Ma résidente a récemment exprimé ses inquiétudes concernant l’idée d’inclure l’obstétrique dans sa pratique future, cette imprévisible intrusion dans sa vie privée et son impression d’avoir à «mettre sa vie en attente». Le médecin de famille qui était son précepteur en obstétrique lui aurait répondu: «Endure! Je l’ai fait pendant des années et je le fais encore.» C’est ainsi que ma résidente, comme la plupart des résidents en médecine familiale canadiens, ne dispensera pas de soins pernatals. Elle n’aura pas fait l’expérience d’autres modèles de pratique familiale des soins de maternité qui auraient atténué ses inquiétudes, parce que son programme de résidence adhère aux critères d’agrément du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) sur la continuité des soins en obstétrique. En se fondant sur cette expérience de la résidence qui ne fait que confirmer ses préoccupations, elle choisit de ne pas faire d’obstétrique. Je ne pouvais m’empêcher de penser à la chanson de Queen «and another one gone, and another one gone, another one bites the dust». Encore une autre de perdue!
La prestation des soins pernatals au pays est en crise. Le CMFC à lui seul ne peut régler le problème grandissant du nombre insuffisant d’accoucheurs (médecins de famille, obstétriciens, sages-femmes), mais le temps est venu pour le Collège d’évaluer d’un œil critique ses propres critères d’agrément pour déterminer s’ils contribuent au problème.
Soins pernatals par des médecins de famille: la situation actuelle
Le pourcentage de médecins de famille canadiens qui offrent des soins obstétriques complets dans leur pratique a fléchi de 17,7% en 2001 à 12,9% en 20041,2. C’est une tendance universelle dans toutes les provinces3. Les motifs de l’abandon de l’obstétrique sont nombreux et complexes, mais les effets négatifs sur la vie personnelle sont toujours du nombre4–7. La baisse n’est pas seulement attribuable aux médecins de famille plus âgés qui cessent cette pratique. La proportion de médecins de moins de 35 ans qui offrent des soins pernatals est passée de 26% en 2001 à 18,5% en 20041,2. Les nouveaux diplômés n’incluent pas l’obstétrique dans leur pratique. Godwin et al. ont fait valoir que si 52% des résidents en médecine familiale avaient l’intention, au début de leur résidence, d’inclure l’obstétrique dans leur pratique, seulement 17% avaient toujours ce désir à la fin de leur résidence8. Biringer et ses collègues signalaient que seulement 16% de leur cohorte en Ontario pratiquaient l’obstétrique 2 ans après la résidence9. La croyance que l’obstétrique dérangeait trop la vie personnelle était un facteur prédictif du retranchement des soins pernatals de la portée de l’exercice8.
Contrat social: les engagements déclarés du CMFC
Le CMFC a le contrat social de produire des diplômés, dans ses programmes de formation, qui offriront des soins pernatals, un devoir de diligence envers les femmes de ce pays, qui est clairement énoncé dans la mission du Collège et les objectifs du Comité des soins de maternité et de périnatalité du Collège. La mission se lit comme suit: «Le Collège des médecins de famille du Canada (…) s’efforce d’améliorer la santé des Canadiens en (…) favorisant l’accès immédiat aux services dispensés par les médecins de famille»10. Le Comité des soins de maternité et de périnatalité compte parmi ses objectifs «d’aider à maintenir les médecins dans l’exercice des soins intrapartum» et de «conseiller le CMFC sur les normes applicables à l’enseignement des soins de maternité en médecine familiale au sein des programmes de formation approuvés par le CMFC»11. Ces déclarations témoignent d’un engagement envers les mères actuelles et futures au Canada, et manifestent l’intention de notre Collège que les médecins de famille dispensent d’excellents soins de maternité.
Le respect de cet engagement exige qu’un plus grand nombre de diplômés offrent des soins pernatals. Le Collège doit veiller à ce que les résidents n’abandonnent pas leur projet d’inclure l’obstétrique dans leur pratique future. Même s’il existe des causes qui échappent au contrôle du Collège (comme un remboursement insuffisant, le manque de soutien par les spécialistes et la crainte de poursuites devant les tribunaux), les facteurs qui relèvent de son contrôle doivent être examinés.
Répercussions des critères actuels d’agrément: une opinion
Les Critères pour l’agrément des programmes de résidence en Médecine familiale, en Médecine d’urgence, en Compétences avancées et en Médecine palliative12 (le livre rouge) décrivent les normes utilisées pour l’agrément de tous les programmes de résidence en médecine familiale au Canada. Les exigences spécifiques imposées au programme pour l’enseignement de l’obstétrique se lisent comme suit:
[L]es résidents inscrits dans les programmes de formation doivent avoir l’occasion de suivre tout au long de leur programme de deux ans des patientes enceintes (préférablement six ou plus) jusqu’à terme, y compris le travail et l’accouchement. De plus, le résident doit acquérir une expérience adéquate en spécialité obstétricale centrée sur le travail et l’accouchement. Il est important que cet apprentissage se déroule dans un contexte où exercent des médecins de famille12.
Il est bien démontré que les répercussions sur la vie personnelle sont un facteur qui décourage la prestation de soins pernatals. Les critères d’agrément actuels du Collège ne garantissent pas que les résidents font l’expérience de modèles de soins pernatals qui tentent de régler spécifiquement ce problème. Le Collège exige plutôt qu’ils fassent l’expérience d’un modèle centré sur la continuité des soins, qui affecte grandement la vie personnelle des médecins. Dans ce modèle, les résidents ont des médecins de famille précepteurs qui, pour la plupart, ont la traditionnelle habitude d’être disponibles pour la majorité des accouchements de leurs propres patientes suivies en soins prénatals. Le Collège semble insister seulement sur le modèle de la continuité des soins prénatals et pernatals en demandant que les résidents suivent au moins 6 femmes durant toute leur grossesse. On présume que l’expérience positive de cette continuité des soins inspirera les résidents à offrir des soins obstétricaux. Or, les données scientifiques démontrent le contraire. Le suivi de ce nombre arbitraire de 6 femmes n’a aucun lien avec le choix ultérieur des résidents d’inclure l’obstétrique dans leur pratique8. Même si des programmes de résidence mènent des projets expérimentaux avec d’autres modèles, ils sont présentement contraints par les critères d’agrément d’avoir la continuité au centre de n’importe quel modèle de soins pernatals.
Dans ce concept consacré de la continuité des soins, nous avons imposé un modèle irréaliste et non viable qui décourage la pratique future des soins de maternité. Nous sacrifions la nature complète des pratiques futures. Les jeunes médecins sont pragmatiques.
Il faut élaborer et évaluer de nouveaux modèles. Pour ce faire, le Collège doit produire des critères d’agrément réalistes et visionnaires. Si la recherche en cours, comme le projet Babies Can’t Wait, pouvait éventuellement servir à concevoir de nouveaux modèles, le Collège devrait changer dès maintenant son insistance sur la continuité des soins dans la formation en obstétrique. Il devrait immédiatement encourager les programmes de résidence à offrir diverses options d’expérience en soins de maternité, de manière à ce que les importantes préoccupations des résidents entourant leur mode de vie soient atténuées. Ce faisant, nous pourrions espérer regagner les résidents que nous perdons actuellement durant la formation.
Nouveau modèle
D’autres modes de pratique aident à soutenir la longévité des accoucheurs en obstétrique7,13–15. David Price et ses collègues ont décrit la réussite du Centre de maternité à Hamilton, en Ontario16. Les soins prénatals partagés et des quarts spécifiques de service en soins pernatals sont des ingrédients primordiaux dans leur modèle, permettant aux médecins de faire ce travail épanouissant tout en préservant leur vie personnelle. La clé de la réussite dans ce modèle se situe dans la prévisibilité. Les médecins de famille assistent aux accouchements durant des quarts de service de 12 à 24 heures satisfaisants, prévisibles et prévus à l’horaire. Une telle façon de faire pourrait inciter les résidents à inclure les soins pernatals dans leur pratique, mais ils doivent avant tout en faire l’expérience durant leur résidence. Il faut ensuite évaluer la réussite de telles options.
Il faudrait reformuler les règles d’agrément des programmes de résidence du Collège, non seulement pour permettre, mais aussi pour exiger l’intégration de modèles différents de soins pernatals dans tous les programmes de résidence en médecine familiale. Il faudrait imposer aux programmes d’assurer que tous les résidents ont le choix defaire l’expérienced’un modèle de soins prénatals et pernatals avec des médecins de famille précepteurs, modèle qui insiste sur la prévisibilité et la responsabilité partagée plutôt que sur la continuité des soins. Il ne faudrait plus exiger des résidents qu’ils suivent les 6 femmes magiques durant toute leur résidence. Ils pourraient plutôt choisir d’être affectés au service d’obstétrique avec leur médecin de famille précepteur lors de journées prévues à l’horaire durant leurs stages de base en médecine familiale (et non pas seulement durant le stage en obstétrique). Durant ce quart, le résident et son superviseur assisteraient à tous les accouchements des patientes inscrites auprès des médecins de famille. Les résidents feraient l’expérience d’un modèle de travail médical satisfaisant sur le plan intellectuel, technique et émotionnel, qui puisse aisément être intégré dans leur vie personnelle et professionnelle. La perte de continuité inhérente à ce modèle pourrait être compensée par l’augmentation de la prestation de soins complets par de nombreux nouveaux médecins de famille. Pour nos résidents, nous devons servir de modèles à imiter quant à la viabilité des soins de maternité. L’ancien modèle offrait d’excellents soins centrés sur la patiente, mais à un nombre relativement réduit de femmes. Le modèle proposé fournit d’excellents soins à un plus grand nombre de femmes par plus de médecins de famille.
En me fiant aux expériences des médecins de famille satisfaits qui se servent de ce modèle16, je prévois que la proportion de résidents diplômés en médecine familiale qui incluent l’obstétrique pernatale dans leur pratique pourrait augmenter. Cela vaut la peine d’essayer. Nous savons que la façon de procéder actuelle n’inspire pas les résidents à pratiquer l’obstétrique. Nous devons raviver l’intérêt chez les résidents qui ont abandonné l’idée de la pratique future des soins de maternité en raison de leurs expériences actuelles durant la résidence. Il faut changer maintenant les critères d’agrément pour permettre—ou même imposer—ce changement dans l’enseignement des soins de maternité dans les programmes de résidence en médecine familiale au pays.
Remerciements
Je remercie Mme Julie Greenall et Drs David McKnight et June Carroll de leur aide pour la rédaction de cet article.
Footnotes
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les opinions exprimées dans les éditoriaux sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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