Plusieurs médecins continuent d’exercer la médecine même en ayant passé l’âge habituel de la retraite. Selon le plus récent sondage national canadien1 3100 médecins de famille ayant plus de 65 ans exercent encore; ils représentent 9 % des 34 500 médecins de famille recensés au Canada. Qui plus est, la plupart pratiquent à temps plein.1 Parmi eux, on compte plusieurs octogénaires et nonagénaires. Par exemple, au Québec, une trentaine de médecins de famille ayant plus de 80 ans pratiquent encore et l’un d’eux a même plus de 95 ans!2
De tels chiffres laissent perplexe et soulèvent la question suivante: les médecins de famille âgés devraient-ils songer à prendre éventuellement leur retraite? Or, il est fort mal vu d’émettre de tels commentaires de nos jours. Quiconque aborde la question de la retraite des médecins risque d’être taxé d’âgisme. C’est un sujet tabou qu’il est préférable d’éviter. Pourtant, il existe plusieurs bonnes raisons pour qu’un médecin de famille songe à prendre sa retraite.
Parce qu’il nous faudra bien la prendre un jour ou l’autre
Je pense avoir beaucoup reçu et aussi beaucoup donné. Mais je pense que c’est le moment d’accrocher mon stéthoscope. Je pourrai toujours mettre les lettres MD après mon nom mais mon prénom ne sera probablement plus toujours ¨Docteur¨. Quant à mon espérance de vie, je ne souhaite pas vivre vieux plus longtemps mais vivre plus jeune longtemps. Je vois cela comme le passage d’une expérience de vie positive à une autre et non comme la dernière étape avant la mort.3
Parce qu’au-delà de notre travail, il y a une vie à vivre
Notre espérance de vie a augmenté et la plupart d’entre nous passerons le dernier quart de notre vie en bonne forme4. La retraite est mieux acceptée par ceux qui ont la possibilité d’en déterminer la date. Il est utile d’avoir des centres d’intérêt, des amis sympathiques, un animal de compagnie, des activités sociales et caritatives, et de faire du sport et on devrait commencer avant la retraite idéalement. La retraite devrait être progressive4.
Parce qu’en vieillissent, nous en reperdons inexorablement
En vieillissant, nous perdons des forces et de la vitalité; c’est dans l’ordre des choses. Une personne âgée ne court plus aussi vite, ne saute plus aussi haut, n’a plus l’énergie qu’elle avait 20 ou 25 ans plus tôt. Comment pourrait-il en être autrement pour les fonctions mentales supérieures, la mémoire, la capacité d’apprentissage et le raisonnement clinique? Certains croient que l’expérience acquise au cours des années permet de pallier à tout. Voyons donc! Certes, l’expérience que nous avons acquise peut nous servir à reconnaître et à gérer les situations cliniques que nous avons déjà vécues, mais il en va tout autrement pour les situations complexes. Plusieurs études ont montré le déclin des processus cognitifs survenant avec l’âge5. Des données récentes, issues des visites d’inspection professionnelles du Collège des médecins du Québec, révèlent qu’il existe une relation entre la formation continue et la qualité de l’exercice. Malheureusement, le taux d’activités de développement professionnel continu diminue avec l’âge.6
Parce que nous ne sommes pas éternels!
Contrairement à la population générale qui prend sa retraite autour de 60 et 65 ans,7 les médecins, n’ayant aucune contrainte à ce chapitre, ont tendance à la prendre plus tardivement. Par exemple, selon les données du Collège des médecins du Québec, les omnipraticiens se retirent vers l’âge de 68 ans alors que les spécialistes attendent d’avoir 72 ans. Or, toujours selon les données consignées par le même organisme, les omnipraticiens meurent en moyenne vers 74 ans et les spécialistes vers 78 ans, soit 6 ans après la retraite. Comme on le voit, la retraite est bien éphémère. C’est un phénomène pour le moins inquiétant qui nous amène à méditer sur cette phrase célèbre de Georges Clemenceau: « Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, qui ont tous été remplacés. »
Parce qu’il est souvent difficile de concilier travail et vieillesse
Une demande de réduction d’activités au sein d’un groupe est souvent mal reçue: « Et si tout le monde voulait cela aujourd’hui ? » Pourtant il y aurait avantage: la rétention, le report de la retraite, l’arrivée de nouveaux8. Il y a chez les jeunes médecins un sentiment qu’ils sont réellement les supporteurs des vieux médecins. Maintenir les services d’un médecin senior est parfois plus un fardeau qu’un bénéfice3.
Parce que la retraite peut être un moment heureux
Paradoxalement, alors même que les médecins ont tendance à prendre leur retraite tardivement, plusieurs rapports indiquent qu’ils sont heureux une fois qu’ils y sont. Selon une enquête réalisée aux États-Unis en 2003 auprès de 1834 médecins retraités et leurs conjoint(e)s, la plupart se sont dit heureux, le niveau de satisfaction face à la vie étant de 88 % pour les médecins retraités et leur conjoint(e)s9. Une autre étude américaine publiée en 2001 révèle que la plupart se disent heureux à la retraite; de plus, l’état de santé des médecins peut s’améliorer à la retraite, la plupart des relations entre conjoints s’améliore au lieu de se détériorer et le tiers des médecins affirment que les années de retraite sont les meilleures de leur vie10.
Parce que l’heure est arrivée
Y a-t-il un âge pour la retraite chez les médecins? Certains pays ont aboli la loi obligeant les médecins à prendre leur retraite en raison du manque de médecins en région rurale et dans les petites villes11. On parle de manque de médecins de famille, mais en même temps on est témoin d’une perception de diminution de services et d’accès due en partie à une demande accrue pour les nouvelles technologies et à l’intensité des soins12.
J’occupe encore une place privilégiée au sein de deux équipes, mais je commence à penser que je dois céder ma place et permettre à un jeune médecin de parcourir le merveilleux chemin qu’a été ma vie professionnelle. En demeurant en place avec le pouvoir que nous, les vieux médecins de famille, détenons, nous empêchons les changements heureux et bénéfiques à tous, à notre milieu de travail, à nos patients et à nos partenaires de travail. Parfois, des intérêts personnels et même des conflits d’intérêts empêchent l’évolution du milieu de travail. Certains ont même des avantages monétaires et autres au-delà des services rendus au groupe. Il faut être honnête et savoir céder notre place. Et si on ne trouve pas de médecins pour prendre en charge nos patients lorsque nous voulons quitter, il suffit seulement de s’y prendre d’avance.
C’est un deuil à faire car nous les médecins de famille de mon âge nous avons tellement investi, tellement donné. Mais dans mon cas, je gagne déjà. Je garderai mon prénom de « Docteur » et je continuerai de signer mon nom en ajoutant MD.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
-
La retraite représente le dernier quart de notre vie et cela nous appartient.
-
L’âge amène une diminution de nos capacités tant physiques qu’intellectuelles. Nous devons quitter avant que les problèmes de santé ou de compétence ne surviennent.
-
Quitter, c’est ouvrir la voie à de nouveaux venus qui sauront prendre la relève en y apportant renouveau et actualisation.
Footnotes
-
This article is also in English on page 22.
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
-
Les parties à ce débat contestent les arguments de leur opposant dans des réfutations accessibles à www.cfp.ca. Participez à la discussion en cliquant sur Rapid Responses.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada