Le temps libre des médecins de famille canadiens peut être constamment grugé par une pratique clinique active. Avec les tournées, le travail en cabinet, le service de garde, la formation médicale continue et ainsi de suite, notre voix ne résonne habituellement qu’à l’intérieur des frontières limitées de notre culture médicale. Il est possible de remédier à cette myopie en jetant par-dessus la clôture un coup d’œil aux autres sciences connexes.
Heureusement, des scientifiques, comme Lauterbur et Mansfield (Prix Nobel de 2003), grâce à leur curiosité pour les images de particules infimes produites par la résonance magnétique, peuvent changer le paysage de la médecine. Pour les médecins de famille, ces progrès scientifiques prodigieux dans les frontières de la médecine peuvent sembler exagérés. Par ailleurs, il pourrait y avoir des possibilités de regarder notre domaine, avec nos sciences sœurs, dans une perspective nou-velle et différente.
Incertitude
Comme la médecine, la science plutôt mystérieuse de la physique quantique pose souvent plus de questions qu’elle n’a de réponses. Le monde quantique se fonde sur les principes de l’incertitude et du probabilisme. Max Planck et Albert Einstein ont donné naissance à ce domaine au début des années 1900 en explorant le concept selon lequel la lumière existe en paquets, ou quanta, d’énergie. La nature de la mécanique quantique a pris le virage de l’abstrait lorsque l’avènement des accélérateurs de particules a permis de découvrir des caractéristiques étranges des particules en mouvement rapide. Elles semblent se comporter comme des vagues; ces particules ressemblent plus à un ricochet dans l’eau qu’à une balle de baseball en mouvement. De plus, nous ne pouvons même pas déterminer simultanément avec précision la position et la quantité de mouvement de la particule quantique. C’est ici que se situe la base du principe de l’incertitude de Heisenberg.
En regardant de notre côté de la clôture, notre cour ne semble pas si mal. L’incertitude a longtemps caractérisé l’art de la médecine. L’incertitude du diagnostic est fréquente lorsque les médecins tentent de délimiter la maladie humaine. Peut-être que le tissu même de notre existence est la culmination de multiples incertitudes subatomiques. Si c’était vrai, l’incertitude de Heisenberg s’appliquerait-elle à la variabilité et aux qualités uniques que nous observons en tant qu’étudiants de la condition humaine? De plus, l’imprévisibilité est-elle une conséquence mesurable de nos limites humaines intrinsèques en tant observateurs?
Probabilisme
Le concept tout aussi contraignant du probabilisme permet aux deux domaines de rationaliser l’imprévisibilité de la nature. Nous les médecins, étant des experts en pronostic, avons l’habitude de lancer à nos patients des probabilités. Qu’il s’agisse des taux de survie au cancer ou de l’efficacité des médicaments, nous sommes les «preneurs de paris» sur la morbidité et la mortalité. Est-ce unique à la médecine ou plutôt le fait de la nature probabiliste des systèmes biologiques?
En tant que gardiens des premières lignes des soins de santé, les praticiens de la médecine familiale font typiquement intervenir la pathologie très tôt dans le cheminement diagnostique. Ainsi, nous sommes systématiquement confrontés à un degré disproportionné d’incertitude. Sur le plan pratique, les parallèles évidents entre les mondes quantique et médical n’influenceront probablement pas dans un proche avenir nos styles de pratique bien ancrés. Pourtant, en ralliant nos sciences sœurs, comme l’ont fait des visionnaires par le passé, nous pourrions avoir le luxe d’une perspective différente et la possibilité d’éclairer notre compréhension de la condition humaine.
Footnotes
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