exacerbée par des AINS étaient 2 fois plus enclins à avoir de l’asthme non contrôlé que ceux dont l’asthme était tolérant aux AINS, notamment 60 % qui souffraient d’asthme plus sévère et exigeaient 80 % plus de visites à l’urgence. Quatre des études impliquant des doses de provocation portaient sur une population pédiatrique; elles n’étaient pas randomisées et ont été publiées durant les années 1970 et 1980. Ces études signalaient que la prévalence de la maladie respiratoire exacerbée par des AINS était de 11 % (IC à 95 % de 5 à 17 %). Une étude faisait valoir que des doses de provocation de 15 à 37,5 mg d’AAS déclenchaient des réactions14. Dans l’ensemble, les 4 études pédiatriques étaient considérablement hétérogènes; il y avait un biais d’échantillonnage parce qu’on a inclus des enfants ayant de l’asthme plus sévère et on a choisi l’AAS comme seul agent de provocation.
On ne compte qu’une seule étude randomisée à double insu, contre placebo et croisée dans la population pédiatrique; dans cette étude de 2005, des enfants de 6 à 8 ans souffrant d’asthme persistant de léger à modéré ont été exposés à la fois à de l’ibuprofène et à un placebo lors de 2 visites distinctes1. Les paramètres cliniques et les résultats de la spirométrie ont été consignés pour documenter un résultat primaire clairement défini de sensibilité à l’ibuprofène. Parmi les 100 enfants qui ont subi le test, 2 ont développé des bronchospasmes et connu des baisses du VEF1 de 35 % et de 25 % dans l’heure suivant l’ingestion d’ibuprofène. Les 2 enfants ont bien répondu à une thérapie à l’albutérol. Aucun autre symptôme n’a été signalé comme étant associé à la réaction. Les 2 patients ont été décrits comme ayant un asthme modéré et une rhinite allergique au point de départ, et ils n’avaient jamais été en contact avec de l’ibuprofène auparavant. Les auteurs ont fait valoir que la faible prévalence était peut-être attribuable à l’exclusion des enfants souffrant d’asthme sévère ou ayant eu antérieurement des réactions provoquées par des AINS.
Conclusion
Bien que la littérature médicale portant spécifiquement sur la maladie respiratoire déclenchée par des AINS chez les enfants ne soit pas abondante, il semble que cette réaction d’hypersensibilité se produise rarement dans cette population. La prévalence de la maladie respiratoire exacerbée par des AINS chez les enfants semble se situer entre 2 et 28 %. Les facteurs de risque associés à cette maladie chez les adultes, comme la rhinosinusite chronique, la polypose nasale et l’asthme plus sévère, ne sont pas des précurseurs courants chez les enfants qui ont développé des réactions aux AINS. En plus de causer un déclin de la fonction respiratoire, la maladie respiratoire exacerbée par des AINS pourrait se présenter chez les enfants avec plus de symptômes cutanés.
Dans l’ensemble, les enfants qui ont une réaction respiratoire connue aux AINS devraient éviter d’autres expositions aux produits associés aux AINS. S’ils n’ont pas de réactions connues, les enfants peuvent suivre la recommandation de prendre des AINS même s’ils font de l’asthme. Il faut user de plus de prudence avec les enfants qui souffrent de rhinosinusite chronique ou de polypose nasale et les surveiller de plus près.
Notes
PRETx
Cette Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Mme Sih est membre du programme PRETx et le Dr Goldman en est le directeur. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
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Footnotes
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