Consultations manuscrites illisibles des spécialistes : cela doit cesser
Vous arrive-t-il de recevoir des rapports de consultations complètement illisibles ?
35 ans de pratique laissent de bons souvenirs, par exemple les magnifiques rapports de consultation d’alors, tapés avec rapidité par les secrétaires personnelles des médecins spécialistes. Ces secrétaires passaient leur semaine à collecter les bandes audios de « leur médecin » dont elles connaissaient la moindre intonation. Ces rapports détaillés étaient envoyés rapidement dès que signés, la même semaine habituellement.
Aujourd’hui, malgré l’avènement des nouvelles technologies médicales (envois internet de fichiers audio, ordinateurs performants, systèmes de dictées basés sur la voix, dossiers électroniques) plusieurs spécialistes régressent, en milieu urbain surtout où l’anonymat les préserve de confrontations désagréables avec leurs confrères généralistes. Les systèmes de dictée médicale sont encore loin de la perfection (temps pour apprendre à l’utiliser, erreurs à corriger, intégration complexe des noms des médicaments) mais ils sont beaucoup plus performants et utiles qu’une consultation illisible. Quand nous recevons leurs rapports, quelquefois des semaines plus tard, ce sont trop souvent des lettres manuscrites pâles (la fameuse 2e copie carbone) et mal écrites, donc illisibles.
Lorsque nous sommes inquiets pour notre patient envoyé en consultation pour une condition sérieuse, lorsque nos connaissances en première ligne ne suffisent pas à le traiter de façon sécuritaire, lorsque le traitement est négligé faute de pouvoir lire le rapport, lorsque le patient paniqué n’a pas saisi les explications du spécialiste, nous sommes captifs de confrères qui ne réalisent pas les conséquences de leur « illisibilité » pour le médecin de famille et son patient.
Ceci est d’autant plus frustrant que la plupart des médecins de famille se forcent maintenant à « taper » leurs notes dans leur dossier médical électronique, un grand défi pour les plus âgés. De plus, les médecins de famille se sont équipés à grands frais de dossiers médicaux électroniques et de prescripteurs pour offrir des demandes de consultations et des sommaires complets faciles à lire, de façon à réduire les erreurs et aider le spécialiste lors de la visite du patient. Toutefois, soyons honnêtes, bien des spécialistes reçoivent aussi des médecins de famille des demandes de consultations griffonnées elles aussi illisibles, sans aucune information pertinente sur le patient pourtant connu depuis des années. La frustration des spécialistes est certainement aussi justifiée que la nôtre.
On ne demande pas aux médecins spécialistes de développer une calligraphie manuscrite d’artiste dans le feu d’une journée d’hôpital débordée, car nous savons tous combien la hâte déforme l’écriture : on leur demande tout simplement « d’agir avec diligence », donc de taper ou de dicter leurs consultations pour la faire parvenir rapidement au médecin de famille, obligation qui fait partie du code de déontologie médical1.
L’Ordre des pharmaciens du Québec a récemment déposé une plainte contre l’illisibilité des prescriptions médicales : les médecins de famille devraient-ils faire la même chose pour les consultations spécialisées ?
Quelles stratégies utilisez-vous pour faire comprendre au consultant votre difficulté à déchiffrer sa consultation spécialisée et recevoir rapidement les renseignements pertinents ?
Pour ma part, je ne dérangerai pas le spécialiste par téléphone d’autant plus qu’il n’a pas en main le dossier lors de l’appel : je télécopie (fax) plutôt sa consultation en encerclant les portions illisibles et en lui demandant simplement d’écrire de nouveau ces lignes. Je laisse aussi sur la télécopie mon numéro de cellulaire lorsque le cas est urgent, mais peu s’en servent malheureusement. Je classe ensuite le document illisible (papier ou numérique) en écrivant « illisible » en signant, par souci de légalité. Et bien sûr, ce consultant ne sera probablement plus sur ma liste de consultants « préférés », car j’estime que le contenu d’une consultation est essentiel au suivi du patient, à court, mais aussi à long terme.
Engager à ses frais une secrétaire personnelle couvrant tous les milieux de soins où l’on travaille, hôpital y compris, ne devrait pas être un obstacle financier infranchissable en ces années de revenus augmentés. Les médecins spécialistes (et certains médecins de famille) auraient beaucoup à gagner s’ils adoptaient ce système simple, efficace et déductible d’impôt retrouvé dans la très grande majorité des services canadiens et européens de santé : ils y gagneraient un respect mutuel entre professionnels et une sécurité accrue pour les patients.
1. Code de déontologie des médecins- Québec 2017 ; http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cr/M-9,%20r.%2017/
Article 113. Le médecin doit répondre à une demande de consultation émanant d’un médecin et doit lui fournir, avec diligence et par écrit, les résultats de sa consultation et les recommandations qu’il juge appropriées. D. 1213-2002, a. 113 ; D. 1113-2014, a. 26.