Les omnipraticiens… sont les médecins les plus proches des gens. Ils guérissent la plupart des cœurs brisés, soignent le plus grand nombre de blessés et de démunis, et vivent avec les pauvres et les mourants qui n’ont plus d’espoir. L’adaptation est l’essence de la médecine familiale: l’omnipraticien s’adapte ou ferme boutique.
William Victor Johnston (traduction libre)1
Quels sont les besoins des Canadiens en matière de santé auxquels les médecins de famille doivent s’adapter au 21e siècle? La réponse à ces besoins se situe-t-elle dans un effectifmédical entièrement formé de spécialistes?
Les récents rapports livrent tous le même message: les Canadiens ont besoin de médecins de famille. Il y a 50 ans, L.W. Batten écrivait que la pratique d’un médecin de famille est générale, ne connaît pas les limites d’une spécialité, s’intéresse à la personne tout entière et à l’ensemble de la discipline de la médecine2. Est-ce toujours vrai? Définitivement. Mais que veut dire exactement «géné-rale»? Quelles sont les limites d’une spécialité?
Que veut dire pratique générale? Le savoir des médecins de famille, c’est la médecine dans toute son ampleur. Ils ne disent jamais: «Je ne peux rien faire pour vous». Ils s’engagent à l’endroit d’une relation personnelle continue. Ils soignent des personnes, hommes ou femmes, qu’importe leur orientation sexuelle, d’avant la conception jusqu’à la mort, et ils mettent en application leur savoir médical et leurs habiletés techniques pour tous les genres de problèmes qui leur sont présentés. Lorsque les problèmes ne relèvent pas de leur expertise, ils coordonnent les services des spécialistes dans l’intérêt de leurs patients.
En 1990, David Morrell écrivait à propos de la diversité infinie des problèmes présentés aux omnipraticiens. Il citait une étude par 2 collègues qui, en 2 semaines, avaient vu 1 410 adultes souffrant de 31 symptômes (en moyenne 3,9 symptômes) et 519 enfants avec 26 symptômes (en moyenne 1,3). Morrell faisait valoir que les omnipraticiens étaient appelés à avoir des opinions sur divers sujets, que ce soit sur les plans physique, psychologique ou social. Il soulignait l’importance de la continuité de la relation et du savoir accumulé au sujet des patients qui en découle3.
Dans un sondage réalisé en 2005 auprès de 1 600 des 380 000 habitants du district de santé de la capitale de la Nouvelle-Écosse, Fred Burge a signalé que 96 % des participants avaient un médecin de famille. Ils voyaient en moyenne le même médecin depuis 14 ans, une impressionnante confirmation de la continuité4.
Morrell a également expliqué que les médecins de famille étaient le premier contact des patients et que leur plus importante fonction était d’interpréter les problèmes en fonction des besoins de leurs patients3. La vision des problèmes du point de vue des patients a été mise en évidence par Ian McWhinney5 et Moira Stewart6, quand leur équipe de recherche a mis au point la méthode clinique centrée sur le patient: «Parce que les médecins de famille sont accessibles pour tous les genres de problèmes, ils ne peuvent pas se faire au préalable d’idées préconçues de la raison de la consultation5».
Ces documents concernent le généralisme de la pratique familiale et l’importance de la continuité des soins.
Quelles sont les limites d’une spécialité? Les spécialistes ont des limites entourant leur savoir, leurs habiletés et leurs pratiques. Les pédiatres généraux sont limités par l’âge, et les chirurgiens généraux, par le genre de solutions qu’ils offrent, les internistes généraux se concentrent sur les adultes ayant des problèmes biomédicaux et les psychiatres généraux, sur les maladies mentales. Les médecins de famille n’ont pas de telles limites. Ils ne sont pas des spécialistes.
Comment s’inscrit la pratique familiale dans l’ensemble du système de santé? Les médecins de famille sont les généralistes de premier contact qui s’occupent de 80 à 90% des problèmes que présentent leurs patients et demandent des consultations à des spécialistes pour le reste afin de les aider dans le diagnostic ou la prise en charge. McWhinney a fait remarquer que «pour qu’un organisme demeure sain, il doit y avoir un équilibre entre les généralistes et les spécialistes5». Il existe un tel équilibre parmi les médecins canadiens (même si on se préoccupe du maintien du ratio d’un médecin de famille pour chaque spécialiste).
Le débat à savoir s’il faut considérer ou non la pratique familiale comme une spécialité n’est pas nou-veau. Le conseil de l’Association médicale canadienne a envisagé comme nom pour notre Collège, en 1953, le «Collège des généralistes7». En 1967, de nombreux membres s’opposaient à changer notre nom du Collège des omnipraticiens (College of General Practitioners) au Collège des médecins de famille.
La médecine est une entreprise professionnelle multi-disciplinaire qui regroupe toutes sortes de médecins scientifiquement formés, dont la moitié d’entre eux au Canada sont actuellement membres de plus de 50 disciplines spécialisées et surspécialisées. L’autre moitié est formée des généralistes: les médecins de famille ou omnipraticiens.
Ayant apparemment échoué à convaincre nos étudiants et nos résidents de la place centrale du généraliste dans notre système, nous devons maintenant mieux faire comprendre et célébrer ce travail important et essentiel en tant que médecins de premier contact, prenant en charge la plupart des problèmes et dirigeant de manière appropriée vers des collègues spécialistes les patients qui ont des problèmes que nous ne pouvons pas régler.
Par contre, si nous revêtons par erreur le chapeau du spécialiste, nous deviendrons simplement un autre groupe spécialisé à qui des dispensateurs de soins de santé de première ligne enverront ou non les patients ayant des problèmes qu’ils ne peuvent pas régler. De nous appeler spécialistes alors que nous sommes complètement immergés dans des activités de généralistes ne créera que de la confusion chez nos patients, nous-mêmes, nos collègues et nos apprenants.
J’ai trouvé utile de faire la distinction entre la médecine familiale, la discipline universitaire qui renferme le bloc de connaissances, et la pratique familiale, l’activité clinique qui constitue notre travail dans le système de santé. Je n’hésite pas à décrire la discipline universitaire de la médecine familiale comme un ensemble spécial de connaissances8. J’accepte que la pratique familiale mette en application une méthode clinique particulière, centrée sur le patient, dans laquelle nous sommes experts. Mais je résiste de tout mon cœur et de tout mon esprit qu’en tant que médecin, je suis autre chose qu’un généraliste.
S’il ressemble à un généraliste, parle comme un généraliste et agit comme un généraliste, ce n’est certainement pas un spécialiste!
Notes
POINTS DE REPÈRE
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La médecine familiale est la discipline, la pratique familiale est l’activité clinique et les médecins de famille sont les praticiens.
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«Je ne peux rien faire pour vous» n’appartient pas au vocabulaire des médecins de famille, ces médecins de premier contact qui ne limitent pas leur pratique en fonction de l’âge, du sexe, de l’orientation sexuelle ou de la nature des problèmes de leurs patients.
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Les médecins de famille interprètent les problèmes (physiques, psychologiques, sociaux) qui leur sont présentés en fonction des besoins de leurs patients à l’aide d’une méthode clinique centrée sur le patient.
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La fonction de «généraliste» domine le travail quotidien des médecins de famille et il est insensé de les appeler spécialistes.
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