Des soins médicaux de grande qualité exigent une relation harmonieuse entre les médecins de famille et les spécialistes consultants»1. C’est la conclusion d’un groupe de travail créé en 1991 pour conseiller le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) sur la relation entre leurs membres respectifs. Après des consultations exhaustives, le groupe de travail a rappelé aux deux parties leur engagement à l’endroit des principes éthiques fondamentaux des soins aux patients, du professionnalisme et d’un rôle de modèles à imiter par les étudiants en médecine et les résidents.
Dans la même veine, en 2002, les membres du Projet du professionnalisme médical, regroupant des ordres nationaux d’internistes, ont rendu public 10 engagements, dont 1 concernant les responsabilités professionnelles2. Plus précisément, ils déclarent qu’on s’attend à la collaboration des médecins pour maximiser les soins aux patients, à leur respect réciproque et à leur participation à l’autoréglementation, notamment aux mesures de discipline contre les membres qui ont enfreint les normes de la profession2.
Si la nécessité de la collaboration entre les MF et les consultants a été reconnue, l’établissement de telles relations demeure un défi. Le cas suivant, qui s’est produit dans un centre hospitalier universitaire canadien, démontre les effets potentiels sur les soins aux patients de relations médiocres entre les MF et les consultants et sur la modélisation des comportements professionnels éthiques devant les résidents. Des difficultés de communication semblables existent lorsque les MF basés dans la communauté demandent une consultation auprès de spécialistes.
Discussion
Dans ce dossier, le MF et le consultant sont tous deux aux prises avec des problèmes épineux. Les consultants ne peuvent pas répondre en même temps à un nombre infini de demandes urgentes. Ils sont aussi aux prises avec certaines demandes inopportunes. Le problème est d’autant plus compliqué que les spécialistes se font rares.
Le MF a contesté le jugement clinique du cardiologue qui conseillait de donner son congé à la patiente et qu’elle attende son rendez-vous en clinique externe. Le MF a envoyé une lettre au directeur des services professionnels pour demander l’étude de la conduite professionnelle du cardiologue. Le Code de déontologie de l’AMC mis à jour en 2004 insiste sur la responsabilité du médecin de signaler un collègue dont le rendement éthique ou clinique ne se conforme pas aux normes. On y lit: «Reconnaître que l’autoréglementation de la profession est un privilège et que chaque médecin a la responsabilité de constamment mériter ce privilège et d’appuyer ces institutions»3. Le MF a convenu que le système de santé était surchargé et que le cardiologue ne pouvait pas répondre simultanément à tous les cas; néanmoins, le MF était d’avis qu’il aurait pu s’attendre à une certaine estimation du temps qu’il faudrait pour voir sa patiente, même si ce n’était pas avant le lendemain.
Solutions individuelles
Dans le cas présent, on a créé un groupe de travail sur les demandes de consultation au sein de l’hôpital. Près de 500 spécialistes et 100 MF associés à l’hôpital ont reçu un questionnaire. Trois quarts des MF répondants avaient leur cabinet à l’extérieur de l’hôpital et ne dispensaient pas de soins hospitaliers, ou seulement à l’occasion. Le taux de réponse dans les deux groupes se situait à environ 30%. Le consensus était que le professionnalisme et les demandes de consultation se détérioraient en raison de la surcharge de travail.
Environ 70% des répondants dans les 2 groupes croyaient qu’il serait utile d’avoir des protocoles expliquant aux médecins de première ligne ce qu’il faut faire avant de demander une consultation. Quelque 80 % des répondants dans les 2 groupes favorisaient la nomination de certains spécialistes au service des médecins de première ligne, reconnaissant le jugement clinique des médecins traitants sur la gravité des cas. Le groupe de travail a donc eu pour résultats certaines tentatives d’améliorer le système, ce qui démontre qu’une approche en coopération peut régler le problème de relations médiocres entre MF et consultants.
Solutions à plus grande échelle
Mais qu’en est-il du devoir éthique des médecins d’améliorer un système de santé défaillant, de faire preuve de professionnalisme et d’adopter une conduite appropriée les uns envers les autres lorsqu’ils sont débordés et que le système est surchargé. Le Code de déontologie de l’AMC se penche sur le problème dans l’article 43: «Reconnaître que les médecins doivent favoriser l’accès équitable aux ressources consacrées aux soins de santé»3. L’article 52 stipule que nous devons: «Collaborer avec d’autres médecins et professionnels de la santé aux soins des patients et au fonctionnement et à l’amélioration des services de santé»3.
