La fasciite plantaire (FP) est la cause la plus souvent rapportée de douleur sous le talon; sa prévalence varie en effet de 3,6 à 7 % dans la population générale1,2. Chez les coureurs, elle est l’une des blessures les plus fréquentes, comptant pour jusqu’à 8 % de toutes les blessures liées à la course3. Le terme fasciite, courant en littérature, est en fait impropre, puisque les études ont présenté des données probantes démontrant un processus pathologique dégénératif sans signe d’inflammation, ce qui donne à penser que les termes fasciose ou fasciopathie conviendraient mieux4.
L’aponévrose plantaire est une épaisse gaine de collagène de type 1 qui supporte la voûte plantaire du pied. Elle prend racine dans la tubérosité calcanéenne et s’insère dans la tête des métatarses5. Sa principale fonction consiste à supporter la voûte plantaire du pied et elle tient lieu de pont de tension, soutenant le pied en position stationnaire et absorbant les chocs durant le mouvement6. Tant chez les personnes actives que sédentaires, la FP serait causée par une station debout ou par la course prolongée entraînant la surutilisation biomécanique et causant des microdéchirures de l’enthèse calcanéenne (Figure 1)7.
Les options thérapeutiques pour la FP sont les infiltrations de stéroïdes, les orthèses, le port d’une attelle durant la nuit et les étirements. Bien que les symptômes disparaissent habituellement un an après leur apparition, sans égard au traitement, quelque 40 % des patients ressentent toujours des symptômes après 2 ans8. Cela fait ressortir le besoin de nouveaux traitements afin de mieux traiter la douleur et l’incapacité considérables associées à la FP. Un exemple de ces nouveaux traitements est le traitement par renforcement avec mise en charge. Ce traitement vise à faire travailler le tendon avec une forte charge de traction afin de stimuler la production de collagène et, en fin de compte, d’accélérer le rétablissement9. Le traitement par renforcement avec mise en charge s’est avéré prometteur dans le traitement d’autres troubles dégénératifs du tendon, comme la tendinopathie achilléenne et patellaire et, plus récemment la FP9. Chez les patients atteints de FP, il est possible d’appliquer une charge sur le tendon d’Achille conjointement avec la flexion dorsale de l’articulation métatarso-phalangienne (mécanisme du treuil) pour synergiquement appliquer une grande force de tension sur toute l’aponévrose plantaire (Figure 2)9.
Dans cet article, nous décrivons un programme de renforcement musculaire qui comprend des exercices progressifs contre résistance excentriques et concentriques pour le traitement de la FP. Alors que ce programme de renforcement peut être suivi simultanément avec d’autres traitements sur ordonnance contre la FP (p. ex. perte pondérale, autres types d’étirements, anti-inflammatoires non stéroïdiens et autres traitements mentionnés dans l’introduction), il peut aussi être un traitement unique pour traiter les symptômes de FP. Les exercices se font à domicile et nécessitent des articles habituellement trouvés à la maison.
Programme de renforcement musculaire
Ce programme de renforcement avec mise en charge a été proposé pour la première fois par Rathleff et collaborateurs9; il comprend des exercices concentriques et excentriques de soulèvement du talon pour traiter la FP. Nous avons cependant modifié certains aspects du programme afin d’en simplifier l’exécution en clinique ou à domicile (Figure 3)*. Afin d’accroître l’observance du traitement et de réduire le taux d’abandons, nous avons aussi créé une fiche de progrès sur laquelle les patients peuvent inscrire les exercices quotidiens exécutés (disponible sur CFPlus)*. Notre expérience nous a permis de constater que le protocole original était difficile à suivre et à comprendre pour les patients, particulièrement en raison du grand nombre de changements de séries d’exercices. En simplifiant le protocole, nous avons constaté que les patients observaient mieux le traitement et que l’efficacité thérapeutique s’en trouvait améliorée.
Nous recommandons de faire les exercices suivants tous les jours pendant 3 mois au minimum ou jusqu’à disparition de la douleur (Figure 3). Des articles antérieurs ont recommandé d’utiliser une serviette pour agripper les orteils9. Selon notre expérience cependant, la serviette n’est pas idéale pour agripper les orteils en raison de son épaisseur. Il vaut mieux utiliser un T-shirt en coton roulé, qui a aussi l’avantage d’être facilement manipulé en fonction de la stature individuelle du patient, de par sa nature flexible (Figure 4).
Discussion
Le protocole de ce schéma thérapeutique s’explique ainsi : on stimule la synthèse du collagène en faisant travailler l’aponévrose plantaire avec des exercices excentriques et concentriques progressifs contre résistance (à l’aide du mécanisme du treuil, en association avec l’application de charge sur le tendon d’Achille). Les fibres de collagène de type 1, qui constituent l’aponévrose plantaire, répondent à la forte tension en synthétisant plus de collagène10. Chez les patients souffrant de FP, cela pourrait guérir les modifications dégénératives observées dans l’enthèse de l’aponévrose plantaire, favorisant une structure normalisée du tendon, moins de douleur et, en fin de compte, de meilleurs résultats chez le patient. Le potentiel d’augmenter la force de dorsiflexion de la cheville est un autre bienfait observé chez les personnes qui ont participé à ce protocole9. Cela renverse le déclin typique de la force de dorsiflexion dans la cheville observé dans les cas de FP11.
Limites et orientations futures
Une difficulté à laquelle se heurte le traitement optimal de la FP est la confusion qui règne actuellement en matière de physiopathologie de cette affection12. On n’a pas encore établi avec certitude si la FP découle d’un processus inflammatoire ou dégénératif, ce qui explique pourquoi les traitements actuels (p. ex. infiltrations de stéroïdes) ne sont pas aussi efficaces que prévu12. En outre, puisque la FP est diagnostiquée principalement en fonction de l’anamnèse et du déclenchement de douleur sur l’aspect plantaire du talon, plus d’investigations sont nécessaires pour déterminer s’il existe différentes sous-populations de patients souffrant de FP (p. ex. la rupture de l’aponévrose plantaire pourrait présenter des symptômes semblables, mais une investigation par imagerie par résonance magnétique est nécessaire pour poser un diagnostic)13. Cela expliquerait l’efficacité variable des divers traitements et éclaircirait le débat actuel sur la physiopathologie de la FP.
Malgré l’efficacité de ce protocole dans le cadre d’études antérieures et dans notre pratique, comparativement à d’autres paradigmes thérapeutiques9,10, les symptômes pourraient persister chez une petite population de patients après la fin du protocole. Il s’agit d’une observation faite dans la plupart des traitements de la FP, et elle est normale. Si les symptômes persistent au-delà de 6 mois sous ce protocole thérapeutique, le patient doit consulter son médecin de famille afin d’explorer d’autres options thérapeutiques.
Conclusion
Nous avons présenté un protocole thérapeutique déjà validé pour la FP, avec modifications dans le but d’en optimiser l’efficacité et les résultats chez les patients atteints de FP. Le schéma de renforcement avec mise en charge que nous avons présenté est peu coûteux et, selon notre expérience, très efficace pour traiter les symptômes de FP. Il répond aussi au grand nombre de patients qui continuent de présenter des symptômes de FP malgré les traitements classiques. Finalement, il importe que les patients observent le paradigme thérapeutique et qu’ils aient une certaine tolérance de la douleur. Ils doivent être informés de l’exacerbation de la douleur durant les exercices; ils doivent recevoir de la documentation leur permettant de suivre le protocole du programme en toute sécurité à domicile et de faire un suivi de leur routine d’exercices (CFPlus)*.
Notes
Nous encourageons les lecteurs à nous faire connaître certaines de leurs expériences vécues dans la pratique : ces trucs simples qui permettent de résoudre des situations cliniques difficiles. Vous pouvez proposer en ligne des articles dans Praxis à http://mc.manuscriptcentral.com/cfp ou par l’intermédiaire du site web du MFC à www.cfp.ca sous « Authors and Reviewers ».
Footnotes
↵* La Figure 3 facile à imprimer en français, de même qu’une fiche de progrès en anglais sont disponibles pour les patients afin de faire le suivi des exercices de soulèvement du talon sur www.cfp.ca. Cliquer sur Full text (texte intégral) sous l’article en ligne, puis cliquer sur l’onglet CFPlus.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, rendez-vous sur www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2018 issue on page 44.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada