Si on remonte au 12e siècle, le médecin juif Moses Maimonides avait écrit à propos de l’asthme et avait associé la consommation de lait avec de potentielles exacerbations de l’asthme1. La médecine chinoise traditionnelle suggère aussi que le lait est un aliment qui favorise la production de mucus et recommande qu’on évite d’en consommer2. Cela est probablement dû à l’hypothèse qui prétend que le lait stimule la production de mucus dans les voies respiratoires, ce qui se traduit par une résistance aérienne et, par conséquent, l’aggravation de l’asthme3.
Cette notion généralisée qui veut que les enfants asthmatiques évitent le lait a été renforcée au cours des derniers siècles. Dans le célèbre livre du Dr Spock, Comment soigner et éduquer son enfant, on suggère que l’asthme et les autres problèmes respiratoires peuvent être aggravés par la consommation de lait et on recommande de l’exclure du régime alimentaire4.
Cette croyance persiste encore aujourd’hui chez plusieurs parents, même si très peu de données scientifiques permettent d’établir un lien entre la consommation de lait et l’asthme5. À New York, des parents qui attendaient dans un département de pneumologie pédiatrique ont répondu à un questionnaire concernant la relation entre la consommation de lait et la production de mucus6. Sur 330 participants, 193 (58 %) croyaient que boire du lait augmentait la production de mucus, 72 (22 %) n’adhéraient pas à cette thèse, et 65 (20 %) étaient incertains. Ceux qui croyaient que le lait augmentait la production de mucus ont dit apprendre cette information de membres de la famille (30 %), de pédiatres (10 %) ou d’autres médecins (19 %).
La théorie du mucus produit par le lait
Lors d’une étude menée en Australie, on a tenté de savoir si ceux qui croient à «la théorie du mucus produit par le lait» ont plus de symptômes reliés à l’asthme que ceux qui n’y croient pas. On a demandé à un groupe de 169 participants (70 qui y croient et 99 qui n’y croient pas) de décrire exactement ce qu’ils ressentaient ou ce qui arrivait lorsqu’ils buvaient du lait7. La plupart (84 %) de ceux qui y croient ont dit ressentir un besoin de s’éclaircir la gorge comparativement à seulement 20 % de ceux qui n’y croient pas; 20 % de ceux qui y croient ont dit avoir de la difficulté à respirer comparativement à seulement 1 % de ceux qui n’y croient pas7. Dans un sondage subséquent fait auprès de 130 sujets, les adeptes de la théorie ont dit boire considérablement moins de lait sous forme liquide que les autres et ont rapporté plus de symptômes respiratoires, particulièrement ceux reliés à la bronchite, au rhume des foins ou à l’asthme7.
Pinnock et Arney ont mis «la théorie du mucus produit par le lait» à l’épreuve lors d’une étude randomisée à double insu menée auprès de 125 sujets qui ont bu 300 ml de lait (60 des 125) ou un placebo à base de soja (65 des 125), desquels 43 et 29 d’entre eux croyaient à «la théorie», respectivement8. Les partisans de l’effet lait-mucus ont plus souvent rapporté «avoir la bouche pâteuse», «devoir avaler plus souvent» et «avoir la salive plus épaisse» comparativement à ceux qui ne croient pas à cette théorie et ce, après avoir bu les 2 types de liquide. On a mesuré ces facteurs au tout début de l’expérience, après 5 minutes, après 4 heures et au petit-déjeuner le lendemain. Les chercheurs ont conclu qu’il n’y avait pas de différence sur le plan de la réponse sensorielle entre le placebo à base de soja et le lait8.
