En 2009, IMS Health publiait un portrait statistique des 10 principales raisons motivant la visite des patients à leur médecin de famille et à d’autres spécialistes1. Au deuxième rang des motifs après les visites pour l’hypertension venaient les visites au médecin de famille pour un «examen médical général», représentant 10,5 millions de visites par année. Présumant une rémunération à l’acte et tenant compte du fait que l’examen médical de routine (aussi connu sous le nom d’examen physique annuel ou examen médical périodique [EMP]) dure en moyenne le double du temps accordé à un rendez-vous normal, cela équivaut à environ 21,4 millions de visites par année, coûtant 2 milliards de dollars en frais de consultation seulement. Si l’on y ajoute les dépenses pour tous les tests inutiles, les investigations et les rappels, j’estime que les coûts totaux sont bien plus importants. Je crois que le régime d’assurance-santé canadien ne peut plus soutenir cette pratique à usage intensif de ressources, non fondée sur des données probantes.
Désuet
Par tradition, l’examen médical annuel est un examen généralisé de la tête aux pieds, accompagné d’une investigation multiphasique complète et de dépistages en laboratoire. L’origine de l’examen physique annuel remonte à 1861, lorsque des facteurs économiques étaient la principale force de motivation de sa continuation2. Durant les années 1970 et 1980, le Groupe d’étude canadien sur l’examen médical périodique et le Preventive Services Task Force des États-Unis recommandaient tous 2 l’abandon de l’examen systémique complet en faveur d’interventions de recherche de cas durant les visites normales. Il est possible de prévoir des soins préventifs appropriés, fondés sur des données probantes, durant les consultations habituelles, en particulier avec l’informatisation grandissante des pratiques.
Les efforts pour rationaliser les évaluations de santé3 et se concentrer sur les interventions fondées sur la médecine factuelle dont l’efficacité est éprouvée, tout en améliorant la prestation de certains des services recommandés, n’ont pas réussi à mettre un terme aux examens annuels de la tête aux pieds et aux tests multiphasiques non fondés sur des données scientifiques. Essentiellement, il n’y a pas de différence entre un examen physique annuel et l’EMP, sauf dans la terminologie. Les patients et les médecins l’appellent encore l’examen physique annuel et les 2 tiers d’entre eux croient encore qu’il comporte un examen de la tête aux pieds et des tests multiphasiques4,5. Je vois souvent des analyses non recommandées, comme la formule sanguine, la fonction hépatique, la thyréostimuline, la vitamine B12 et même le Rapport international normalisé et la troponine, systématiquement prescrites pour des personnes en santé.
Meilleure utilisation des ressources
Il est particulièrement important de signaler que les patients qui consultent déjà régulièrement leur médecin de famille, et même les patients qui font 4 visites prolongées par année pour maladie chronique, sont aussi ceux qui sont les plus enclins à prendre un rendezvous consacré à l’EMP. Il n’est pas démontré de manière convaincante qu’un rendez-vous consacré à l’EMP au lieu d’interventions de recherche de cas durant les visites habituelles donne de meilleurs résultats sur le plan de la santé ni que ceux qui respectent ce rituel annuel sont plus en santé ou ont un taux de morbidité et de mortalité moins élevé que ceux qui ne le font pas. De fait, il y a assez de données probantes pour démontrer que plusieurs des investigations effectuées durant l’EMP pourraient être dommageables et ne pas être dans l’intérêt supérieur du patient6. Promouvoir la santé des patients inclut de ne pas les soumettre à des interventions médicales inutiles, et le Code de déontologie de l’AMC7 et les 4 principes de la médecine familiale8 du Collège des médecins de famille du Canada mentionnent la responsabilité qu’ont les médecins d’utiliser judicieusement les ressources de la santé.
Il émerge une tendance inquiétante selon laquelle des pratiques offrent un meilleur accès et plus de services en échange de frais annuels d’utilisateur. L’une des pierres angulaires des «soins améliorés» qu’offrent ces pratiques est une évaluation complète de la santé que l’on prétend fondée sur des données probantes. Ces évaluations peuvent prendre de 3 heures à 3 jours et incluent des investigations non fondées sur la médecine factuelle, comme une tomodensitométrie complète du corps, qui peut être plus dommageable que bénéfique9.
L’un des principaux arguments en faveur des EMP se situe dans la probabilité plus grande que les services de soins préventifs soient fournis durant une visite prévue à cet effet10. Avec l’informatisation des pratiques médicales, il ne devrait pas être difficile de prévoir des soins préventifs à intervalles appropriées et durant les visites normales. Une part importante de l’argent des contribuables est dépensée pour les dossiers médicaux électroniques et le public demande déjà un retour sur ses investissements. Essentiellement, chaque visite pour soins aigus devrait comporter une composante de soins préventifs.
Tandis que les médecins passent une grande partie de leur temps à effectuer des EMP, les gouvernements provinciaux doivent se fier davantage aux infirmières praticiennes, aux pharmaciens et à d’autres professionnels de la santé pour donner les soins aigus à ceux qui en ont besoin. Les urgences sont remplies de patients qui seraient mieux desservis par des médecins de famille, et la plupart de ces patients ne reçoivent aucun soin préventif.
Les organismes provinciaux de financement doivent arrêter de payer pour des rendez-vous consacrés à l’EMP et rediriger ces fonds vers les pratiques de soins primaires qui absorbent de nouveaux patients, offrant aux patients leur «medical home», qui utilisent leurs dossiers médicaux électroniques pour prévoir des soins préventifs fondés sur des données probantes à intervalles appropriés et dans le contexte des visites normales en soins aigus. Les 21,4 millions de rendez-vous additionnels par année contribueraient substantiellement à offrir à tous les Canadiens un médecin de famille et un «chez-soi» médical, et à réduire certaines des pressions exercées sur les services d’urgence.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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Il n’y a pas de données convaincantes à l’effet qu’un rendez-vous consacré à l’examen médical périodique (EMP) au lieu d’interventions de recherche de cas durant les visites normales donne de meilleurs résultats sur le plan de la santé.
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Les 10,5 millions d’EMP effectués chaque année au Canada coûtent plus de 2 milliards de dollars au régime de santé.
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Avec l’implantation des dossiers médicaux électroniques dans la majorité des pratiques, il ne devrait pas être difficile de prévoir les soins préventifs nécessaires à intervalles appropriés et durant les visites de soins aigus.
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L’élimination des rendez-vous pour un EMP libérerait du temps pour permettre à plus de Canadiens d’accéder à un médecin de famille et réduirait les pressions sur les services d’urgence.
Footnotes
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Cet article se trouve aussi en français à la page 158.
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Les parties à ce débat contestent les arguments de leur opposant dans des réfutations accessibles à www.cfp.ca. Participez à la discussion en cliquant sur Rapid Responses.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Références
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