Une étude publiée récemment dans JAMA nous apprend que la rotation des résidents et internes est associée à une augmentation significative de la mortalité des patients hospitalisés sous leurs soins1. Les auteurs ont observé que les taux de mortalité des patients ayant été exposés à une rotation étaient presque 2 fois plus élevés que ceux des patients qui n’y ont pas été exposés (4,0 % comparativement à 2,1 %). De plus, la mortalité aux 30e et 90e jours post-hospitalisation était aussi plus élevée: 15,5 % et 22,8 % dans les groupes avec rotation des résidents, comparativement à 9,1 % et 14,0 % pour le groupe de contrôle.
Ces résultats sont troublants. Ils devraient normalement amener les directeurs de programme à réfléchir à l’organisation des stages en se demandant si la rotation ne serait pas préjudiciable aux patients et si des changements de fonctionnement ne devraient pas être apportés.
Évidemment, il est trop tôt pour s’alarmer. Cette recherche est la première à démontrer une association entre la mortalité des patients et la rotation des internes et des résidents. Et puis, l’étude comporte certaines lacunes. Il s’agit d’une étude rétrospective réalisée auprès de résidents et d’internes en stage en médecine interne dans 10 hôpitaux universitaires américains pour les anciens combattants, affiliés au Veterans Health Administration. Conséquemment, la force de la preuve demeure faible. Aussi, avant de généraliser ces résultats à l’ensemble des programmes académiques, d’autres études prospectives dans d’autres milieux de formation devront être réalisées pour confirmer ou infirmer ces résultats.
Toutefois, même si ces données sont imparfaites, elles remettent en question l’organisation des soins en milieux hospitaliers. Car si ces résultats étaient probants pour les résidents et les internes en rotation, qu’en est-il pour les médecins de famille qui travaillent dans les hôpitaux, particulièrement les hospitaliers (ce terme désignant les médecins de famille qui s’occupent principalement des patients hospitalisés)? Difficile de ne pas penser que la rotation des hospitaliers puisse, elle aussi, avoir un effet néfaste sur le devenir des patients.
Or, lorsque l’on regarde le mode de fonctionnement des médecins de famille qui font actuellement de l’hospitalisation, on constate qu’il y a eu un changement organisationnel important au cours des dernières années2,3. Il fut un temps où les médecins de famille s’occupaient eux-mêmes de leurs patients admis à l’hôpital. Ils avaient alors un nombre restreint de patients hospitalisés, chacun s’occupant des siens, l’hospitalisation se situant dans le continuum des soins qu’ils prodiguaient. Souvent, ils connaissaient bien ces patients, et leurs proches, puisqu’ils les suivaient depuis fort longtemps. Même s’il leur arrivait, pour alléger la tâche et éviter d’être perpétuellement sur appel, de partager les gardes de nuit et de fins de semaine avec des collègues, ils demeuraient néanmoins responsables de la prise en charge et du suivi de leurs patients tout au long de leur séjour hospitalier et par la suite.
Maintenant ce sont les hospitaliers qui œuvrent auprès des patients hospitalisés. Ces médecins fonctionnent selon un modèle semblable à celui des résidents en stages hospitaliers, c’est-à-dire, ils s’occupent souvent seuls de tous les patients admis dans un service ou un département pendant une période donnée, habituellement pendant une semaine. Ensuite, ils transfèrent leurs patients à un collègue qui prend le relais la semaine suivante, jusqu’à ce qu’ils reviennent, selon un mode rotatoire, s’occuper à leur tour de l’unité. Ces médecins ne chôment pas! Lorsqu’ils prennent la relève, la tâche est phénoménale. Ils sont responsables de tous ceux que leur collègue vient de leur transférer, sans compter tous les patients qui viennent de l’urgence, des soins intensifs, de l’unité coronarienne ou qui arrivent directement d’un autre établissement ou de la communauté. Toute une responsabilité! Difficile de concevoir qu’ils puissent être, dès les premiers moments et sans égard à la qualité du transfert, en pleine maîtrise de tous ces patients.
Dès lors, se pourrait-il que ce mode de fonctionnement puisse, lui aussi, à l’instar de la rotation des résidents, avoir des conséquences néfastes pour les patients? À la lumière des résultats précédents, cette question apparaît pertinente et mérite qu’on s’y attarde.
Footnotes
This article is also in English on page 264.
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Références
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- 3.