Consommation de lait et mucus
Afin de tester le lien entre la consommation de lait et la production de mucus, des chercheurs de New York ont observé 21 sujets (11 asthmatiques et 10 non asthmatiques). Les sujets ont bu 16 onces de lait entier, de lait écrémé et d’eau (chaque liquide lors de journées distinctes). On a ensuite mesuré à 30 minutes d’intervalle durant 3 heures le volume expiratoire maximal en 1 seconde (VEM1), le débit maximal expiratoire à 50% de la capacité vitale et la capacité de diffusion pulmonaire du monoxyde de carbone(CDPMC)3.La consommation de lait entier et de lait écrémé n’a pas été associée à des changements significatifs dans le VEM1 ou dans le débit maximal expiratoire à 50 % de la capacité vitale. En revanche, chez les asthmatiques, la CDPMC a diminué progressivement au cours des 3 heures de 6,8 % (écart type de 1,4 %) par heure après la consommation de lait entier, mais pas après la consommation de lait écrémé ou d’eau. Chez les non-asthmatiques, aucun effet significatif sur la CDPMC n’a été observé3. Bien que les chercheurs n’aient pas observé de changements évidents dans la résistance bronchique qui pourraient modifier les paramètres du débit de l’air, ils ont suggéré que les lipides contenus dans le lait pourraient altérer les échanges gazeux chez les asthmatiques3.
À Melbourne, en Australie, la moitié de 20 sujets (13 femmes et 7 hommes) ont allégué que leur asthme s’aggravait avec la consommation de produits laitiers9. Les sujets ont été soumis à un régime de 2 semaines sans produits laitiers et ont ensuite reçu 300 ml de lait à titre de test de provocation actif. On définissait une réaction positive comme étant à la fois une réduction de 15 % du VEM1 et du débit maximal expiratoire (DME) la journée du «test de provocation actif», comparativement aux résultats obtenus au même moment lors du «jour placebo». Neuf sujets ont connu des changements de plus de 15 % dans le VEM1 et le DME: 4 d’entre eux montraient des changements autant après le test actif qu’après le placebo; 2 après le placebo seulement; et 3 après le test actif seulement. Aucun lien définitif n’a pu être établi entre la consommation de lait et la prévalence des symptômes reliés à l’asthme9.
Lors d’une étude prospective à simple insu menée en Malaisie, 13 enfants (âgés de 3 à 14 ans) ont suivi un régime sans lait durant 8 semaines et 9 enfants ont suivi leur régime normal10. Les enfants qui n’ont pas bu de lait ont eu un taux de DME significativement plus élevé que 5 enfants du groupe contrôle. Même s’il s’agit d’un fait intéressant, il faudrait une étude plus étendue et possiblement en aveugle pour déterminer les effets d’un tel régime d’élimination.
Les conséquences alimentaires de restreindre le lait chez les enfants
Santé Canada recommande de donner 2 portions de lait par jour aux enfants de 2 à 8 ans et 3 à 4 portions de lait par jour aux enfants de 9 à 13 ans11. Par ailleurs, les pédiatres sont confrontés de plus en plus à une augmentation du nombre de pratiques alimentaires non conventionnelles12. Puisqu’il est difficile d’avoir une influence sur les habitudes alimentaires des familles, les médecins devraient être informés des risques associés aux régimes d’élimination comme la restriction du lait chez les enfants asthmatiques12.
Dans la plupart des pays occidentaux, plus du deux tiers de l’apport en calcium provient de la consommation de lait13 et, aux États-Unis, le premier facteur de carence en calcium vient d’une trop faible consommation de lait14. La consommation de lait durant l’enfance peut améliorer la densité osseuse chez l’adulte15. Les adultes ayant bu beaucoup de lait étant enfants ont une meilleure densité osseuse que les autres15 et le fait d’éviter le lait peut se traduire par une moins bonne croissance et un faible développement des os13.
Conclusion
Les données probantes actuelles ne permettent pas d’établir un lien direct entre la consommation de lait et l’asthme. Ainsi, les médecins devraient continuer à suivre les recommandations de Santé Canada concernant la consommation quotidienne de lait chez les enfants.
Notes
PRETX
Mises à jour sur la santé des enfants est produit par le programme de recherche en thérapeutique des urgences pédiatriques (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. M. Thiara est membre et Dr Goldman est directeur du programme PRETx. Le programme PRETx a pour mission de promouvoir la santé des enfants par la recherche en thérapeutique fondée sur des données probantes dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, de la radiation ou des infections sur les enfants? Nous vous invitons à les adresser au programme PRETx par télécopieur au 604 875–2414; nous y répondrons dans de futures mises à jour sur la santé des enfants. Les mises à jour publiées se trouvent dans le site web du Médecin de famille canadien à (www.cfp.ca).
Footnotes
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
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The English version of this article appears in the February 2012 issue on page 165.
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Intérêts concurrents
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