Fin de la signature médicale
Je me souviens de mes débuts de pratique médicale où la signature médicale faisait foi de tout. On signait toute la journée, méticuleusement et fièrement, nos prescriptions, nos notes et bien sûr nos demandes d’examens. Ceci avait été bien sûr précédé de la « création » de « notre signature », une étape essentielle du passage à l’âge adulte qui permettait d’ouvrir un compte de banque et de se trouver un emploi : des semaines à enjoliver et déformer esthétiquement notre nom pour se créer une identité supposément unique.
35 ans plus tard nous sommes arrivés fort heureusement à la « fin de la signature », surtout pour les médecins. Fini la crainte de se faire voler une tablette de prescriptions par un patient habile à imiter ensuite notre signature. Fini les « gribouillis » illisibles sortis de nos stylos pour donner une pseudo légitimité à nos prescriptions. Les dossiers médicaux électroniques ont révolutionné nos pratiques et amélioré considérablement notre lisibilité.
Mais notre « système » de la santé semble déphasé dans cette évolution pratique : combien de fois avons-nous été témoins de l’exigence obstinée face à cette marque de notre rôle professionnel, de notre signature « de docteur » à apposer impérativement sur des documents pourtant clairement imprimés à partir d’un dossier sécurisé à notre nom.
Après plusieurs refus de commis (obéissant à leurs supérieurs) devant certaines de mes prescriptions numériques tapées mais non signées, documents où l’erreur associée à ma calligraphie relâchée était évitée, j’ai décidé de « tester » la véritable valeur de ma signature. Avez-vous déjà signé dans un registre hospitalier de compilation des signatures médicales ? Un non-sens, en régions urbaines surtout, où notre clientèle consulte dans plus de 10 différents hôpitaux différents.
J’ai décidé de « tester le système » en modifiant à l’infini sur plusieurs années ma « signature », jusqu’à parvenir à de simples abréviations majuscules de mon nom (GD) sans aucun effet de style ni de calligraphie. Une seconde à « signer » : quelle délivrance ! Une seconde aussi après avoir imprimé en urgence à partir de mon dossier électronique une demande d’examen perdue par le patient, document numérique accompagné, pourquoi pas, d’un petit coup d’étampe encrée, « preuve » rassurante de la « véracité » de la prescription.
Je partage ici avec vous, en toute honnêteté, le résultat de « recherches » observationnelles sur plusieurs années quant à l’utilité de ma signature médicale : une réquisition sur deux signée de façon différente dans les mêmes laboratoires n’a posé aucun problème. Tout est accepté, sauf l’absence de signature au stylo. L’évidence est robuste : nos valeureux commis n’ont absolument pas le temps de compulser le « fichier manuscrit des signatures médicales » pour vérifier l’authenticité de chacune de nos réquisitions. Par-contre, ils apprécient grandement les prescriptions numériques, où chaque élément coché est lisible et moins sujet à erreur.
Bienvenue en 2018
Nos établissements devraient former le personnel à reconnaître une prescription provenant d’un prescripteur électronique, une prescription qui a traversé un rigoureux parcours de sécurité qui dépasse largement la signature manuscrite sur un « pad » de prescription vierge : le nom d’utilisateur avec le mot de passe pour accéder à l’ordinateur du travail, le nom d’utilisateur et le mot de passe pour accéder au dossier médical électronique, l’impression avec l’ensemble des informations relatives au médecin (numéro de pratique, lieu et adresse de pratique, télécopieur, téléphone), une foison d’informations utiles et lisibles pour les commis et les pharmaciens qui les reçoivent.
Fin de la prescription médicale manuscrite ?
Hormis dans le contexte de formulaires remplis à la main, où on doit apposer ensuite notre étampe avec nos informations complètes alors que nous rêvons de formulaires unifiés, des prescriptions manuscrites de médecins qui ne sont pas encore informatisés et des prescriptions effectuées lors des visites à domicile, il ne devrait plus y avoir d’exigence de signatures manuscrites sur un document sécurisé numérique, que ce soit en GMF, en longue durée ou en hôpital. Si le document sort d’un prescripteur homologué le médecin ne devrait plus être obligé de le signer manuellement.
L’informatisation de nos prescriptions est une grande avancée dans le travail interprofessionnel, pour les commis mais aussi pour les autres professionnels de la santé. Finies les erreurs dramatiques causées par notre désastreuse calligraphie de professionnels à la course1,2. Je pense ici à nos confrères pharmaciens qui passent un temps extraordinaire à tenter de déchiffrer nos griffonnages alors qu’eux nous envoient des télécopies lisibles et sécurisées.
La mauvaise écriture des médecins peut tuer : il y a un impératif de lisibilité auquel répond l’utilisation systématique tant que possible d’un prescripteur électronique. De plus, simplifions au maximum notre signature manuscrite sur les très nombreux documents médicaux à signer manuellement puisque cette signature ne sera pas scrutée pour correspondre au « fichier de signatures ». Une simple abréviation ? Pourquoi pas ! Et il est temps maintenant de militer pour des formulaires uniques intégrés aux gabarits de nos dossiers électroniques.
Références
1. L’Ordre des pharmaciens a d’ailleurs déjà déposé une plainte auprès du Collège des médecins, plaidant que l’illisibilité des prescriptions des médecins peut avoir des conséquences dramatiques.
2. Depuis 2007, 865 plaintes judiciarisées ont été déposées auprès du Fonds d’assurance responsabilité professionnelle de l’Ordre des pharmaciens pour des erreurs de lecture de prescriptions médicales.