Il n’existe pas de portrait panoramique de la façon dont la population du Canada mobilise les soins de santé. Pour que les gouvernements, qui sont les payeurs uniques des soins de santé au Canada, comprennent bien les comportements des citoyens à cet égard, il s’impose qu’ils aient une telle perspective. Si les chercheurs veulent évaluer les problèmes courants qui méritent notre attention, un tel profil leur serait utile. Afin que les cliniciens sachent où ils se situent sur la scène globale, il leur faut un objectif grand-angle.
À notre connaissance, c’est la première fois dans les ouvrages internationaux qu’une comparaison des systèmes de santé a été effectuée entre instances, à l’aide de la méthode de l’écologie des soins de santé1,2.
Nous avions pour but de présenter un profil populationnel pancanadien des besoins en soins de santé et de l’utilisation de ces services et de le faire de manière aisément accessible pour permettre des comparaisons entre les provinces ainsi qu’avec d’autres instances internationales1,2. Nous avons examiné les problèmes chroniques, les visites auprès d’un médecin de famille, les consultations avec d’autres médecins spécialistes, les contacts avec une infirmière et les hospitalisations selon la province et normalisés en fonction de l’âge et du genre.
MÉTHODOLOGIE
Données
Les données de cette étude proviennent de 4 sources. La plupart des renseignements utilisés pour réaliser l’étude sont tirés du rapport public du cycle 4.1 de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2007. L’ESCC est une enquête transversale auprès de la population concernant la santé, effectuée en plusieurs étapes et avec un échantillonnage stratifié en grappes ciblant des Canadiens de 12 ans et plus. Des renseignements plus détaillés se trouvent dans le site web de Statistique Canada3. Des données pondérées ont été utilisées pour tenir compte de la probabilité inégale de la sélection, rendant les estimations proportionnelles à la population canadienne. Les taux calculés à partir des réponses déclarées par les intéressés à l’ESCC aux fins de cette étude portaient sur ce qui suit : la présence de maladies chroniques, les visites auprès d’un médecin de famille, celles auprès d’un autre médecin spécialiste et auprès d’une infirmière.
La deuxième source d’information était la Base de données sur les congés des patients (BDCP) de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) qui fournissait des renseignements sur les congés obtenus d’un hôpital selon l’âge, le genre et la province. Ces données proviennent du site web interactif Statistiques éclair de l’ICIS4.
Les données du Recensement canadien de 2006 dans le site web de Statistique Canada constituent la troisième source d’information5. Les statistiques démographiques canadiennes et provinciales ont servi de dénominateurs pour les taux de recours aux hôpitaux et pour normaliser les taux provinciaux par rapport à la population canadienne.
La quatrième source de données était le rapport Nombre, répartition et migration des médecins canadiens de l’ICIS de 20066. Ce rapport fournit des données sur les effectifs de médecins de famille et des autres médecins spécialistes au Canada et dans chaque province.
Tant l’ESCC que la BDCP rapportaient l’utilisation des soins de santé au cours des 12 mois précédents. Les taux ont été convertis d’une base annuelle à une base mensuelle pour les Canadiens de 15 ans et plus. L’ESCC donnait des renseignements sur les personnes de 12 ans et plus; toutefois les groupes d’âges indiqués dans la BDCP de l’ICIS incluaient une tranche des 10 à 14 ans. Il était impossible de déterminer dans l’ESCC les taux s’appliquant aux moins de 12 ans et il n’était pas non plus possible de séparer les taux pour ceux âgés de 12 à 14 ans dans la BDCP de l’ICIS. Par conséquent, les taux dans cette étude se limitent à ceux des personnes de 15 ans et plus.
Analyses
Toutes les analyses ont été effectuées pour le Canada globalement et pour chacune des 10 provinces. Dans l’ESCC, la taille de l’échantillon, notamment 121 801 répondants, était amplement suffisante; toutefois, les territoires ont été exclus en raison des échantillons peu nombreux. Dans chaque analyse, les taux normalisés selon l’âge et le genre ont été calculés au moyen d’une méthode directe de standardisation pour en arriver à une normalisation en fonction de la population canadienne en 2006. Les taux normalisés étaient très comparables à ceux qui ne l’étaient pas, c’est pourquoi seuls les taux provinciaux standardisés ont été rapportés.
Les taux ont aussi été comparés avec ceux d’une étude américaine en 2001, avec 2 mises en garde2. D’abord, dans l’étude américaine, on comptait le nombre de patients qui avaient fait une visite, tandis que les données canadiennes signalaient les nombres de visites. Deuxièmement, dans l’étude américaine, les soins primaires désignent habituellement non seulement la médecine familiale, mais aussi la médecine interne générale et la pédiatrie. Les taux canadiens ont été convertis en taux mensuels pour faciliter la comparaison avec les taux mensuels présentés dans l’étude américaine.
Présence de problèmes chroniques
Les répondants à l’ESCC indiquaient s’ils souffraient d’un problème chronique en particulier et avaient le choix d’ajouter d’autres problèmes non spécifiés, ce qui a engendré une liste exhaustive. Pour cette mesure rapportée par l’intéressé, on demandait aux répondants de ne mentionner que les problèmes diagnostiqués par des professionnels de la santé. Une variable a été créée en classant les répondants ou bien dans la catégorie de ceux qui avaient une maladie chronique et ou dans celle des gens sans problème chronique. Le taux par 1000 habitants a été calculé en divisant le nombre de personnes ayant indiqué la présence d’un problème chronique par le nombre total de répondants et en multipliant le résultat par 1000. Étant donné la stabilité des maladies chroniques avec le temps, ce taux annuel a été utilisé comme valeur pour le taux mensuel sans autres ajustements. Même si les maladies chroniques ne sont pas une mesure de l’utilisation des soins de santé, il s’agissait d’une mesure du fardeau des maladies dans la population reliée aux besoins en matière de santé.
Contacts avec des médecins de famille, d’autres médecins spécialistes et des infirmières
Les taux de contacts avec des professionnels de la santé ont été déterminés à l’aide des données générées par les répondants lorsqu’on leur demandait d’indiquer combien de fois au cours des 12 derniers mois ils avaient vu ou parlé à l’un de ces professionnels. Le mot contacts a été utilisé au lieu de visites parce que, dans les questions de l’ESCC sur l’utilisation des soins de santé, les contacts pouvaient inclure des consultations téléphoniques. La proportion des consultations par téléphone a été estimée en fonction d’une question où on demandait l’emplacement du dernier contact qu’avait eu le répondant. Pour les médecins de famille et les autres médecins spécialistes, ce nombre était négligeable; par contre, ce taux pour les infirmières s’élevait à 11,2 %. Les contacts avec une infirmière excluaient spécifiquement ceux eus lors d’une hospitalisation. Pour les autres médecins spécialistes, les contacts avec des ophtalmologistes n’ont pas été inclus parce que ce groupe de médecins faisait l’objet d’une question distincte à propos des professionnels spécialistes des yeux qui comprenaient les optométristes.
Le nombre moyen de contacts a été calculé pour chaque variable d’utilisation. Les résultats ont permis de faire une moyenne annuelle de contacts par personne. Cette moyenne était ensuite divisée par 12, puis multipliée par 1000 pour obtenir le taux de contacts mensuel par 1000 habitants. En raison de problèmes de confidentialité soulevés par la petite taille de certaines grappes, un seuil maximal dans le nombre de contacts pour chacun de ces professionnels a été fixé. Pour les médecins de famille, cette limite maximale était de 31; ainsi, ceux qui avaient eu plus de 31 contacts étaient comptés comme s’ils en avaient eu 31. Parmi les 121 801 répondants, 387 ou 0,3 % se classaient dans la catégorie des 31 contacts, ce qui limite les préoccupations entourant une sous-estimation des contacts. Pareillement pour les autres médecins spécialistes et les infirmières, le seuil supérieur était de 12 contacts.
Hospitalisations
Les taux d’hospitalisation ont été calculés en divisant le nombre de congés de l’hôpital indiqué dans la BDCP de l’ICIS par les nombres fournis dans le recensement de la population pour la région en cause. Ce nombre moyen d’hospitalisations a ensuite été divisé par 12, puis multiplié par 1000 pour produire un taux mensuel par 1000 habitants.
Ratio de contacts mensuels avec un médecin par rapport au nombre de médecins
On a calculé les contacts avec un médecin par 1000 habitants. Les statistiques sur les effectifs de médecins ont été obtenues dans le rapport Nombre, répartition et migration des médecins canadiens de l’ICIS6. Les données étaient rapportées par 100 000 habitants et ont été converties à un ratio par 1000 habitants en divisant les taux par 100. Il s’agissait des effectifs pour l’année 2006 et les données n’ont pas été ajustées en taux mensuels en se basant sur la prémisse que l’effectif durant un mois donné serait comparable à l’effectif pour une année donnée. Les ratios ont été calculés pour le Canada et pour chaque province, les contacts avec un médecin étant le numérateur et le nombre de médecins étant le dénominateur.
RÉSULTATS
Les résultats primaires de cette étude ont été les taux de personnes en mauvaise santé (problèmes chroniques) et d’utilisation des soins de santé chez les Canadiens exprimés en taux mensuels par 1000 habitants (Figure 1). Chaque case de la Figure 1 représente un sous-groupe des 1000 habitants. Par exemple, 8 personnes par 1000 ont été hospitalisées durant un mois en particulier, mais il ne s’agit pas nécessairement des 8 sur 32 qui ont eu un contact avec une infirmière.
Nous avons examiné les taux par province. Les taux de maladies chroniques se trouvent dans la Figure 2. Le nombre par 1000 habitants de personnes qui ont au moins 1 problème chronique variait, allant du plus bas au Québec avec 524 au nombre le plus élevé en Nouvelle-Écosse avec 638. Les taux provinciaux d’utilisation des soins de santé sont donnés à la Figure 3. Les nombres par 1000 habitants de contacts avec un médecin de famille allaient de 158 au Québec à 295 en Colombie-Britannique. Les nombres par 1000 habitants de contacts avec d’autres médecins spécialistes se situaient à 53 au plus bas en Saskatchewan et à 79 au plus haut en Ontario. Les nombres de contacts avec une infirmière par 1000 habitants allaient de 23 en Colombie-Britannique à 41 au Québec. Les nombres de séjours à l’hôpital variaient de 8 à 11 par 1000 habitants.
Un résultat secondaire intéressant pour faciliter la comparaison entre les provinces était le nombre de médecins dans chaque province. Le Tableau 1 présente le nombre de contacts avec un médecin par mois en fonction des effectifs de médecins.
DISCUSSION
Cet article présente une synthèse canadienne de l’utilisation des soins de santé au niveau de la population et compare les provinces au moyen de la méthodologie de l’écologie des soins de santé expliquée dans 2 études américaines1,2.
Par rapport à l’étude phare américaine de 20012, ces données canadiennes ont relevé des différences remarquables dans l’utilisation des médecins. Dans le cas du recours aux médecins de soins primaires aux États-Unis, il y avait 113 contacts avec des patients par mois, tandis qu’au Canada, on comptait 238 contacts par mois avec un médecin de famille. En ce qui a trait à l’utilisation d’autres spécialistes aux États-Unis, il y avait 104 contacts de patients avec des médecins autres que des médecins de famille, alors qu’au Canada, il y en avait 70. Ces différences dans l’utilisation des médecins sont conformes aux comparaisons antérieures7. Par ailleurs, les données sur les séjours à l’hôpital étaient semblables.
Cette même méthodologie novatrice n’a pas été utilisée auparavant pour faire des comparaisons entre les provinces canadiennes. Cette étude a fait ressortir des similarités générales avec le Provincial Health Index8, malgré les différences sur le plan de la méthodologie, quant au degré d’utilisation et à la comparaison entre les provinces. Nos données étaient principalement tirées de réponses par les intéressés, mesurées de manière identique dans toutes les provinces et ajustées en fonction du genre et de l’âge. Les données du Provincial Healthcare Index étaient des données administratives sur la santé, possiblement mesurées différemment d’une province à l’autre et n’étaient pas standardisées.
Le message principal se situe dans les différences entre les systèmes provinciaux de soins de santé, notamment le Québec et la Colombie-Britannique étant en contraste le plus marqué dans l’utilisation des médecins de famille et des infirmières, tandis que l’Ontario et la Saskatchewan étaient aux extrémités opposées dans le recours aux autres médecins spécialistes. Les taux d’hospitalisation étaient semblables d’une province à l’autre. Les principales différences entre les provinces se décrivent comme suit : le recours aux médecins de famille était le plus élevé en Colombie-Britannique et le plus faible au Québec; l’utilisation des soins infirmiers était la plus élevée au Québec et la plus faible en Colombie-Britannique; la consultation des autres médecins spécialistes était la plus fréquente en Ontario et la moins courante en Saskatchewan.
Aucune des explications que nous avons mises à l’essai ne pouvait justifier les variations provinciales. Ces différences persistaient lorsque les taux étaient normalisés en fonction de la démographie selon l’âge et le genre dans les provinces. Les effectifs de médecins n’offraient pas non plus d’explication. Les différences dans l’utilisation des médecins n’étaient pas associées au recours relatif aux médecins de famille par rapport aux autres médecins spécialistes dans les provinces; autrement dit, en combinant les contacts avec des médecins de famille et ceux avec d’autres médecins spécialistes, les différences persistaient dans l’utilisation globale des médecins d’une province à l’autre. Ce n’était pas dans les provinces où le taux de personnes atteintes d’au moins 1 maladie chronique était le plus élevé que les taux de contacts avec un médecin étaient les plus hauts.
D’autres explications pourraient donc être envisagées. Il est possible que l’utilisation des soins de santé soit associée à d’autres mesures comme les maladies aiguës ou les blessures qu’il n’était pas possible d’évaluer dans la présente étude. Il est aussi plausible que les politiques sur les ressources humaines du secteur de la santé diffèrent d’une province à l’autre (p. ex. les infirmières plutôt que les médecins qui procèdent aux vaccinations). Une autre explication possible serait que les politiques et les pratiques des organisations de soins de santé varient entre les provinces (p. ex. le degré d’implantation du renouvellement des soins de santé primaires).
Limitations
Il aurait été intéressant d’inclure les visites à l’urgence dans cette analyse. Malheureusement, des données complètes pour toutes les provinces n’étaient pas disponibles pour 2006. Les rapports sur les visites à l’urgence se font plus nombreux et ils sont de plus en plus standardisés. Ainsi, les études futures pourront se pencher aussi sur de telles statistiques. Il convient de signaler que les renseignements sur le nombre de médecins se fondaient sur les médecins disponibles et ne devraient pas être considérés comme étant la même chose que des médecins équivalents temps plein. Les soins de santé signalés par les intéressés pourraient ne pas refléter exactement leur utilisation réelle; d’autres études ont relevé une surestimation ou une sous-estimation à cet égard9–11. Il faut aussi mentionner que les taux mensuels d’utilisation des soins de santé ont été calculés à partir de taux annuels, ce qui présume que l’utilisation est constante toute l’année. Il n’a donc pas été possible de prendre en compte des variations saisonnières possibles dans les calculs mensuels. Une autre limitation déplorable se situe dans la petite taille de l’échantillon dans les territoires peu populeux qui a empêché de les inclure dans les taux de rapports. Il s’agit d’une lacune importante qu’il faudrait chercher à combler dans de futurs projets de recherche.
Conclusion
Étant donné que les divers facteurs mis à l’essai pour expliquer les variations ne pouvaient pas être retenus, les différences provinciales dans l’utilisation des soins de santé semblent dues à des éléments et des causes qui n’étaient pas disponibles pour cette analyse. D’autres projets de recherche devraient explorer si ces autres explications pourraient inclure des variations dans les politiques et les pratiques en matière de soins de santé. Le présent article offre aux analystes de politiques un aperçu de ce qu’ils peuvent utiliser comme points de repère pour savoir si les objectifs de leurs politiques sont atteints.
Cette simple méthodologie qui se sert de données publiquement accessibles peut servir dans chaque province à examiner l’évolution avec le temps de l’utilisation des soins de santé par les instances provinciales.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
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Cette étude présente une synthèse canadienne de l’utilisation des soins de santé à l’échelle populationnelle en comparant les instances provinciales. Les données provenaient principalement de réponses par les intéressés, mesurées de manière identique d’une province à l’autre et ajustées en fonction de l’âge et du genre.
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Les principales différences entre les provinces se décrivent comme suit : le recours aux médecins de famille était le plus élevé en Colombie-Britannique et le plus faible au Québec; l’utilisation des soins infirmiers était la plus élevée au Québec et la plus faible en Colombie-Britannique; la consultation des autres médecins spécialistes était la plus fréquente en Ontario et la moins courante en Saskatchewan. Les taux de présence d’au moins 1 problème chronique étaient les plus élevés en Nouvelle-Écosse et les moins hauts au Québec.
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Il n’était pas possible d’expliquer les variations provinciales par les différences en fonction du genre et de l’âge de la population, des effectifs de médecins ou des taux de maladies chroniques. Il est possible que les variations observées s’expliquent par des différences dans les politiques et les pratiques provinciales.
Footnotes
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
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Cet article fait l’objet d’une révision par des pairs.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the May 2015 issue on page 449.
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Collaboratrices
La Dre Stewart était responsable de la conception de cette étude. Elle a conçu l’analyse et préparé le manuscrit. Mme Ryan a cerné les sources de données, a conçu et a effectué l’analyse et a préparé le manuscrit.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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