Si la décision partagée est si efficace, pourquoi l’ignorons-nous?
On définit la décision partagée comme étant « une approche par laquelle, lorsque vient le temps de prendre une décision, les cliniciens et les patients partagent les meilleures données disponibles tout en encourageant les patients à examiner les différentes options, afin d’en arriver à une décision conforme aux préférences des patients »1.
De nombreux cliniciens vous diront qu’ils exercent déjà leur profession ainsi. Mais posez-vous la question: pratiquez-vous vraiment en favorisant l’auto-détermination des patients?
Lorsqu’il s’agit de prendre une décision de soins, il est primordial qu’une information équilibrée (bénéfices – préjudices) soit transmise aux patients de façon à favoriser leur réflexion en lien avec leurs valeurs personnelles. Le but est de permettre une décision qui fait du sens pour le patient. Les études démontrent que les patients qui prennent des décisions selon cette approche regrettent moins leurs décisions, ont plus de chance de considérer avoir pris la bonne décision et sont plus satisfaits des soins qu’ils ont reçus2.
Ceci ne s’applique pas à ma pratique
La décision partagée n’est-elle pas au cœur de la médecine familiale? N’est-ce pas le concept central des soins axés sur le patient?
On estime qu’au moins 25% des décisions en soins de la santé devraient tenir compte des préférences et, par conséquent, faire l’objet d’une décision partagée3. Malgré cela, les études démontrent que les cliniciens tendent à discuter davantage des bénéfices que des préjudices sans demander l’opinion des patients4, ce qui démontre que la décision partagée n’est pas partie intégrante de nombreuses pratiques. C’est peut-être pourquoi plusieurs croient que cette approche s’applique mal dans le quotidien. L’intégration souhaitée de la décision partagée dans nos pratiques peut sembler un fardeau déconnecté de la réalité clinique, mais elle est centrale aux soins de santé.
Le temps qui manque
La décision partagée nécessite que l’on prenne du temps, et le temps est une rareté dans les soins de santé primaires. Pourtant il existe une abondance de littérature qui démontre que la décision partagée ne prend pas plus que quelques minutes dans la plupart des situations5. Le processus de la décision partagée peut en effrayer certains, mais il existe des outils pour surmonter ces craintes.
Un hôpital à Hanover, au New-Hampshire, a créé un centre de décision partagée qui accepte les références des médecins. Par exemple, un patient consulte un orthopédiste qui lui offre comme option une prothèse totale du genou. L’orthopédiste réfère ce patient vers ce centre, où grâce à une gamme d’outils d’aide à la décision, on le guide dans son choix6.
Qu’est-ce qui vous empêche d’imiter cette approche à plus petite échelle dans votre environnement? Une infirmière pourrait guider un patient dans ses décisions; par exemple, dans le choix d’une prochaine molécule pour gérer son diabète, la prise ou non d’une statine ou une décision concernant un dépistage.
Vous pourriez également fournir des documents à vos patients avant les consultations (via courriel ou lors de la visite précédente). Cette approche pourrait faciliter la tenue de discussions efficientes mais centrées sur les enjeux importants pour vos patients. Vous pourriez aussi faire des jeux de rôles avec vos collègues au sujet de certaines discussions fréquentes (décisions en matière de dépistage, par exemple). Vous pourrez ainsi améliorer progressivement vos connaissances et votre confiance, comme vous l’avez fait pour vos autres compétences. La série d’articles du MFC sur le sujet pourrait vous être utile.
Attention, une tendance inévitable
De plus en plus de lignes directrices recommandent une approche fondée sur la décision partagée. La plus récente ligne directrice du Groupe d’étude Canadien sur soins de santé préventifs sur le dépistage du cancer du sein place la décision partagée au cœur de ses recommandations. Par conséquent, nul parmi nous ne devrait simplement suivre une recommandation (pour ou contre) mais nous devrions plutôt, très souvent, faire appel à la décision partagée.
Annette O’Connor, une chef de file de la décision partagée au Canada et à l’étranger, a mené une des plus importantes initiatives de recherche au monde afin d’élaborer des outils pratiques pour les patients et les cliniciens. Elle a été aux avant-postes des travaux scientifiques sur la décision partagée, et elle a démontré comment cette approche peut faire une réelle différence2.
Même si d’autres travaux de recherche s’imposent pour déterminer la mise en œuvre optimale de la décision partagée et comprendre comment elle peut avoir le plus grand impact sur les issues cliniques7,8, il est essentiel que la décision partagée devienne une partie intégrante de la pratique de ceux et celles qui croient que les soins de santé devraient être au service du patient.
Guylène Thériault est vice-doyenne adjointe pour la formation décentralisée à l’Université McGill et responsable du volet Rôle du médecin au Campus Outaouais de McGill
Conflits d’intérêt – Aucun déclaré.
References
1. Elwyn G, Coulter A, Laitner S, Walker E, Watson P, Thomson R. Implementing shared decision making in the NHS. BMJ 2010;341:c5146. doi: 10.1136/bmj.c5146
2. Stacey D. et al. Decision aids for people facing health treatment or screening decisions. Cochrane Database of Systematic Reviews 2017, Issue 4. Art. No.: CD001431
3. Wennberg, John E. The Darmouth Atlas. Estimates based on Medicare claims done for the Institute of medicine. 2010
4. Fagerlin, Angela and al. Patients’ Knowledge about 9 Common Health Conditions: The DECISIONS Survey. Med Decis Making 2010;30:35S–52S
5. Legaré F.,Thompson-Leduc P. Twelve myths about shared decision making. Patient education and counselling 96 (2014) 281-286.
6. https://med.dartmouth-hitchcock.org/csdm_toolkits.html
7. Aubree Shay L., Elston Lafata J. Where is the evidence? a systematic review of shared decision making and patient outcomes. Med Decis Making. 2015 Jan; 35(1): 114–131.
8. Legare F. and al. Interventions for increasing the use of shared decision making by healthcare professionals. Cochrane systematic review database. July 2018.