Dans la charte du Projet du professionnalisme médical, les auteurs déclarent que, pour respecter fidèlement le contrat social de la médecine durant cette période turbulente, les médecins doivent reconfirmer leur engagement aux principes du professionnalisme. Il ne s’agit pas seulement de leur engagement personnel à l’endroit du bien-être de leurs patients, mais aussi des efforts collectifs pour améliorer le système de santé pour le bien-être de la société2.
À cette fin, le Comité d’éthique du CMFC a élaboré les Concepts et valeurs en médecine familiale: Repères pour la réforme des soins de santé. Ce document donne des lignes directrices pour «soutenir et améliorer nos soins de santé»4. Ces lignes directrices sont centrées sur des valeurs explicites devant servir de fondement à la réforme du système de santé et à son évaluation.
Éducation et normes
Les auteurs de la charte sur le professionnalisme croient que la profession médicale devrait définir et organiser l’éducation et l’établissement des normes pour les membres actuels et futurs2. Les médecins traitants sont des modèles de comportement professionnel à imiter dans les demandes de consultations. Envers les futurs médecins et les patients, nous avons un devoir éthique de collaborer dans la conception des normes et d’exiger un système de santé qui fait ressortir le meilleur de nous.
Le Code de déontologie de l’AMC maintient que, pour préserver un fondement moral solide dans l’exercice de la médecine, «la formation en analyse éthique et en prise de décision au niveau des études de premier cycle, au niveau postdoctoral et en éducation médicale continue est recommandée pour les médecins qui veulent acquérir les connaissances, les compétences et les attitudes nécessaires pour faire face à de tels conflits»3. Dans le Cursus de la bioéthique en médecine familiale, produit par le Comité d’éthique du CMFC, on donne des conseils sur l’enseignement de la déontologie dans les programmes de formation en médecine familiale, et sur la méthodologie analytique pour la solution de problèmes d’éthique, et des présentations de cas cliniques qui explorent les défis déontologiques, y compris lesrelations entre MF etconsultants 5.
Conclusion
La situation relative aux demandes de consultation met en évidence les problèmes d’éthique conflictuels entre le bien-être du patient, la justice sociale et l’engagement à l’endroit de l’amélioration de la qualité des soins. Les MF continueront d’être aux prises avec de tels problèmes qui affectent nos patients et nos relations avec nos collègues spécialistes. La mise en application des principes de la déontologie et le travail en collaboration pour trouver des solutions nous aideront à passer au travers de ce cheminement éthique cahoteux.
Description de cas
Une femme âgée est admise au service de médecine familiale, souffrant de déficience cardiaque. On lui a implanté un stimulateur cardiaque il y a 6 mois en raison de la maladie du sinus. Il est évident que le stimulateur cardiaque fonctionne mal et qu’il est la cause de sa déficience cardiaque. Le médecin de service en médecine familiale demande à son résident de faire une demande de consultation en cardiologie.
Le résident en pratique familiale communique avec le résident en cardiologie et explique le cas. Ce dernier répond qu’il parlera au cardiologue de garde parce que les demandes de consultation abondent. Il rappelle une heure plus tard pour dire que le cardiologue juge cette demande inappropriée et conseille d’augmenter le furosémide de la patiente, de lui donner son congé et de prendre rendez-vous pour elle à la clinique des stimulateurs cardiaques.
Le médecin de famille téléphone au cardiologue pour protester et défendre l’urgence de la consultation. Le cardiologue conteste, sans prétendre que la patiente n’est pas malade mais, compte tenu de la rareté des ressources, il estime qu’il faut établir les priorités.
Le médecin de famille appelle le directeur des services professionnels pour protester de la réponse du cardiologue. Avant que le directeur ait retourné l’appel, la patiente souffre d’un œdème pulmonaire et est admise à l’unité des soins intensifs.
Remerciements
Je remercie Alison Harkin de ses suggestions lors de la révision qui m’ont grandement facilité la préparation du manuscrit.
Footnotes
-
les opinions exprimées dans les éditoriaux sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanc-tionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada