Un enfant qui se plaint de douleur aux jambes et refuse de marcher est une cause d’inquiétude pour les parents et les professionnels de la santé. La myosite bénigne aiguë infantile (MBAI) est un problème courant qui se règle spontanément et une cause fréquente souvent inaperçue de douleurs dans le bas des jambes chez les enfants1,2. Ce problème de type musculaire est aussi connu sous le nom de myosite associée à la grippe, de myosite virale et de myosite aiguë.
Elle a initialement été documentée en 1905 par Leichtenstern comme étant une sensibilité aux cuisses et des douleurs dans les mollets; ce dernier avait laissé entendre qu’il s’agissait d’une complication de la grippe3. En 1957, Lunderberg a officiellement reconnu cet état chez des enfants d’âge scolaire qui avaient fait une fièvre très élevée et développé un prodrome catarrhal s’étant résorbé après 4 jours, mais seulement comme une douleur sévère aux muscles des mollets qui causait de la difficulté à marcher. Il a appelé ce syndrome la myalgia cruris epidemica4.
Son incidence et sa prévalence exactes demeurent indéterminées, et il n’existe pas de lignes directrices précises pour sa prise en charge2,5. Les caractéristiques cliniques et de laboratoire habituelles de la MBAI permettent un diagnostic rapide, sans autre investigation ou hospitalisation pour la plupart des enfants.
Distinction entre la MBAI et d’autres processus pathologiques sérieux
Lorsqu’un enfant se plaint principalement de douleur aux mollets après une récente maladie virale, la MBAI devrait venir rapidement à l’esprit des cliniciens. La fiabilité de la présentation d’une MBAI permet aux médecins de faire un diagnostic clinique, tout en excluant d’autres problèmes plus graves (Encadré 1)1,2,6. Les cliniciens doivent faire la différence entre une hésitation à marcher en raison des douleurs causées par la MBAI et d’autres faiblesses musculaires associées à d’autres problèmes.
Diagnostics différentiels de la MBAI
Envisager ce qui suit :
Traumatisme ou blessure non accidentelle
Syndrome de Guillain-Barré
Rhabdomyolyse
Ostéomyélite
Thrombose veineuse profonde
Arthrite rhumatoïde juvénile
Tumeur maligne
Dermatomyosite
Polymyosite
Dystrophie musculaire
Pathologie intracrânienne
MBAI—myosite bénigne aiguë infantile.
Données tirées de Tippett et Clark1, Jain et Kolber2 et Mackay et coll.6
La myosite bénigne aiguë infantile se produit chez des enfants d’âge scolaire4,6–8 d’en moyenne 8,3 ans (variant entre 7,3 et 10,3 ans)5 selon un ratio garçon-fille de 2:15,7. Les antécédents de contacts avec d’autres personnes malades ne sont souvent pas évidents dans les cas de MBAI, ni les antécédents personnels ou familiaux d’une présentation semblable. Les médecins devraient poser des questions à propos des antécédents familiaux de maladies neuromusculaires, des exercices vigoureux ou des traumatismes récents, des médicaments ou des drogues utilisés, des épisodes semblables de myalgie ou de pigmentation, de même que des antécédents médicaux pertinents, en particulier des maladies métaboliques, musculosquelettiques ou thyroïdiennes.
L’hésitation soudaine à marcher à cause de douleurs sévères au bas des jambes se produit en moyenne 3 jours après le rétablissement initial d’une maladie virale5,7,9. Au nombre des syndromes prodromiques courants de ces maladies virales figurent la rhinorrhée, une fièvre peu élevée, un mal de gorge, de la toux et une sensation de malaise7. L’habituelle douleur symétrique et bilatérale aux jambes est typiquement limitée au complexe gastrocnémien et soléaire; toutefois, certains enfants peuvent avoir aussi une sensibilité connexe aux cuisses antéromédiales5,7 et, rarement, une douleur ou une sensibilité associée aux extrémités supérieures ou au tronc6. La douleur est souvent pire après une période de repos7.
Un examen physique approfondi corroborera davantage le diagnostic clinique de la MBAI. Les patients peuvent être apyrétiques ou encore avoir une température légèrement élevée mais autrement, leurs signes vitaux devraient être normaux. La caractéristique distinctive de la MBAI se situe dans les constatations bilatérales symétriques à l’examen des extrémités1. À l’inspection, la démarche de l’enfant peut sembler en abduction (sur la pointe des orteils ou les jambes raides) 2,6. Aucun signe externe n’est observé, sauf une légère enflure occasionnelle et, à la palpation, il peut y avoir un peu de sensibilité qui se résorbe habituellement après 2 à 4 jours1. L’enfant aura une amplitude normale des mouvements des articulations du genou et des hanches, mais pourrait garder le pied en flexion plantaire, refusant souvent une dorsiflexion active et même passive7. Il ne devrait pas y avoir de déficits sensoriels ou moteurs, de réflexes ostéotendineux altérés ou de changements dans les réflexes plantaires.
Investigations
On ne devrait réserver les analyses en laboratoire qu’aux enfants qui ne marchent pas du tout. Un taux élevé de créatine phosphokinase (CPK) compte parmi les résultats de laboratoire les plus communs dans le MBAI1,2,6,10,11. Dans une étude, 95 % des patients avaient des taux de CPK élevés, se situant en moyenne à 4100 U/l, et dans une autre étude, les taux de CPK s’élevaient jusqu’à 20 fois plus que la limite supérieure de la normale9. Des valeurs élevées de CPK dont l’élévation est lentement progressive sont associées à la dystrophie musculaire, tandis que l’augmentation des taux de CPK dans la MBAI atteint son somment après 2 semaines2,7,10. Il se peut que les patients aient des numérations leucocytaires et plaquettaires normales ou basses et des taux d’aminotransférase élevés6,7. Les études virales et les biopsies des muscles ou une myélographie ne devraient pas être faites systématiquement.
