La douleur chronique est un problème rencontré fréquemment en pratique générale. La douleur est une priorité mondiale en santé publique et on peut la qualifier de chronique si elle a été ressentie quotidiennement pendant 3 mois au cours des 6 mois précédents1. En 2007, la douleur chronique touchait 3,2 millions d’Australiens et représentait des coûts estimés à 34,3 millions de dollars australiens (AUD), soit environ 10 847 $ AUD par personne atteinte de douleur chronique2. Les données nord-américaines sont tout aussi étonnantes. Le Canada connaît une épidémie silencieuse de personnes souffrant de douleur chronique, selon un exposé présenté au Parlement sur la situation à cet égard au pays3.
Les omnipraticiens sont encouragés à utiliser une approche en équipe et un modèle psychosocial dans le traitement de la douleur chronique4–6. Toutefois, il est nécessaire d’améliorer la coordination des soins7 et les relations thérapeutiques8. Le chaînon manquant pourrait bien être un « pair consultant », qui ferait partie de l’équipe multidisciplinaire dans la communauté.
Les pairs consultants et les données probantes actuelles
L’importance du soutien par les pairs est reconnue mondialement et le Canada s’est même doté de normes pour l’accréditation et la certification du soutien par les pairs en milieu de santé mentale9.
On peut désigner comme pair consultant une personne qui a vécu avec la douleur chronique, a retrouvé sa qualité de vie et a exprimé le désir d’aider les autres. La documentation scientifique actuelle fait valoir que les pairs consultants trouvent un sens à leur vie et établissent des connexions dans leurs interventions pour aider autrui, et pourraient connaître une réduction de leur incapacité et de l’intensité de leur douleur sans qu’ils ne signalent que le bénévolat leur cause un préjudice ou un risque accru d’exacerbation de la douleur10.
Une récente révision des méthodes disponibles pour traiter la douleur chronique en soins primaires recommandait qu’on étudie davantage les « interventions à un niveau novateur du système »11. L’étude que proposaient les auteurs, portant sur la participation de pairs consultants dans la prise en charge de la douleur, appartient à cette catégorie. La consultation auprès d’un pair pourrait aussi être qualifiée de forme de « divulgation émotionnelle » qui est une intervention psychosociale reconnue pour la prise en charge de la douleur chronique12.
De récentes données probantes font valoir que l’initiative personnelle avec l’aide d’Internet aurait certains effets bénéfiques pour la douleur chronique13. Le recours à un pair consultant pourrait être catégorisé comme étant « une initiative personnelle guidée ». L’éducation interactive et la liberté d’expression peuvent influer favorablement sur le fonctionnement des participants et leurs connaissances à propos de la douleur14.
L’impression d’une personne que les autres ne comprennent pas le degré de douleur qu’elle subi peut avoir des conséquences nuisibles pour son identité. Il peut s’ensuivre une perte de relations (possiblement initiée par elle-même) et cette situation peut engendrer l’isolement, la culpabilité, la dépression et la colère15. Ces conclusions concordent avec les résultats d’une étude sur l’analgésie par placebo dans laquelle des données d’imagerie faisaient état d’une modulation endogène de la douleur déclenchée cognitivement lorsque les personnes croyaient avoir reçu un médicament ou un traitement contre la douleur16. Cet effet est aussi démontré par des données probantes émergentes favorisant les thérapies centrées sur le biochamp, comme le toucher thérapeutique17.
La douleur chronique et la cognition
La relation entre la douleur et la cognition est complexe. La douleur a un effet négatif sur la concentration et le rendement cognitif; par contre, le rendement cognitif peut moduler la douleur et a un potentiel thérapeutique considérable18. Par exemple, depuis les 2 dernières décennies, on discute dans les ouvrages scientifiques du rôle de l’hypnose, et certaines données probantes confirment son efficacité dans la réduction de la douleur19. Il est aussi accepté que la crainte de la douleur est un facteur pronostique de la douleur chronique (le modèle peur-évitement), ce qui signifie que si on gère la peur de la douleur, il est possible d’améliorer la douleur chronique20. Pour améliorer les résultats sur le plan de la santé, il est possible de recourir à la capacité de suggestion narrative des médias sociaux21.
La médecine narrative et l’art de la libre expression
La médecine narrative est une forme de pratique médicale centrée sur le patient22 qui a suscité un intérêt considérable au sein du monde médical au cours des dernières années23, surtout depuis la parution d’un article important à ce sujet en 200124. La Dre Rita Charon définit la médecine narrative comme étant la pratique clinique éclairée par la théorie et par la pratique de la lecture, de l’écriture, du récit et de l’écoute d’histoires25. Une narration est aussi simple qu’une personne qui dit quelque chose à une autre à propos d’une chose26 : la création de nouveaux récits27.
La prise en charge de la douleur chronique exige l’évaluation et le traitement de la souffrance et du comportement de la douleur; la narration est essentielle pour donner un sens aux expériences vécues par le patient et aider dans le traitement de la douleur chronique28.
Les omnipraticiens utilisent systématiquement des composantes narratives dans la pratique médicale au quotidien : ils écoutent, interprètent, définissent conjointement les récits du patient et en sont témoins29. Il est possible que des éléments de la médecine narrative soient utilisés de la même manière par des non-médecins. C’est là où le concept de la médecine narrative jumelé avec l’introduction d’un pair consultant pourrait aider des personnes souffrant de douleur chronique à s’aider ellesmêmes. L’hypothèse est que la liberté d’expression et la création d’un récit peuvent réduire les degrés de détresse (et de souffrance) et améliorer la qualité de vie et, par conséquent, les résultats chez le patient30–33.
Il est nécessaire de faire plus de recherche concernant le rôle des pairs consultants dans la douleur chronique et les bienfaits que retirent les pairs offrant la consultation10.
L’intervention par les arts
Les pairs consultants pourraient être jumelés à des patients pour qu’ils découvrent leurs expériences communes et créent un nouveau chapitre dans leur vie grâce à l’autonomisation et à l’art de la médecine narrative. Les participants redécouvriraient leur voix intérieure par la rédaction expressive. Les répercussions d’une telle intervention pourraient faire l’objet d’études en fonction de mesures descriptives et psychométriques. La Société norvégienne pour le traitement de la douleur a développé un instrument qui examine les domaines de résultats recommandés par l’Initiative sur les méthodes, la mesure et l’évaluation de la douleur dans les études cliniques. Il comporte les composantes du court sondage Brief Pain Inventory et la version abrégée du questionnaire sur la santé, qui compte 36 questions34.
Conclusion
Il serait possible d’établir un régime d’accréditation et de formation à l’échelle du Canada à l’intention de pairs consultants en douleur chronique comme prolongement du programme actuel d’Accréditation et de certification du soutien par les pairs (Canada).
La recherche future pourrait se concentrer sur les besoins de formation des pairs consultants et la manière de les intégrer dans les systèmes de soins primaires pour minimiser les lacunes dans la prestation des soins.
Footnotes
This article is also in English on page 837.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada
Références
- 1.
- 2.
- 3.
- 4.
- 5.
- 6.
- 7.
- 8.
- 9.
- 10.
- 11.
- 12.
- 13.
- 14.
- 15.
- 16.
- 17.
- 18.
- 19.
- 20.
- 21.
- 22.
- 23.
- 24.
- 25.
- 26.
- 27.
- 28.
- 29.
- 30.
- 31.
- 32.
- 33.
- 34.