Les aînés occupent, dans la société, une place démographique et économique de plus en plus importante. Etant donné la prévalence croissante de la démence toute cause confondue dans la population canadienne1, la gestion des atteintes cognitives chez les personnes âgées de plus de 65 ans représente un défi considérable pour l’organisation du réseau des soins de la santé.
Un tiers des lits d’un service médical de soins aigus serait occupé par des personnes âgées ayant une atteinte significative des fonctions cognitives2. Dans les unités d’évaluation gériatrique, milieu optimal pour la prise en charge des personnes âgées fragiles, plus de 50% des patients hospitalisés auraient un diagnostic identifiant des troubles cognitifs3.
Dans certaines conditions comme la démence, l’incontinence ou les chutes, les soins dispensés aux aînés sont fréquemment sous optimaux4. Toutefois, malgré une conscientisation à l’importance de l’atteinte des fonctions cognitives dans une population de plus en plus âgée et des traitements disponibles, leur détection et leur prise en charge en milieu hospitalier semblent toujours être insuffisantes5–7.
Dans un contexte de rareté des ressources, l’efficience et l’amélioration de la qualité des soins sont devenues des préoccupations majeures des gestionnaires et professionnels du réseau de la santé. Des indicateurs de qualité ont donc été développés afin de pouvoir mesurer de façon objective la qualité des soins. Comme le démontrent certaines études8–11, l’utilisation de ces indicateurs améliore l’adhérence aux recommandations édictées pour certaines conditions ainsi que la qualité des soins dispensés12. Toutefois, le bénéfice de leur application clinique reste encore à valider dans de nombreux domaines.
Afin d’harmoniser et améliorer les interventions cliniques, nous avons voulu, dans un premier temps, identifier des indicateurs de qualité spécifiques à l’évaluation et la prise en charge de l’atteinte des fonctions cognitives chez la personne âgée hospitalisée. Ces indicateurs seront utilisés par la suite pour mesurer la qualité des processus de soins dans une étude ayant cours dans l’ensemble des unités d’évaluation gériatrique du Québec13.
MÉTHODE
En vue d’obtenir un consensus sur la validité et la faisabilité des indicateurs de qualité, une méthode de type Delphi-modifiée (consultation itérative d’experts sur un sujet donné), inspirée par l’approche RAND, a été utilisée14.
Dans un premier temps, à l’aide des informations contenues dans la littérature scientifique, nous avons développé un algorithme (Figure 1) pour identifier chaque étape nécessaire au processus d’évaluation et de prise en charge de l’atteinte cognitive. Pour nous aider dans notre analyse de la pertinence des différentes étapes du processus de soins, nous avons appuyé nos recherches sur des recommandations édictées par des sociétés médicales concernées, que nous avons jugées proches de la pratique clinique au Québec15–21, ainsi que sur un certain nombre d’articles pertinents (Tableau 117,20,22–26). Puis, avec l’aide de 3 médecins gériatres associés au programme de recherche sur la qualité des soins en unité d’évaluation gériatrique et suivant l’algorithme, nous avons sélectionné, parmi les indicateurs ACOVE (Assessing Care Of Vulnerable Elders)27–29 22 indicateurs qui nous semblaient essentiels à une prise en charge optimale de l’atteinte des fonctions cognitives, lors de l’hospitalisation d’une personne âgée dans une unité d’évaluation gériatrique (Tableau 2).
Algorithme décisionnel du processus clinique pour l’atteinte des fonctions cognitives
Synthèse de la recension des écrits scientifiques pertinents à la prise en charge de l’atteinte des fonctions cognitives
Description des indicateurs de qualité selon leur dimension clinique
Dans un second temps, les indicateurs ont été soumis à un panel d’experts pour être validés. Les panélistes ont été choisis, à la fois en fonction de leur compétence clinique reconnue dans les troubles cognitifs et de leur expérience professionnelle auprès de la clientèle gériatrique hospitalisée. Sept médecins, dont 4 gériatres, 2 neurologues et un omnipraticien, chargés plus particulièrement de l’enseignement en soins aux personnes âgées et en démence et en poste dans des hôpitaux universitaires de 3 facultés de médecine du Québec ont participé au processus de validation des indicateurs.
Dans ce processus de validation, les indicateurs, accompagnés de preuves de la littérature ont été soumis, par envoi postal, au panel d’experts. Ils ont été présentés sous forme de fiches, accompagnés d’une documentation justificative. Dans tous les cas, la documentation était étayée par 3 lignes directrices sur l’évaluation et la prise en charge de la démence15,16,18.21.