Les études par imagerie ne devraient être utilisées que pour exclure d’autres diagnostics. Parmi les indications de procéder à une imagerie se trouvent des inquiétudes entourant un traumatisme, l’ostéomyélite, une tumeur maligne ou une thrombose veineuse profonde. L’imagerie par résonance magnétique pourrait servir de moyen non invasif de confirmation, mais elle n’est pas actuellement recommandée12.
Il n’existe pas de lignes directrices précises sur les investigations à faire chez les enfants soupçonnés de souffrir d’une MBAI. En se fondant sur 5 cas dans des séries rétrospectives et une recherche documentaire, Agyeman et ses collègues ont proposé de confirmer la MBAI en utilisant les taux de CPK et des études virales5. Chez les enfants dont l’état s’aggrave rapidement ou dont les symptômes ne disparaissent pas après quelques jours, les chercheurs suggèrent de procéder à des études de la fonction urinaire et rénale afin d’exclure la possibilité d’une rhabdomyolyse et d’une insuffisance rénale. Tippett et Clark ont recommandé d’inclure dans les analyses un hémogramme habituel complet, les taux de protéines C-réactives, les taux de créatine kinase, des tests de la fonction hépatique, ainsi que la mesure des myoglobines urinaires, tous dans l’intention d’exclure d’autres processus pathologiques plus inquiétants1.
Prise en charge
Le rétablissement clinique devrait se faire en 3 jours en moyenne7,9,10 et peu de patients, s’il en est, nécessitent une admission à l’hôpital. Dans une vaste étude prospective canadienne portant sur 2 saisons grippales, 5 sur 26 enfants de 5 à 15 ans ont été hospitalisés. Seulement 1 enfant a eu une maladie prolongée avec des douleurs intermittentes aux jambes et des anomalies dans la démarche pendant 7 semaines, tandis que tous les autres se sont complètement rétablis après 2 ou 3 semaines7. Moon et ses collègues ont signalé un établissement de 100 % des patients, de même qu’Agyeman et ses collaborateurs dans leur analyse rétrospective de 5 patients5,9. Dans une série de cas portant sur 4 enfants ayant une MBAI associée au H1N1, aucun d’entre eux n’a été hospitalisé et tous se sont complètement rétablis en 4 jours en moyenne10, en dépit du fait que le syndrome de la grippe de souche A soit notoirement plus sévère que celui des autres virus5,6.
La rhabdomyolyse est une complication de la MBAI rarement signalée. Dans une revue, 10 patients sur 316 ont développé une rhabdomyolyse, dont 8 qui avaient une insuffisance rénale5. Tous les patients se sont rétablis, sauf 1 qui avait comme facteur de prédisposition un déficit héréditaire de carnitine palmitoyltransférase5,13. La rhabdomyolyse était 4 fois plus probable chez les filles que les garçons, et 86 % de tous les cas étaient associés à la grippe de souche A5. On a signalé un syndrome des loges chez 2 des 311 patients étudiés et on a documenté une incapacité permanente chez 1 patient5. Il faut admettre à l’hôpital les enfants atteints de rhabdomyolyse pour le monitorage de la fonction rénale, afin d’assurer un diagnostic en temps opportun d’une insuffisance rénale aiguë, d’anomalies dans les électrolytes ou du syndrome des loges5.
Lorsqu’un diagnostic sérieux est exclu, il est possible de prendre en charge en externe les enfants souffrants de MBAI avec des analgésiques et un suivi clinique et en laboratoire approprié dans 2 à 3 semaines11. La récurrence n’est pas courante6, mais elle a été rapportée dans 10 des 311 cas à l’étude dans un rapport5. Les antiviraux ne seraient probablement pas bénéfiques10. Il reste à établir s’il existe un lien entre la vaccination antigrippale et la MBAI2.
Conclusion
La myosite bénigne aiguë infantile est un processus sans gravité, spontanément résolutif, dont le diagnostic peut être posé cliniquement. S’il y a une faiblesse musculaire ou des constatations neurologiques anormales, des signes d’inflammation, un manque d’amélioration après 3 jours ou des douleurs asymétriques aux extrémités inférieures, la MBAI est improbable et il faudrait rechercher un autre diagnostic1. On devrait prescrire aux patients un hémogramme de dépistage et une mesure de la myoglobine dans l’urine pour confirmer le diagnostic, exclure d’autres possibilités plus dangereuses et prévenir des complications. La myoglobinurie est rare et, lorsqu’elle se produit occasionnellement, les patients devraient être hospitalisés pour un monitorage. Les parents et les professionnels de la santé devraient être rassurés puisque le pronostic d’une MBAI est excellent, et les patients peuvent être pris en charge efficacement avec des analgésiques à la maison. Un suivi clinique peut être prévu pour confirmer le rétablissement clinique et la normalité des analyses de laboratoire après 2 semaines.
Notes
PRETx Pediatric Research in Emergency Therapeutics
La Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. La Dre Magee est membre et le Dr Goldman est directeur du programme PRETx. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifié Mainpro+. Pour obtenir des crédits, rendez-vous sur www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the May 2017 issue on page 365.
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