Récemment, mon beau-frère me racontait qu’il était allé à la quincaillerie pour acheter une bouteille d’herbicide. Or, comme vous le savez, de nos jours se procurer de tels produits n’est pas une mince affaire puisqu’ils sont maintenant mis sous sécurité dans un compartiment grillagé et verrouillé. Il lui fallut donc trouver le préposé, patienter le temps qu’on trouve la clé et daigne ouvrir le casier. Le jeune vendeur prit alors le flacon que mon beau-frère lui indiquait du doigt, le mis dans un sac cadenassé et le lui remis. Ce n’est qu’une fois rendu à la caisse, et la transaction complétée, qu’il pu finalement prendre possession de son «précieux» produit!
Évidemment, mon beau-frère pestait: «Coûte donc ça pas d’allure! Va-t-il falloir dorénavant appeler la police pour acheter une bouteille de Round Up? Faudrait-il que je défasse mon pavé uni pour arracher manuellement toutes les mauvaises herbes qui poussent entre chaque pierre». D’ailleurs, ces mesures de sécurité sont-elles vraiment nécessaires et efficaces? Contribuent-elles vraiment à un usage pondéré et raisonnable de ces substances? Ne servent-elles pas plutôt à nous donner bonne conscience. Et puis, si ces produits-là sont tellement dangereux, pourquoi les vend-t-on encore?
Il est vrai que l’usage des pesticides n’est guère rassurant. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir les 2 revues exhaustives de la littérature, publiées ce mois-ci dans le Médecin de famille canadien. Bassil et coll. ( page 1704) concluent que, «Les évidences scientifiques montrent qu’il existe un lien entre l’usage des pesticides et l’émergence de certains cancers, notamment ceux du cerveau, de la prostate et les cancers rénaux, ainsi que le lymphome non-Hodgkinien et la leucémie». Sanborn et coll. ( page 1712) arrivent à des conclusions tout aussi troublantes: «Les études révèlent une association étroite entre l’exposition aux pesticides et diverses atteintes neurologiques, génétiques et reproductives».
Pourtant, même s’il est facile de critiquer l’usage des pesticides voire même de réclamer leur interdiction, rares sont ceux qui tolèrent découvrir la moitié d’un vers qui frétille dans la pomme qu’ils viennent de croquer, l’autre portion étant déjà avalé! Tout comme de voir ses récoltes menacées par l’envahissement ou la destruction. C’est pourquoi, un usage parcimonieux et contrôlé est sûrement la meilleure alternative.
C’est un peu comme pour la formation médicale continue (FMC) sponsorisée par l’industrie pharmaceutique. A ce sujet, je vous invite aussi à lire le débat ( page 1654) intitulé «La FMC est-elle un outil de marketing? » mettant aux prises Steinman et coll. contre Marlow, ainsi que l’éditorial rédigé par Biron et coll. ( page 1643). Parmi les arguments évoqués par ceux qui pensent que les compagnies pharmaceutiques utilisent la FMC dans une optique promotionnelle, on retient les points suivants.
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La commandite par l’industrie de la formation médicale continue (FMC) s’accroît rapidement et elle représente actuellement près de 65% des recettes totales tirées des programmes de FMC aux États-Unis.
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En 2005, les activités de FMC offertes par les facultés de médecine américaines recevaient 60% de leur revenu total de l’industrie, une hausse considérable par rapport à 43% 5 ans plus tôt.
Évidemment, ces arguments font réfléchir. S’il est vrai que l’industrie pharmaceutique subventionne plus de 60% des budgets de FMC, on doit s’inquiéter. Dans n’importe quelle association, lorsque l’un des partenaires paie plus que sa part, il est d’usage qu’il en ait davantage pour son argent. Est-il nécessaire de rappeler que les compagnies pharmaceutiques ne sont pas des œuvres de charité, que les universités manquent d’argent et que les organismes responsables du développement professionnel continue doivent s’auto-financer. Dans ce contexte, laisser la FMC aux mains des forces du marché, et plus spécifiquement au bon vouloir des subventions de l’industrie, est très risqué. Il est probablement temps de penser à instaurer des mécanismes de contrôle particulièrement pour les champs visés par les nouveaux médicaments qui font l’objet de vastes campagnes de publicité.
Par contre, interdire toute forme de coopération avec l’industrie, n’est ni nécessaire ni même souhaitable. D’excellents programmes sont actuellement réalisés et dispensés. Malheureusement, plusieurs visent l’émergence de nouveaux créneaux diagnostiques ou la promotion pure et simple des nouveaux médicaments. C’est pourquoi, si j’étais le Ministre de la santé, je créerais un Comité consultatif consacré aux nouveaux médicaments, lequel aiderait les médecins à juger de leur valeur thérapeutique et mais surtout sociétale. Alors que le système de santé craque de toute part, que les coûts des soins sanitaires ne cessent d’augmenter et que ceux des nouveaux médicaments atteignent des sommets inimaginables, un tel groupe pourrait nous conseiller avantageusement, un peu comme le faisait le Groupe de travail sur l’examen médical périodique. Leurs avis n’étaient pas infaillibles mais ils étaient impartiaux et très utiles et appréciés. Et, je financerais ces travaux au moyen d’une redevance imposée lors de l’émission de l’avis de commercialisation pour tous les nouveaux médicaments.
Évidemment je ne suis pas Ministre de la santé. Je ne suis qu’un Médecin de famille. Et j’en suis fort aise!
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