Légalisation de la marijuana… Où est Charlie ?
Par les temps qui courent, il me semble qu’il n’y a pas une journée qui passe sans que l’on entende parler de cannabis ou de marijuana. Partout, à tout moment, à tout bout de champ (c’est le cas de le dire!), on dirait qu’il n’est question de cela.
Tenez, il suffit de se promener en ville pour apercevoir l’annonce de Weedmaps, cette application qui fait la promotion d’un service de livraison du pot par la poste n’exigeant aucune ordonnance médicale, placardée un peu partout1.
Il y a quelques jours, on nous apprenait que le plus grand producteur de tomates roses en Amérique du Nord convertissait ses installations de Mirabel en serres de production de cannabis biologique2. Bye bye tomates — Bienvenue pot!
Récemment, on nous annonçait que les ministres des finances fédéral et provinciaux s’étaient entendus sur la répartition des recettes des taxes reliées à la vente de la marijuana : les provinces recevront 75 % du pactole et Ottawa aura le reste3. Toute une affaire quand on considère que la valeur du marché noir du cannabis représentait 6,2 milliards de dollars en 2015, soit l’équivalent du deux tiers du marché de la bière et près de 90 % de celui du vin4. Dès lors, on comprend l’intérêt soudain des gouvernements pour cette nouvelle manne. Toutefois, cela fait bizarre de voir des ministres saliver devant les profits gargantuesques qu’engrangera la vente d’une substance qui est toujours interdite et dont la simple production ou consommation pouvait (peut encore?) nous valoir l’emprisonnement.
Et puis, même le Collège des médecins de famille du Canada semble avoir pris le virage marijuana. Lors du dernier Forum en médecine familiale qui s’est tenu à Montréal en novembre 2017, il n’y avait pas moyen de sillonner les allées du hall d’exposition sans tomber sur un kiosque de vendeurs d’herbe5, le pot se trouvant maintenant au même rang que les médicaments et les appareils médicaux brevetés, et même que l’engagement dans les Forces armées.
Tout un changement quand on pense que la substance était (et est encore) formellement interdite sauf dans des situations bien particulières. Une substance que nous-mêmes, médecins de famille, ne pouvions pas ni recommander ni prescrire même à nos patients qui se disaient pourtant soulagés par sa consommation et qui en fumaient sur le perron de nos cliniques. Une substance tellement honnie que les rares médecins qui s’aventuraient à la prescrire devaient le faire dans des circonstances contrôlées ou dans le cadre de projets de recherche souvent inaccessibles.
Mais ce qui surprend le plus dans cette affaire, c’est le silence de la santé publique et des organismes consultatifs chargés de nous rappeler les risques reliés à la consommation de marijuana. En effet, la substance n’est pas exempte d’effets indésirables : sédation, excitation, dysphorie, désorientation, confusion, ataxie, vision embrouillée, tinnitus, et autres. Certaines méta-analyses et revues systématiques de la littérature rapportent que le «Nombre nécessaire pour nuire» (Number needs to harm) va de 1 sur 5 à 1 sur 10. Sans compter tous les dommages collatéraux potentiels notamment le cancer du poumon (comment fumer du tabac serait-il si dangereux et pas fumer du cannabis?) et les accidents par véhicules automobiles. Face à pareil palmarès, n’importe quel autre médicament ou substance aurait été banni et retiré du marché depuis longtemps.
Toutefois, la question n’est pas d’être pour ou contre la légalisation de la marijuana. Celle-ci se fera, peu importe que nous soyons d’accord ou non, mais bien de se demander où sont les organismes sanitaires chargés de faire la lumière sur les avantages et les risques liés à la consommation de marijuana. On a l’impression actuellement que tous — les politiciens, les juristes, les hommes d’affaires, les médias, les producteurs, les détaillants et évidemment les consommateurs — s’en donnent à cœur joie, sauf… les professionnels de la santé qui ne semblent pas passer la rampe.
Bizarre que cela!
Ce qui m’amène à me demander : où est donc passée la santé publique? Où est donc Charlie6?
Références
5. https://fmf.cfpc.ca/wp-content/uploads/2017/01/Fast-Facts-2017_FRE.pdf
6. https://fr.wikipedia.org/wiki/O%C3%B9_est_Charlie_%3F