Lorsqu’on est bloqué face à l’écriture, il faut écrire en débloquant sa pensée.
John Rogers (Traduction libre)
Les médecins de famille en milieu universitaire ont souvent de la difficulté à écrire à des fins de publication. Bien qu’il y ait de nombreux auteurs proli fiques en médecine familiale, d’autres collègues trouvent que la rédaction pose un véritable défi. Cette situation leur nuit non seulement dans leurs demandes de promotion et de titres de compétence, mais elle a aussi des répercussions bien plus larges sur la discipline de la médecine familiale. Les médecins de famille dans notre établissement, la Memorial University of Newfoundland à St John’s, sont dévoués à la pratique et à l’enseignement, mais ils forment aussi un groupe dynamique et créatif qui a instauré des initiatives éducatives à la fois au sein de la Faculté de médecine de la Memorial University et pour l’ensemble de la discipline de la médecine familiale1. Les initiatives élaborées localement sont devenues partie intégrante des programmes d’enseignement à notre université et en pratique clinique, mais elles n’ont pas encore été communiquées scientifiquement à d’autres publics, notamment par des publications.
Peut-être qu’à l’instar du roi George VI, dont l’accession au trône a été troublée par un grave problème d’élocution, les médecins de famille universitaires bégaient dans leur écriture et n’ont donc pas de «voix». Cette hésitation est principalement attribuable à leur manque de confiance, d’habileté et de temps, ainsi qu’à la crainte du rejet de leurs travaux. Qu’importe la cause, cette limitation est un obstacle important à l’avancement de la carrière personnelle et à la croissance de la médecine familiale universitaire dans son ensemble.
Traditionnellement, les médecins de famille doivent à leurs compétences en enseignement clinique leur nomination à des postes au sein du corps professoral universitaire, plutôt qu’à leurs compétences en recherche ou en rédaction. La situation diffère d’une université à l’autre et elle a aussi changé tout récemment avec le resserrement des critères imposés aux titulaires d’un poste de professeur à temps plein. Malgré tout, il y a encore de nombreux médecins de famille universitaires dépourvus de solides compétences en rédaction. Les tentatives de décortiquer comment on perçoit l’érudition, en particulier la rédaction scientifique, se soldent souvent par un aveu ouvert du corps professoral de sa vulnérabilité dans ce domaine. Les enseignants révèlent que leur manque d’habiletés, leurs craintes, et leur incapacité de trouver du temps dans un milieu clinique et d’enseignement très occupé représentent leurs plus grands obstacles. Même si nous avons une certaine compréhension des raisons pour lesquelles les médecins de famille universitaires ne font pas beaucoup de rédaction, les pratiques exemplaires et les stratégies pour surmonter cette réticence n’ont pas encore été complètement explorées.
Plusieurs initiatives canadiennes ont été mises en place dans le domaine de la rédaction, notamment des groupes de soutien par des pairs en écriture2, des programmes de perfectionnement des compétences en recherche avec des médecins de famille dans la communauté3 et des groupes d’entraide en formation4. Des programmes de bourses d’études ont été créés à l’intention du corps professoral en médecine et d’importantes mesures d’appui sont en place pour l’obtention de diplômes de maîtrise pendant le travail ou un congé sabbatique. Il a été démontré que toutes ces mesures ont eu certains effets positifs; par ailleurs, il n’existe pas beaucoup d’ouvrages publiés sur les façons d’aider les enseignants dans leurs efforts pour écrire en vue d’être publiés. Notre question était la suivante: «Comment pouvons-nous répondre efficacement aux besoins de formation en rédaction à des fins de publication des médecins de famille universitaires qui sont débordés de travail?»
Programme de perfectionnement en rédaction
À la Memorial University, nous avons entrepris une évaluation à multiples facettes des besoins qui a permis à notre équipe de cibler nos efforts de perfectionnement professoral.
Nous avons commencé par identifier les compétences de base en recherche exigées des médecins de famille universitaires en tenant des discussions formelles avec un groupe de chercheurs experts et expérimentés en médecine familiale. La liste des sujets qui en a découlé a été distribuée par courriel à tous les membres du corps professoral en médecine familiale. Nous leur avons demandé de réfléchir à leurs besoins actuels en formation en ce qui a trait à la réalisation de travaux de recherche scientifique et à leur diffusion. Ils étaient appelés à classer par ordre de priorité les sujets les plus pertinents à leurs propres besoins d’apprentissage. Cette liste a été distribuée simultanément à un groupe national d’érudits en médecine familiale reconnus dans le but d’obtenir leurs commentaires.
Par la suite, 2 bibliothécaires ont entrepris une recherche documentaire systématique et ont cerné 37 articles pertinents. Les renseignements recueillis dans la recherche documentaire et auprès des érudits et du corps professoral ont servi à peaufiner la liste des sujets prioritaires.
La rédaction à des fins de publication a été identifiée comme la première priorité, tant par les experts de l’extérieur que par les enseignants participants. Nous avons élaboré un programme de perfectionnement professoral en rédaction, conçu pour surmonter les obstacles associés à l’écriture. Le cursus reposait sur diverses stratégies:
des «interventions de 5 minutes» ou un «blitz de rédaction» pour déclencher l’imagination des enseignants à propos d’idées de recherche et d’écriture;
un atelier sur la rédaction;
la visite du rédacteur en chef d’une revue qui a offert un soutien et des conseils individualisés aux enseignants intéressés;
des consultations individuelles avec des chercheurs expérimentés au sein du corps professoral.
Tous les aspects du cursus ont fait l’objet d’une évaluation au moyen d’un questionnaire pour déterminer le degré de confiance, de connaissance et de satisfaction des membres du corps professoral à mesure qu’ils progressaient dans le programme. Nous demandions aussi aux enseignants d’indiquer quels étaient les aspects les plus et les moins efficaces de chaque séance, ainsi que les sujets connexes susceptibles de les intéresser. Chaque étape d’un processus itératif reposait sur ces résultats.
Même si ce programme n’en était qu’à ses tout débuts, l’approche a suscité une rétroaction positive du corps professoral. Il se dégageait un engagement évident et rafraîchissant chez les enseignants participants à l’endroit du processus. Les enseignants se sentaient à la fois stimulés et encouragés dans leur rédaction, ce qui n’était pas le cas auparavant et représentait un obstacle majeur. Les taux élevés d’assiduité du corps professoral aux séances de rédaction ont attesté de cette implication. En dépit de cette réussite, nous avons quand même eu de la difficulté à surmonter adéquatement les autres obstacles que nos enseignants en région ont rencontrés en raison de leur éloignement de la faculté de médecine. Leur participation s’est révélée limitée.
Quels sont les critères d’une réussite à long terme? Il faudra évidemment du temps pour les définir. Au cours des 3 à 5 prochaines années, nous avons l’intention de dresser la liste des projets de rédaction actifs, des demandes de subventions, des présentations orales, des affiches, des ateliers à des réunions scientifiques et des publications à titre de paramètres clés pour mesurer les résultats de cette initiative pédagogique.
Quelque 18 mois après la mise en œuvre du programme, nous avons constaté une augmentation des activités de rédaction au sein de notre corps professoral, notamment des articles quotidiens dans des revues, une hausse des demandes de subventions et une plus grande acceptation d’articles dans des revues révisées par des pairs. Nous ne pouvons pas savoir avec certitude si cette hausse est attribuable à notre initiative de perfectionnement professoral en rédaction à des fins de publication. On a signalé une moins grande réticence et une plus grande confiance à l’égard de l’écriture, 2 indicateurs d’un corps professoral engagé.
Conclusion
Les médecins de famille ont d’importantes contributions à apporter à la discipline de la médecine familiale, à l’éducation médicale, aux services de santé et aux soins primaires en constante évolution. Ces contributions peuvent se faire par la dissémination de leurs idées et un engagement actif dans l’érudition. Les habiletés en rédaction donnent aux médecins de famille la capacité de communiquer leurs idées et de les façonner à la suite de dialogues avec d’autres. Cette démarche améliore la compréhension de leurs patients et de leurs communautés, ce qui, en retour, les habilite en tant que cliniciens enseignants et modèles à imiter, et contribue davantage au façonnement de la discipline de la médecine familiale. Cette initiative de perfectionnement professoral a connu une certaine réussite dans ce contexte. Les médecins de famille universitaires à la Memorial University trouvent leur voix.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une revision par des pairs
This article is also in English on page 1067.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada
Références
- 1.
- 2.
- 3.
- 4.