Un médecin de famille de 67 ans a récemment pris sa retraite d’une pratique rurale et est déménagée dans un centre urbain. Elle était reconnue par ses pairs pour sa compétence, son professionnalisme et son sens de l’éthique. Elle se spécialisait particulièrement en soins palliatifs. Peu après avoir pris sa retraite, elle a tragiquement reçu un diagnostic de carcinome. Comme tant d’autres, elle n’a pas pu avoir accès à un médecin de famille après son congé de l’hôpital et son suivi à domicile devait être assuré par une clinique communautaire locale.
Malheureusement, la dernière ronde de restructuration des soins de santé s’était soldée par la fermeture de la division des soins palliatifs à domicile. On s’attendait à ce que les infirmières de la clinique communautaire coordonnent les soins aux patients en consultant le seul médecin de la clinique et l’oncologue de l’hôpital, qui n’avaient ni l’un ni l’autre assez de temps ou d’expertise pour de telles consultations.
Quelques mois plus tard, la douleur et la nausée de la patiente étaient difficiles à contrôler. Déterminée à rester à la maison aussi longtemps que possible, elle a commencé à rédiger des ordonnances pour elle-même et à titrer les doses pour prendre en charge ses symptômes le plus efficacement possible. Comprenant les risques de l’automédication, elle était disposée à être transférée à l’hôpital aussitôt que l’infirmière jugerait que cette approche comportait un risque réel. L’infirmière et le pharmacien ont refusé toute implication dans les activités du médecin. Le médecin de la clinique et l’oncologue se sentaient tous 2 mal à l’aise de contresigner ses prescriptions. On a informé la patiente que son seul choix, c’était sa réadmission à l’hôpital.
Les médecins ne devraient pas être leur propre médecin. C’est une bonne règle, autant qu’elles peuvent l’être. La question n’est pas la règle elle-même, mais plutôt le manque d’égard à des exceptions justifiables sur le plan de l’éthique. Les exceptions actuellement acceptées sont-elles assez larges, assez nuancées et assez précises pour protéger les intérêts des patients médecins à titre individuel? Les intérêts supérieurs de cette patiente médecin seraient-ils protégés par la règle?
De nombreuses règles ont pour but premier de protéger les intérêts supérieurs d’un groupe de personnes. Un médecin malade, par contre, est un individu et non la représentation statistique d’un collectif. Le médecin n’a-t-il pas droit de défendre sa propre cause, ses intérêts supérieurs, comme il le ferait pour n’importe lequel de ses autres patients? Y a-t-il des circonstances spéciales dans lesquelles les meilleurs soins que pourrait recevoir le patient médecin proviendraient, en réalité, de lui-même ou d’elle-même? La règle prévoit-elle actuellement ces situations particulières? Existe-t-il un mécanisme assez flexible pour permettre une étude judicieuse des revendications légitimes d’exceptions à la règle?
Quelles sont la morbidité et la mortalité de ce médecin associées à la conformité à la règle telle qu’elle est? Il est intéressant de constater que la question est rarement soulevée et, par conséquent, il existe peu de données pour nous aider à y répondre. Sans ces données, la mesure de l’éthique est unilatérale.
La théorie par rapport à la réalité
Tous les patients ont droit à un accès raisonnable à des soins compétents en temps opportun. Les patients médecins n’ont-ils pas droit à ce même accès? Quand les médecins ne peuvent pas accéder raisonnablement à de tels soins, est-il déontologique de leur interdire d’essayer de combler les lacunes du système? Le système peut-il appliquer la règle catégoriquement et, en même temps, éviscérer les concepts sociaux qui rendent la règle soutenable?
Dans leur ouvrage inspirant, The Abuse of Casuistry, Jonsen et Toulmin soutiennent que nous devrions prendre garde à la tyrannie des absolus1. Les règles sont conçues pour servir l’humanité. Paradoxalement, lorsque les règles sont appliquées hors contexte et sans considération suffisante aux exceptions justifiables, des personnes sont parfois sacrifiées au nom de la règle-même qui a été conçue pour les protéger. Est-ce éthique?
Des données récentes font valoir qu’un nombre considérable de médecins se traitent eux-mêmes. Pourquoi donc? Est-ce parce que nous sommes paresseux, arrogants, sans questionnement ou jugement? Ignorent-ils les risques de se traiter eux-mêmes? Les pourcentages de cas dans lesquels les médecins se traitent eux-mêmes représentent-ils des cas d’autotraitement inapproprié et dangereux ou s’agit-il d’exceptions déontologiquement justifiables?
Une règle qui ne reflète pas de manière sensée les réalités cliniques et ses exceptions justifiables risque de devenir dépourvue de pertinence. Si les infractions à la règle sont si fréquentes que certaines données le laissent entendre, le problème se situe-t-il dans le grand nombre de médecins qui ne s’y conforment pas ou encore dans la façon dont la règle est présentement formulée?
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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Les exceptions actuellement acceptées à la règle selon laquelle les médecins ne devraient pas se traiter eux-mêmes sont-elles assez larges, assez nuancées et assez précises pour bien protéger les intérêts des patients médecins à titre individuel?
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Des données récentes font valoir qu’un grand nombre de médecins se traitent eux-mêmes. Les taux plus bas de morbidité et de mortalité des médecins sont-ils associés avec la conformité à la règle interdisant l’autotraitement telle qu’elle est maintenant? La question est rarement soulevée et, par conséquent, peu de données existent pour nous aider à y répondre.
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Si les infractions à la règle sont si fréquentes que certaines données le laissent entendre, le problème se situe-t-il dans le grand nombre de médecins qui ne s’y conforment pas ou encore dans la façon dont la règle est présentement formulée?
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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