Une récente étude sur le bien-être des enfants, réalisée par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance1 et portant sur 29 économies développées, a fait valoir que le taux de consommation de cannabis par les adolescents canadiens (âgés de 11 à 15 ans) est le plus élevé du monde; on estimait que 28 % d’entre eux avaient utilisé du cannabis au moins une fois durant la dernière année. L’Enquête de surveillance canadienne de la consommation d’alcool et de drogues auprès d’adolescents plus âgés a constaté des taux légèrement plus bas de consommation de cannabis; environ 21 % avaient utilisé du cannabis au moins une fois durant l’année précédente2. Fait inquiétant, un pourcentage considérable de ces jeunes consommateurs canadiens étaient des utilisateurs quotidiens ou hebdomadaires, dont environ 22 % de garçons et 10 % de filles3.
Le taux élevé de consommation de cannabis par les jeunes au Canada est préoccupant. De récentes données probantes démontrent que la consommation fréquente de cannabis par les jeunes pose des risques substantiels. Ces jeunes semblent être à risque plus élevé de consommation problématique et de dépendance au cannabis que les utilisateurs adultes4. Ils sont aussi à risque de dysfonction sociale, notamment de problèmes au travail et dans les études5. Dans une récente étude, on a constaté une baisse de 5 à 8 points dans les scores du QI chez les adultes qui avaient consommé souvent du cannabis durant leur adolescence, ce qui persistait jusqu’à l’âge moyen même s’ils avaient cessé le cannabis une fois devenus adultes7. Enfin, une forte consommation de cannabis à l’adolescence est un facteur de risque de psychose et pourrait contribuer au développement d’un trouble psychotique persistant8–10.
Il importe de signaler que les adolescents canadiens ne consomment pas toutes ces substances plus souvent que leurs homologues dans d’autres pays; leur consommation de tabac et d’alcool se situe respectivement dans les échelons inférieurs et moyens1. Les facteurs qui expliquent les variations internationales dans la consommation de ces substances licites et illicites sont complexes et incluent notamment les normes sociales et culturelles, l’accessibilité des drogues et les politiques nationales sur les drogues (prévention, traitements et criminalisation).
Politiques de criminalisation
Chose certaine, de strictes politiques en matière de cannabis ne dissuadent pas les adolescents. L’étude du Fonds des Nations Unies pour l’enfance a révélé que dans les pays où les lois sur le cannabis étaient plus libérales, les taux de consommations de cannabis par les adolescents étaient plus faibles (17 % aux Pays-Bas et 10 % au Portugal) qu’au Canada1. Une étude réalisée en 2010 aux États-Unis, au Canada et dans les Pays-Bas n’a révélé aucune corrélation entre les politiques de criminalisation et les taux de consommation de drogues12,13.
En plus d’être inefficaces, les politiques rigoureuses concernant les drogues ont de nombreuses conséquences dévastatrices sur le plan sociétal et de la santé publique. Parmi ces préjudices, on peut mentionner les épidémies d’infection au VIH, les violations des droits de la personne, un vaste marché noir criminel, un gas-pillage des ressources publiques limitées, ainsi que la stigmatisation et la marginalisation des utilisateurs de drogues14,15. Des données scientifiques démontrent que les populations vulnérables sont affectées de façon disproportionnée par les lois sévères en matière de drogues16. En 2007, les habitants du Nord canadien (Yukon, Territoires du Nord-Ouest et Nunavut) étaient au moins 2 fois plus susceptibles d’avoir reçu des constats d’infractions liées au cannabis par la police que la population du Sud17.
Reconnaissant l’inefficacité et les préjudices des politiques sévères en matière de drogues, le Portugal a décriminalisé toutes les substances illicites et redirigé vers la prévention et les traitements les économies qu’il a réalisées au chapitre de l’application de la loi. Une décennie plus tard, non seulement s’est-il produit une réduction dans la consommation de drogues au Portugal, mais on a aussi constaté des améliorations dans de nombreux paramètres de la santé au pays18,19. D’autres pays ont aussi reconnu les échecs d’une lourde criminalisation et apportent des changements à leurs politiques20.
Par ailleurs, le Canada tire de l’arrière; ses politiques sur les drogues continuent d’insister sur la criminalisation21. Un rapport du vérificateur général en 2001 mentionnait que 95 % des fonds alloués à la réduction de la consommation de drogues illicites (estimés cette annéelà à 450 millions $) ont été dépensés en application de la loi22. Plus récemment, le gouvernement réaffirmait son engagement à adopter des politiques plus strictes en présentant son projet de loi omnibus sur la criminalité de 201223,24 et en tentant d’éliminer de nombreux programmes efficaces de traitements axés sur la réduction des préjudices25.
Les leaders en recherche sur les dépendances et en santé publique au Canada s’opposent à l’approche du gouvernement actuel26–30. Ils revendiquent un réexamen urgent des politiques sur les drogues et préconisent des programmes fondés sur des données probantes plutôt que sur l’idéologie. Ces chefs de file présentent un plaidoyer fort et unifié. Toutefois, les médecins de famille et les organisations qui les représentent se sont montrés en grande partie silencieux sur la question.
Rôle de promoteur de la santé
Les médecins de famille, en tant que promoteurs de la santé pour cette jeune population vulnérable, devraient travailler activement pour faire changer les politiques concernant les drogues. Ils peuvent utiliser leurs voix individuelles auprès des décideurs ou encourager des organisations, comme le Collège des médecins de famille du Canada, à se prononcer en leur nom. Les médecins de famille peuvent aussi adhérer à des organisations comme la Coalition canadienne des politiques sur les drogues qui préconise que ces politiques soient «fondées sur les données probantes, les droits de la personne, l’inclusion sociale et la santé publique»31.
Recommandations
La consommation de cannabis chez les jeunes devrait être envisagée dans le contexte de la santé publique. Les politiques sévères de criminalisation ne fonctionnent pas, ont de nombreuses conséquences sociétales fâcheuses et sont très coûteuses. Le financement devrait plutôt être dirigé vers des programmes de prévention et de traitements fondés sur des données probantes pour les jeunes.
La composante liée à la prévention exige une approche prudente, parce que les interventions en santé publique à l’intention des adolescents ont eu des résultats mitigés32,33 et certaines campagnes n’ont eu aucun effet sur la consommation de drogues chez les adolescents34. L’analyse du projet DARE (Drug Abuse Resistance Education), un programme de grande envergure (dans plus de 80 % des districts scolaires américains), axé sur l’abstinence et à l’intention des jeunes d’âge scolaire, n’a cerné aucune amélioration dans les résultats34. De récentes données probantes indiquent que les interventions centrées sur un développement en santé de la jeunesse sont plus efficaces pour réduire la consommation de drogues (et d’autres comportements à risque) que celles qui insistent sur les menaces et les avertissements de dangers. Les interventions les plus productives combinent du soutien, des ressources et des possibilités d’éducation et d’emploi35,36.
Les soins primaires constituent un important noyau d’intervention pour les jeunes. Dans le présent numéro du Médecin de famille canadien (page e423), nous discutons, comme le fait Turner, de l’approche à l’endroit du dépistage, de la détection de cas et des interventions en matière de problèmes liés à la consommation de cannabis en soins primaires37. Des experts recommandent que les médecins de soins primaires utilisent l’approche du dépistage, de l’intervention ponctuelle et de l’orientation vers un traitement dans les cas de toxicomanie38. Les adolescents sont réceptifs aux questions de dépistage et aux conseils sur la consommation de drogues de la part de leurs médecins de soins primaires39. La plupart des études ont conclu que les interventions brèves sont efficaces pour réduire la consommation de drogues40,41, y compris de cannabis42, chez les jeunes. (Par ailleurs, une récente étude randomisée auprès de 65 jeunes consommateurs de cannabis n’a signalé aucune amélioration dans les résultats après une brève intervention43.) Par conséquent, les professionnels de la santé en soins primaires devraient régulièrement demander à tous les jeunes patients s’ils consomment du cannabis et les informer des risques accrus de l’utilisation de cette substance chez les adolescents. Les professionnels de la santé devraient être préparés à faire de brèves interventions37 et à offrir des demandes de consultation en toxicomanie à tous les consommateurs fréquents de cannabis qui sont incapables de réduire ou d’arrêter leur consommation. Ils devraient aussi offrir à tous les jeunes patients des renseignements sur la consommation de cannabis et la réduction des risques44.
Tous les programmes de traitement des dépendances devraient aussi se fonder sur les données scientifiques les plus récentes. Les programmes les plus efficaces sont centrés sur le patient et étroitement liés aux soins de santé primaires45,46. Ils adoptent aussi une approche de réduction des risques47 et englobent une compréhension des facteurs sociétaux et structurels qui contribuent à la consommation de drogues et aux récidives48. De plus, les programmes efficaces ont de multiples points d’accès et il est facile d’y naviguer49.
Conclusion
La consommation de cannabis est répandue chez les jeunes Canadiens et est plus courante que dans les 28 autres économies développées dans le monde. Parce que les conséquences d’une consommation régulière de cannabis durant l’adolescence sont considérables et permanentes, les décideurs devraient employer une approche pragmatique plutôt qu’idéologique. Les données probantes démontrent que les politiques rigoureuses de criminalisation des drogues ne sont pas efficaces pour réduire la consommation de cannabis chez les adolescents (ou les adultes) et qu’elles ont de nombreuses conséquences négatives sur la santé publique. Il faudrait plutôt aborder la consommation de cannabis par les adolescents dans un contexte de santé publique. Les médecins de famille et les organisations qui les représentent devraient revendiquer des politiques qui fonctionnent pour réduire l’usage du cannabis: des programmes de prévention et de traitements efficaces et fondés sur des données probantes.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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This article is also in English on page 785.
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Intérêts concurrents
Dr Kahan a reçu des honoraires de Reckitt Benckiser pour des présentations sur le suboxone.
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