Pour chaque indicateur, l’expert devait coter, sur une échelle de réponse de type Likert à 9 points (1—entièrement en désaccord; 9—entièrement en accord) son degré d’accord à des affirmations concernant la validité, la qualité et la nécessité d’être inscrit dans le dossier médical de chaque indicateur.
Chaque indicateur était jugé en fonction de 4 critères. Un indicateur était considéré comme valide si:
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des évidences scientifiques ou un consensus professionnel démontraient un lien entre le processus spécifié par l’indicateur et un bénéfice de santé pour le patient;
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l’indicateur était pertinent pour mesurer la qualité des soins aux personnes âgées vulnérables;
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il était établi que les dispensateurs qui adhéraient fortement à cet indicateur fournissaient des soins et services de meilleure qualité; et
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il était essentiel que l’information sur cet indicateur soit présente au dossier du patient.
Les analyses ont été basées sur la RAND/UCLA Appropriateness Method14, une méthode de mesures statistiques fréquemment employée et adaptée à toutes les tailles de panel. Pour qu’un indicateur soit retenu, il devait faire consensus selon les valeurs médianes, être situé dans le tertile supérieur (7 à 9) et recevoir l’agrément des experts. Les scores ont été enregistrés et les commentaires analysés. L’agrément entre expert a été déterminé par le taux d’accord ou désaccord défini par le calcul de l’IPR (InterPercentile Range, une mesure statistique de la dispersion d’une distribution) sur l’IPRAS (Interpercentile Range Adjusted for Symmetry) en utilisant comme borne inférieure et supérieure, le 33e et le 67e percentile respectivement. Si l’IPR était plus élevé que l’IPRAS, l’indicateur était côté comme étant en désaccord. Les indicateurs qui rencontraient un score moyen de moins de 3 ou un désaccord entre experts étaient éliminés d’emblée. Ceux qui avaient un score de 7 ou plus avec un accord entre experts étaient acceptés tels quels. Les indicateurs qui obtenaient un score intermédiaire étaient modifiés en fonction des commentaires apportés par les experts puis soumis au même panel pour un second tour.
RÉSULTATS
Sur les 22 indicateurs de qualité soumis à l’appréciation du panel d’experts, 21 (95%) ont été acceptés au premier tour comme valides pour l’évaluation et la prise en charge de l’atteinte des fonctions cognitives. Tous ont obtenu un score médian de 7 et plus, ainsi qu’un agrément entre experts. Un seul indicateur a obtenu un score médian de 5. Il a été modifié en fonction des commentaires puis soumis à nouveau au panel d’experts, qui l’a finalement accepté. Le Tableau 2 décrit les indicateurs de qualité en détail et selon leur appartenance à chaque étape du processus de soins.
L’indicateur rejeté lors du premier tour portait sur l’importance de communiquer avec le proche aidant du patient atteint de démence et de consigner le résultat de la discussion au dossier médical au plus tard 48 heures après l’admission. La majorité des experts a jugé qu’il n’y avait pas assez d’évidences scientifiques pour faire un lien entre le résultat spécifié par l’indicateur et l’obtention d’un bénéfice pour le patient, que l’indicateur n’était pas assez pertinent comme mesure de la qualité des soins et qu’il n’y avait pas de preuve que les dispensateurs qui adhéraient à cet indicateur fournissaient de meilleurs soins. Plus de la moitié des panélistes estimaient qu’il n’était pas nécessaire de consigner ces informations au dossier hospitalier et que le délai de 48 heures imparti était trop court. Cet indicateur a été modifié selon les commentaires du panel et accepté.
DISCUSSION
Le pourcentage élevé d’accord peut être expliqué par la sélection minutieuse des indicateurs faite avant la soumission aux experts. En effet, les indicateurs ont été majoritairement inspirés du projet américain ACOVE27 pour les personnes âgées vulnérables souffrant de démence, vivant dans la communauté ou hospitalisées. Ils étaient déjà passés par un processus de sélection quant à leur pertinence dans la prise en charge des atteintes des fonctions cognitives avant d’être retenus par notre équipe de recherche.
Comme le démontrent plusieurs études, il existe des avantages certains à utiliser des indicateurs de qualité ayant déjà été soumis à un processus de validation pour une condition donnée30–32. Toutefois cette démarche demande une certaine adaptation contextuelle des indicateurs, en fonction du pays ou du milieu étudié. Les indicateurs de qualité ont été modifiés pour être ajustés aux conditions de pratique hospitalière québécoises, avec l’appui d’une littérature ciblée sur une population vulnérable, dont les caractéristiques sociodémographiques et cliniques ont été publiées antérieurement par notre équipe de recherche33. En plus de cette revue de littérature adaptée à chaque indicateur, ce dernier était soutenu par 3 lignes directrices, dont 2 étaient parfaitement pertinentes pour le système de santé étudié (financement publique, accès à des soins universels), puisque l’une était canadienne et l’autre australienne15,16.
Les experts ont été sélectionnés pour leur compétence reconnue en gériatrie, troubles de la cognition et expérience clinique en unité d’évaluation gériatrique. Ils reflétaient les spécialités qui prennent en charge ce type de clientèle. Ceci pourrait expliquer l’acceptation de certains indicateurs sur lesquels la littérature restait vague (comme assurer un suivi après le congé) ou conflictuelle (comme effectuer systématiquement une imagerie cérébrale ou un dosage de cyanocobalamine).
Il est à noter que la méthode RAND préconise un panel qui compte entre 7 et 15 experts au minimum14. Le nombre de spécialistes composant notre panel était relativement restreint. Toutefois, comme l’a démontré Akins et al34, même un nombre peu élevé de panélistes, s’ils possèdent une expertise relativement homogène dans un domaine requis, peut contribuer à développer des critères de qualité. Le sujet du Delphi étant l’évaluation et la prise en charge de l’atteinte des fonctions cognitives en milieu hospitalier, qui incombent, initialement, essentiellement aux médecins, seule cette profession a été représentée parmi les experts.
Les indicateurs avaient l’avantage de couvrir toutes les étapes du processus de soins, depuis le dépistage d’une atteinte des fonctions cognitives jusqu’à l’organisation d’un suivi à domicile après le congé de l’hôpital, domaine, en général, peu considéré dans les lignes directrices. Ils mettaient donc l’accent sur des aspects moins explorés par les médecins lors de l’évaluation de troubles cognitifs, comme l’importance de documenter la capacité à comprendre les risques des traitements proposés ou d’identifier une personne capable d’assurer le suivi médical dès le congé au domicile. Les indicateurs soulignaient aussi des aspects reliés à l’entourage et aux proches aidants. Ils évaluaient l’aspect des directives anticipées ou la possibilité de se référer à une personne significative identifiée par le patient lui-même en cas de nécessité.
Il faut mentionner que la prise en charge de personnes âgées, souvent très malades, requiert une adaptation en fonction de l’individu et du contexte clinique. Il est parfois difficile d’effectuer une évaluation complète des fonctions cognitives, lors d’une hospitalisation en unité d’évaluation gériatrique malgré le temps et les professionnels disponibles, en raison du nombre élevé de co-morbidités, parfois décompensées, et de la présence souvent associée d’un delirium. Un certain nombre d’interventions doivent être différées après stabilisation de l’état du patient et faites en ambulatoire ou après le transfert dans une unité de réadaptation.
Le fait de demander aux experts de coter les indicateurs non seulement en fonction des évidences de la littérature mais aussi de leur propre expérience clinique a permis d’obtenir des précisions sur des points litigieux que l’on retrouvait dans les recommandations internationales, ainsi que sur les habitudes de pratique, notamment en ce qui concerne l’usage des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, dans les cas de démence à contribution vasculaire. Il faut noter toutefois que les lignes directrices auxquelles nous avons fait référence datent de 1999, 2001 et 2003 et que de nouvelles recommandations, dont des recommandations canadiennes, vont paraître prochainement. Il est probable que les pratiques concernant cette médication dans les démences avec une contribution vasculaire seront révisées en fonction de données plus récentes35–37.
Associés à d’autres approches, les indicateurs serviront à l’évaluation de la qualité des processus de soins dans une étude ayant cours dans l’ensemble des unités d’évaluation gériatrique de courte durée des hôpitaux de soins généraux du Québec13.
Notes
EDITOR’S KEY POINTS
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This study identifies quality indicators for assessment and management of cognitive impairment in elderly patients in hospital geriatric assessment units.
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These indicators will be used to assess the quality of care in all short-term geriatric care units in Quebec and might help improve the care given to vulnerable elderly patients.
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
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Cette étude identifie des indicateurs de qualité pour l’évaluation et la prise en charge des atteintes des fonctions cognitives chez des personnes âgées hospitalisées aux unités d’évaluation gériatrique.
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Ces indicateurs serviront à l’évaluation de la qualité des processus de soins dans l’ensemble des unités de courte durée gériatriques du Québec et pourront contribuer à améliorer les soins aux personnes âgées vulnérables.
Footnotes
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Contributions des auteurs
Drs Payot, Latour, Massoud et Kergoat ont contribué à l’élaboration du protocole de recherche, au traitement et à l’analyse des données et à la rédaction du présent article.
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Intérêts concurrents
Rien déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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