Si tout semble maîtrisé, c’est que vous n’allez pas assez vite.
Mario Andretti
L‘automne dernier, j’ai reçu Barbara à ma clinique, une femme de 63 ans qui a reçu l’an dernier un diagnostic d’une forme agressive du cancer du pancréas. Son cancer s’est récemment propagé au foie, et son oncologue lui a recommandé de s’inscrire à un essai clinique sur un nouveau schéma chimio-thérapeutique. Envahie par la peur et l’incertitude, elle a pris rendez-vous avec moi, son médecin de famille de longue date, pour discuter de ses options. Elle m’avait fait parvenir auparavant un exemplaire du protocole de traitement pour me donner le temps d’examiner les risques et les bienfaits, et de réfléchir aux questions à lui poser pour l’aider à prendre une bonne décision.
Le même jour, j’ai vu David, un homme de 54 ans, qui venait pour son examen médical périodique. Il s’inquiétait surtout du dépistage du cancer de la prostate, étant donné qu’un de ses collègues venait de recevoir un diagnostic de la maladie.
Lorsque j’étais plus jeune, que je dirigeais le service de médecine familiale dans un hôpital universitaire achalandé du centre-ville, et que j’établissais ma pratique et une carrière universitaire tout en jonglant avec les rôles et responsabilités liés au fait d’élever 3 jeunes enfants, la citation de Mario Andretti comptait parmi mes favorites. Durant les 15 premières années de ma pratique, les choses étaient rarement maîtrisées.
En rétrospective, chaque heure de ma vie professionnelle était divisée en portions de 15 minutes, et j’avais l’impression que la journée était une succession de courses contre la montre. C’était largement attribuable au mode de rémunération à l’acte qui était arbitrairement déterminé par les codes des services d’assurance, fondés sur la complexité du diagnostic, un modèle capitaliste où l’argent est lié à une horloge1. Il en résultait une façon de penser du type « une visite, un problème », et un manque d’attention devenu épidémique dans notre société2. Le modèle fonctionnait assez bien si le problème était simple, comme une éruption cutanée, une otite ou un mal de gorge, mais pour la majorité de mes patients, ce n’était probablement pas suffisant3.
Il y a près d’une décennie, avec l’instauration des équipes de santé familiale en Ontario et l’adoption d’un mode de rémunération par patient, qui coïncidaient avec les dossiers médicaux électroniques dans notre clinique, j’ai été forcé par un heureux hasard de pratiquer ce que j’appelle la médecine lente : réduire le nombre de patients vus durant une journée pour m’adapter aux changements considérables dans notre modèle de soins. Or, comme avec la plupart des bonnes idées, quelqu’un d’autre y avait pensé bien avant moi. Comme le mouvement « slow food », la médecine lente nous vient de l’Italie et a pour origine la publication d’un article dans l’Italian Heart Journal préconisant une approche plus réfléchie à l’égard des interventions cardiaques4. Le mouvement de la médecine lente a pris son essor, surtout en Europe, et il a pour principes fondamentaux, entre autres, de prendre le temps d’écouter et de comprendre, d’individualiser les soins, de prendre des décisions partagées et d’insister sur la « santé positive »5,6.
Pour le médecin de famille que je suis ayant une population de patients vieillissante, quotidiennement confronté à des problèmes de santé complexes et interconnectés, la possibilité de pratiquer la médecine lente a été une bénédiction. Les bienfaits de la médecine lente ont été nombreux, tant pour mes patients que pour mo : être plus attentif et entièrement présent à chaque rencontre, utiliser davantage la narration8–10 et une approche tenant compte des traumatismes dans les soins que je dispense11, et avoir le temps d’aider mes patients à prendre d’importantes décisions médicales, comme celle de s’inscrire ou non dans un essai clinique sur la chimiothérapie, ou de m’impliquer pleinement dans la prise de décisions conjointe en matière de prévention, comme celle de subir ou non un dépistage du cancer de la prostate (page e299)12.
Il y a tant de facteurs en jeu lorsque nous pratiquons indûment la médecine rapide et que nous omettons de ralentir quand c’est nécessair : regret chez la personne, regret chez le médecin et oubli de savourer le travail significatif que nous faisons.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada