S’occuper des adolescents : trop de trouble !
« Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain. Parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible … Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne peut être loin. »
On crie « LA JEUNESSE EST NOTRE AVENIR! » Y croit-on vraiment ? Y croirait-on qu’on se questionnerait « pour vrai » sur l’organisation des soins et des services …
En 1993 le CMFC avait commis un rapport sur les soins aux adolescents : « De la graine à l’arbre … pas facile d’être jeune »1 . De la série de constats, on recommandait d’améliorer les services et l’expertise auxquels devraient avoir accès les ados via, entre autres, la formation pré et post doctorale mais particulièrement en lien avec le leadership que doivent assumer les médecins de famille. Dans quelle mesure le Collège a-t-il pris son rôle de leader pour véhiculer ses propres valeurs?
Les jeunes sont actuellement une population vulnérable. Ils meurent de maladies évitables : accidents et suicides sont encore en tête de liste. De plus, ils auront vraisemblablement une espérance de vie inférieure aux générations qui les ont précédées : l’obésité, le sédentarisme, les mauvaises habitudes de vie nous conduisent tout droit vers une augmentation des problèmes de diabète et de maladies cardio-vasculaire. Le taux de maladies chronique des ados est désespérément stable aux environs de 20% mais s’achemine vers une détérioration.
Si les médecins et les gestionnaires de la santé veulent être certains d’avoir du travail en 2040 ils n’ont qu’à continuer à ne pas s’occuper de la santé des jeunes. En 2004 j’avais publié un « Éditorial »2 où je dénonçais le peu d’évolution qu’il y avait eu en santé des jeunes depuis le rapport de 1993 du CMFC. De plus, je faisais ressortir l’infime proportion de fonds de recherche dédiés aux ados : sur l’ensemble des fonds consacrés aux jeunes (0-18ans), les ados devaient se contenter de 1% en santé physique et de de moins de 5% en santé sociale3. Ils représentent quand même environ 14% de la population canadienne! Y a-t-il une distorsion? On n’a pas de données probantes… C’est vrai : il y a peu de fonds de recherche dédiés aux jeunes... pourquoi ?? On n’a pas d’évidence de problème … parce qu’il n’y a pas de recherche …Et la roue tourne …
Le texte en exergue écrit par Hésiode, il y a plus de 2500 ans, et décliné par Socrate, Shakespeare, Pascal au cours des siècles, démontre que la relation entre les ados et la société a toujours été empreinte d'une certaine complexité voire d’une relation Amour-Haine … Même Pierre Bougault en a ajouté4!
S'il est facile d'aimer la fragilité des nourrissons, la naïveté des enfants, il faut aussi reconnaître que les baby-boomers et les têtes blanches possèdent le pouvoir économique et celui de voter. Qui est prêt actuellement à reconnaitre la vulnérabilité des ados et leur potentiel en devenir?
Si un ado entre dans votre clinique, se sent-il accueilli au même titre que vos autres patients?5 Dans votre bureau, est-il en contact avec un clinicien raisonnablement compétent, soucieux de sa santé et qui le traitera avec la crédibilité à laquelle il peut s’attendre?6,7 Quand il en sortira, dira-t-il a ses amis « Allez voir ce médecin c’est quelqu’un de ben correct »? Et vous, aurez-vous l’impression d’avoir bien fait votre travail et de l’avoir fait avec bienveillance ??
Nous sentons-nous professionnellement responsables envers cette clientèle manifestement vulnérable ? « Choisir avec soin », l’AMM, les soins palliatifs, la médecine rurale.
Vous vous occupez déjà sans doute de bien des clientèles avec des besoins particuliers … allez-vous abandonner les ados? Trop de trouble !
Références
1. Banks, A., Tingley,R., Lambert,Y. et al. De la graine à l'arbre, pas facile d'être jeune. Le Collège des médecins de famille du Canada. ISBN 0-921413-0 50p.
2. Lambert, Y. Éditorial, Canadian Family Physician. Le Médecin de famille canadien VOL 50: AUGUST - AOÛT 2004, 1071-3.
3. Dont environ 80% en lien avec la délinquance
4. « Si les gens ne font plus d'enfants, c'est qu'ils ne veulent plus d'adolescents. »Bourgault, doux-amer (1992)
5. Ambresin AE1, Bennett K, Patton GC, Sanci LA, Sawyer SM. Assessment of youth-friendly health care: a systematic review of indicators drawn from young people's perspectives. J Adolesc Health. 2013 Jun;52(6):670-81. doi: 10.1016/j.jadohealth.2012.12.014.
6. OMS Services de santé adaptés aux adolescents . 2002 http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/69750/1/WHO_FCH_CAH_02.14_fre.pdf consulté 2018-02-06